Lors de leur récent séjour, je me
suis vu offrir par le chevalier servant de ma fille, entre autres
ouvrages consacrés au Moyen Age, la
célèbre monographie de M.
Emmanuel Le Roy Ladurie
Montaillou, village occitan de
1294 à 1324.
J’avais depuis bien longtemps oui dire le meilleur de ce livre mais
ne m’étais jamais soucié de le lire. L’occasion faisant le
larron, j’entrepris la lecture de ce pavé de
plus de 600 pages en petits
caractères qui, s’appuyant
sur le registre d’inquisition rédigé par Jacques Fournier,
évêque de Pamiers, qui entre 1318 et 1325 traqua avec zèle et
méthode les Cathares de la Haute Ariège et notamment ceux de
l’humble village de Montaillou.
Le
saint homme que sa dévotion et son ardeur à défendre la vraie foi
élevèrent à la papauté sous le nom de Benoît XII était un
habile interrogateur. Le
contenu des quelque 578 interrogatoires concernant 90 dossiers,
furent menés par lui en occitan local. Il possédait sur les
dominicains de Carcassonne qui le secondaient, l’avantage, en
enfant du pays, de parler la langue des
villageois. Malgré toute leur
bonne volonté, lors d’une précédente campagne d’éradication,
en 1308, les disciples du bon Dominique, avaient laissé passer
quelques menus poissons à travers les mailles de leur saint filet.
Monseigneur Fournier s’étant
fixé pour but de réparer cette négligence se montra donc d’une
patience infinie et, traduites en latin, les déclarations des
suspects furent consignées dans un fort volume que conserve la
Bibliothèque Vaticane. Ces sept années d’efforts menèrent à
cinq exécutions par le bûcher, 48 emprisonnements (parfois à vie)
tandis que les autres accusés recouvrèrent leur liberté. Seuls
quelques lépreux accusés d’avoir empoisonné les sources
avec de la poudre de crapaud (le lépreux ajoutant à sa malignité
foncière un
coupable entêtement à se
montrer taciturne) furent soumis à la torture suite à l’amicale
pression qu’exercèrent sur l’évêque les Dominicains.
Ce
qui inspira M. Le Roy Ladurie, au-delà des tracasseries infligées
au braves Fuxéens par la Sainte Inquisition, est que la scrupuleuse
transcription de leurs interrogatoires, permettait
de brosser un tableau détaillé de ce qu’était la vie des
habitants d’un village de la montagne pyrénéenne au début du
XIVe siècle qu’ils soient (très relativement) riches, moins bien
dotés ou pauvres. Le village est dominé par la puissante famille
Clergue : deux
frères , Pierre, curé aux mœurs perfectibles et Bernard, qui en tant
que bayle représente le pouvoir du seigneur absent y
tiennent le haut du pavé (si pavé il y a).
Leur fortune ne les tiendra pas
éloignés des tracas d'autant moins que leur pouvoir ne leur attire pas que des amitiés. Le curé sera arrêté le premier et les
efforts financiers considérables que déploiera son frère pour
qu’on le libère s’avéreront vains, le futur pape étant de la
détestable race des incorruptibles. Bernard finira lui-même
emprisonné. Constituée
en grande majorité de
bergers et de
cultivateurs parfois éleveurs
dont l’étendue des lopins
varie mais reste toujours
modeste tous les aspects de la vie de
la population villageoise,
dans ses détails les plus intimes, sont exposés au fil des
chapitres de cette étude ethnographique.
Même
s’il s’agit du travail d’un universitaire avec toutes les
notes, références et redites que le genre implique, je ne saurais
trop recommander la lecture de ce livre qui, s’il lui arrive de
manquer de légèreté, n’en demeure pas moins, grâce à certaines
remarques teintées d’humour, d’une lecture agréable et surtout
d’un grand intérêt pour qui s’attache à tenter de comprendre
les modes de vie et l’univers mental de nos lointains
prédécesseurs.
Mais
comment justifier mon titre ? La curiosité m’a poussé à
vérifier si ce village de quelque deux cents âmes
(parfois promises à la damnation) en
ce début du XIVe siècle existait toujours. Google m’indiqua que
oui, même si ses 17 habitants d’aujourd’hui sont le signe d’une
probable et imminente
disparition. Le catharisme y serait-il encore de mise ? Rien ne
l’indique. La permanence que je signalais n’est due
qu’au
fait que depuis l’an de grâce
2001, l’édile qui préside aux destinées de Montaillou a pour nom
Jean Clergue !