C'est curieux, on dirait qu'il y a un rien de gîte
Ces derniers jours, il a beaucoup été question de croisières. Ça m'a rappelé quelque chose.
En 1972, avec ma copine, l'envie nous prit de nous rendre en Casamance en bateau. L'idée était originale. Une mini-croisière, en quelque sorte. On quittait Dakar dans l'après-midi, et environ 24 heures plus tard, on débarquait sur les quais de Ziguinchor, frais comme des roses. Nous réservâmes donc.
Malheureusement, toutes les cabines étaient prises. Qu'importe, nous nous rabattîmes sur les couchettes qui devaient à nos yeux innocents constituer une sorte de deuxième classe. Le jour et l'heure venus, nous nous présentâmes à l'embarquement. Un panneau indiquant que les passagers "couchettes" devaient se présenter à l'arrière du navire, vers l'arrière nous nous dirigeâmes. L'employé sénégalais qui contrôlait les billets, avant que nous soyons arrivés à sa hauteur tenta de nous faire comprendre par gestes que nous nous égarions. Arrivés près de lui, sans regarder nos billets, il nous expliqua que c'était à l'avant que nous devions aller. Devant nous allâmes. Là, après inspection de nos billets, on nous redirigea vers l'arrière. Devant notre insistance, l'employé qui nous avait d'abord réorientés finit par admettre, qu'aussi incroyable que ça paraisse, c'était bien de son côté que nous devions monter.
Nous rejoignîmes donc nos quartiers, lesquels étaient bien encombrés. Un grand nombre de Noirs s'y trouvaient installés, entourés de volumineux bagages, laissant peu d'espace libre. Un marin à qui nous demandâmes où se trouvaient nos couchettes trouva notre question bizarre. Des couchettes ? J'insistai : nous avions payé pour des couchettes, couchettes nous exigions ! Le ton monta un peu. Le marin finit par se résigner et sans grand enthousiasme demanda à de nombreux installés d'aller le faire ailleurs et installa deux lits de camp pour moi et ma compagne dans un coin. Ça commençait bien...
Maintenant que la question du gîte se trouvait résolue, il fallait penser à celle du couvert. Je demandai donc au brave Sénégalais que j'avais déjà importuné avec mon obsession maniaque des couchettes comment on faisait pour se nourrir. Apparemment, rien n'était prévu à l'arrière et l'accès à l'avant étant totalement interdit aux passagers de la poupe, il ne semblait pas exister de solution. Nouvelle insistance. Nouvelle montée du ton. Nouvelle résignation. Le marin finit par me conduire à un officier, blanc lui, à qui j'expliquai la situation. "Vous êtes à l'arrière ? Avec votre femme ?" Je lui aurais dit que j'étais un ogre martien et que j'aurais bien aimé manger quelques enfants avant que le soleil ne se couche, je ne lui aurais pas paru plus étrange. Ému par notre détresse, ou par solidarité raciale, il consentit à soumettre notre cas au commandant. Je le suivis.
Le commandant fixait la mer et nous tournait donc le dos quand nous pénétrâmes dans la passerelle. L'officier rapporta à son supérieur l'étrange situation. "Des blancs derrière ? Eh ben, ils n'ont pas peur !" Je lui confirmai mon absence de crainte. Ça le fit légèrement sursauter car il ignorait ma présence. Il se retourna, vérifia d'un bref coup d’œil que je n'étais aucunement muni des antennes qui caractérisent le martien et que je ne présentais pas non plus les caractéristiques du hippie drogué qu'on peut laisser crever, puis entama la conversation. Il en ressortit que nous pourrions, moyennant un prix restant à déterminer, manger à l'avant avec les passagers des cabines et qu'il nous serait possible de circuler librement, c'est à dire à l'avant, de profiter du bar et tout.
Riche de ces bonne nouvelles, j'allai les annoncer à Susan qui, contre toute attente, n'avait encore été ni violée ni dévorée par nos compagnons de voyage. Nous pûmes donc dîner de manière très agréable en compagnie des croisiéristes français et du commandant. Nourriture et vins étaient excellents autant qu'abondants et nous furent facturés à un prix symbolique. Nos convives s'étonnèrent un peu que nous n’ayons pas de cabine, mais sinon tout roula bien. Nous rejoignîmes ensuite nos sommaires "appartements".
Je n'ai jamais été très fort en sommeil. La rusticité du couchage n'aidait rien. Au bout d'un moment, alors que tout le monde, y compris Susan, dormait à poings fermés, faute de trouver le repos, je décidai d'aller faire un tour. J'allai, histoire de profiter de mon privilège, me promener à l'avant du navire. Il y avait de la lumière au bar. J'y entrai et vis, installé au comptoir devant une bière, l'officier qui m'avait présenté au commandant et qui se trouvait être le second. Il m'invita à en boire une avec lui et là commença une conversation étonnante. Des propos racistes, j'en avais entendu : des verts et des pas murs. Mais là, je dois dire que c'était un festival. Après s'être étonné que j'ose m'éloigner en pleine nuit de ma compagne, la laissant en telle compagnie, il me dit ce qu'il avait sur le cœur. Ses propos sur les passagers de l'arrière auraient donné au plus raciste de nos actuels contemporains des airs de militant acharné du MRAP ou de "Touche pas à mon pote". Il voyait les choses clairement : le commandant était trop bon, s'il avait son mot à dire, lui, il bouclerait tout ça derrière, avec des cadenas (sauf nous, bien entendu !), que de cette race de putains, c'étaient les plus putains, que si le bateau coulait et qu'ils n'avaient pas accès aux canots de sauvetage, ça serait plutôt positif... Capables de tout et du reste. Surtout du plus inquiétant des restes. La litanie fut longue, variée, colorée. Au point qu'en j'en pris note de retour à ma couchette. J'avais du mal à voir dans les paisibles dormeurs qui m'entouraient les dangereux monstres dont il m'avait dépeint les multiples tares et vices. Je n'allais tout de même pas le contredire. Après tout, il m'avait rendu service. Et à quoi bon ?
La "croisière" s'acheva le lendemain après la meilleure et plus riche bouillabaisse qu'il m'ait été donné de déguster.
Le 27 septembre 2002, le Joola, bateau qui remplaçait celui que j'avais pris trente ans plus tôt, coulait corps et bien entraînant la mort d'environ deux mille personnes. Il était notoirement surchargé. Je n'ai pu m'empêcher de penser que, quelles qu'aient été les opinions des officiers français que j'avais rencontrés, ils n'auraient jamais permis ces surcharges folles et qu'objectivement, malgré leurs paroles, ils se préoccupaient davantage de la sécurité de leurs passagers que ceux qui les remplacèrent. Comme quoi les choses ne sont pas toujours simples.
J'avoue que vers la fin, vous m'avez fait peur... Mais tout est bien qui finit bien !
RépondreSupprimerComme le bon Pape Jean-Paul (que dieu l'ait en Sa sainte garde!)je vous dirai : "Nayez pas peur !"
SupprimerIntéressant, intéressant… Les voyages forment la jeunesse.
RépondreSupprimerVous réveillez ma mémoire et il me revient un souvenir beaucoup plus récent que le vôtre (vers 1993 je crois) : Une traversée en ferry avec Mme Plouc de Noweiba (Sinaï) à Aqabah (Jordanie) sur le golfe du même nom. Mais exclusivement sur le pont… 99,9% de la clientèle était composée de travailleurs immigrés égyptiens en Arabie Saoudite rentrant bosser après visite à la famille (soit 199,8% environ du potentiel de transport sur les livres de la Lloyds…) Notre qualité de 0,1% nous donna le privilège d’être invités par les officiers (égyptiens) à monter un moment visiter la passerelle. Ce fut pour moi l’occasion de remarquer qu’on avait négligé de dévisser diverses plaques en cuivre et de repeindre sur certaines inscriptions fort passées : Le fier navire avait déjà précédemment effectué une longue et poussive carrière trans-Manche entre Calais et Douvres avant d’être réformé, des lustres auparavant, par les ancêtres SNCF de la désormais vieille SeaFrance (dont je n’irai pas aux obsèques quoi que l’ayant bien connue…) J’en garde deux souvenirs plus précisément : D’une part, que des travaux indispensables et urgents s’effectuaient alors sur la bête en cours de traversée dans des conditions qui m’ont fait rêver aux riches heures de certains débats vécus face à un CHSCT…
D’autre part, étant sur la passerelle, que le "panier" (les marins me comprendront) en tôle noire s’est détaché du mât sous l’effet du vent et a blessé au front l’homme d’équipage qui était à nos côtés…
Ainsi un certain laisser-aller ne serait pas l'apanage de la seul Afrique sub-saharienne et pourrait également concerner le nord de ce joli continent ? C'est bien étrange.
SupprimerCela dit, les voyages ne forment pas toujours la jeunesse. Il arrive que la cécité volontaire empêche certains jeunes de tirer la moindre leçon de leurs périples, les abus les plus scandaleux leur semblant participer de la couleur locale....
Je conclus de cette lecture qu'il n'y a finalement pas deux "croisières" qui se ressemblent.
RépondreSupprimerAinsi quand en tant qu'enfant j'ai été rapatriée de Chine sur un navire de transport de troupe américain le Marine's Angel,au départ de Shanghaï et jusqu'à Toulon, la croisière dura 28 jours.
Nous avons été littéralement chouchoutés par un équipage de soldats noirs américains. Nous dormions dans des immenses cales, sur les hamacs destinés, en temps ordinaire, aux soldats, mais en l'occurrence réservés aux femmes et aux petites filles.
Toute la journée nous courions dans tous les sens sur le navire, et les mères avaient dû abandonner toute idée de savoir où se trouvait leur progéniture.
Mais à midi tapant, c'est en ordre que les mères et leurs enfants se présentaient au réfectoire et étaient toujours servis par le même marine qui leur avait été octroyé pour tout le voyage.
Pour quitter le réfectoire on passait devant un marine installé au pied de l'escalier qui nous donnait notre "ice-cream". Aussitôt la glace engloutie, on reprenait la descente pour repasser devant le soldat qui nous en donnait une autre. A la troisième : "Didn't you get your ice-cream already ?" On jurait nos grands-dieux que non, et il nous en donnait une troisième, mais son sourire disait bien qu'il n'était pas dupe.
Plus jamais je n'ai ressenti cette sensation de liberté jubilatoire telle que l'ai vécue à huit ans pendant cette croisière.
Beau souvenir d'enfance, agréable à lire, Mildred !
SupprimerJ'aime bien l'histoire de Mildred, et j'en déduis que ce ne sont pas les ice-creams qui font grossir les seins des américaines comme je le croyais.
RépondreSupprimerMoi j'ai dû faire un des derniers voyages Barcelone-Ibiza d'un petit bateau de la ligne réulière doté de deux dortoirs, hommes et femmes séparés.
Au début de la nuit, deux américaines que nous venions de rencontrer (très plates, bizarre) ont voulu venir discuter dans le dortoir des hommes.
Un groupe de maghrébins entreprirent de les convaincre de participer à un jeu qui n'avait pas encore été popularisé sous le nom de "tournante".
Heureusement un galonné de l'équipage intervint avant que les deux gourdes qui ne parlaient qu'anglais ne comprennent que leur consentement n'était pas vraiment nécessaire.
Malgré ce début mouvementé la nuit fut calme et au petit matin la silhouette majestueuse de la vieille ville apparut sur son rocher comme prévu dans le film "More" qui me servait de fil conducteur.
Certaines Américaines sont d'une naïveté incroyable. J'en ai connu, du Peace Corp, au Sénégal qui se mettaient dans des situations dangereuses sans s'en rendre compte...
SupprimerVous vivez dangereusement, Messieurs-Dames !
RépondreSupprimerMénagez-vous ^^
La seule traversée que j'ai effectué, fut Calais-Douvres et inversement.
RépondreSupprimerA part une énorme cuite à l' allé comme au retour pour éviter le mal de mer, rien de bien grave.
Mon épouse étant d'origine sénégalaise mais surtout de la Casamance, nous devrions aller visiter la région d'origine de sa famille et notamment de Marsassoum.
le "Joola" a été remplacé par l'"Aline Sitoe Diatta, en espérant que le commandant soit plus compétant que celui du Concordia.
Je pense que, les responsables de cette catastrophe ayant été sévèrement sanctionnés, leurs successeur se montrent plus prudents...
RépondreSupprimerLa Casamance est bien belle par rapport au nord du pays. Et les gens y étaient plus sympathiques. Mes souvenirs datent cependant de 40 ans...