Je sais que mon titre peut paraître
provocateur. Il serait de meilleur ton de geindre sur les privations
de liberté, la terrible épidémie qui ravage le monde, notre chère
culture qui tend à se barrer en couille et plus généralement à
pleurer sur les mille et uns malheurs qui menacent jusqu’à
l’existence de notre pauvre pays. Eh bien je n’en ai nulle envie.
La
seule liberté que je connaisse se trouve dans ma tête. Tout le
reste n’est que contraintes plus ou moins rigoureuses dont nul ne
saurait totalement s’affranchir. Dans ma tête, je suis libre de
penser ce que je veux sans que cela nuise à -ou outrage- qui que ce
soit. C’est moi qui décide d’exprimer ce qui me passe par la
tête ou pas.
Si
les gens laissent envahir leur esprit par ce qu’il est admissible
de penser, s’ils adhèrent avec plus ou moins d’enthousiasme aux
contraintes qu’on leur impose, grand bien leur fasse !
Pour
ce qui est des malheurs de notre sacro-sainte culture dont au fond
peu de gens ne partagent que quelques bribes, qu’y puis-je ?
Si mes concitoyens s’intéressent plus à la baballe, aux images
qui bougent venues d’Outre-Atlantique ou aux conneries wokistes du même tonneau qu’aux merveilles
architecturales, littéraires ou autres que nous ont laissées les
siècles passés, qu’y puis-je ?
Si,
par peur de l’aventure plus que par conviction une majorité de
mes contemporains placent à la tête de l’État des insignifiants
dotés d’un charisme d’huître, ils n’obtiennent que ce qu’ils
méritent et tant qu’on n’aura pas trouvé un système moins
imparfait que la démocratie représentative, cela continuera, que ça
me plaise ou non.
Cela
dit, qu’est-ce qui peut bien justifier mon titre ? Juste une
petite chose. Il se trouve que je fais partie du « Club des
douze » qui rassemble, selon son auteur, les lecteurs du
journal de M. Didier Goux. Et hier après-midi, dans la quasi-torpeur
qu’engendrèrent les bombances du nouvel an, je me suis délecté
de cette lecture, comme au début de chaque mois depuis plus de dix
ans. N’allez pas croire que je souscrive sans la moindre réserve à
chaque phrase qu’il contient. Je dois avouer que je me fous comme
de l’an quarante de savoir si Vautrin était-un
peu, beaucoup ou à la folie-
homosexuel. Les éloges permanents adressés à M. Proust, auteur qui
me tombe des mains, ne m’enthousiasment guère. Pas plus que les
longs passages consacrés à nombre d’auteurs que je n’ai jamais
lus et que sauf accident, je ne lirai jamais.
Ce
qui pour moi fait le charme de cette lecture, c’est, d’une part,
son style et d’autre part les petites notations qu’elle contient
sur de menus incident de la vie quotidienne de son auteur toujours
teintées d’un
humour léger. Le style : tout est là. Je pourrais dire que si
Proust me tombe des mains, c’est que les
remarques fines ou pas d’un snobinard sur la vie mondaine du début
du siècle dernier ne me concernent pas. Mais ce serait mentir. Ce
qui me le rend illisible, c’est un style lourd et indigeste à mes
yeux. D’ailleurs en quoi les heurs et malheurs d’Eugénie
Grandet, du Père Goriot ou de nombre de personnages des meilleurs
livres de Romain Gary me concerneraient-ils davantage ?
Deux
passages ont, ce mois-ci, particulièrement retenu mon attention.
D’abord, celui concerné
à l élection de Vargas Llosa à l’Académie Française. Je
ne partage pas son indignation. Il me semble que ce prix Nobel de
littérature qui a, de
nombreuse années, vécu
dans notre pays a autant sinon plus sa place dans cette vénérable
institution que nombre d’obscurs personnages qui en encombrent
les fauteuils.
De plus, l’évocation de cet auteur m’a remémoré tout le
plaisir que j’avais jadis pris à la lecture de « La Tante
Julia et le scribouillard ». Ayant envie de revivre les moments
de pure rigolade que j’avais
connus en lisant les
récits de plus en plus échevelés du scribouillard, je
l’ai d’ailleurs commandé ce matin.
L’autre
passage qui m’a frappé est celui où, après s’être déclaré
étranger à la notion de loisir il
prévient
d’éventuelles critiques en affirmant que la littérature, au
moins pour lui, ne pouvait aucunement être considérée comme un
loisir mais comme un élément essentiel de sa vie. Je lui ferai
simplement remarquer que tout loisir, quand il se transforme en
passion quasi-exclusive, que ce soit le bilboquet ou le hula-hoop,
peut
devenir « la part la plus essentielle d[‘une] existence ».
Cette sacralisation de la littérature m’est étrangère. Bien
qu’ayant passé de longues années a étudier les littératures
française et anglo-saxonnes, bien que lisant bon an mal an quelques
dizaines d’ouvrages dont je m’empresse de ne pas parler, la
littérature n’est pour moi qu’un centre d’intérêt entre bien
d’autres.
Cela
dit, il n’en reste pas moins que je recommande la lecture de ce
journal pour les raisons que j’ai dites et
que je vous souhaite une aussi bonne année que votre détachement
face aux remous externes
rendra possible.