Ce matin, je me suis rendu chez le bon médecin pour ma
corvée trimestrielle. En fait, sans l’attente,
ce ne serait pas si désagréable. L’homme est cordial et je dois le changer un
peu des braves vieux paysans qui se pressent en masse dans sa salle d’attente.
Nous parlons de tout et de rien mais pas trop de ma santé qui ne m’intéresse
pas beaucoup. Ce matin, il a soumis à ma
sagacité l’énigme que présentait pour lui le verbe « brucher ». Un de
ses patients bruchait sans cesse, c'est-à-dire que, boitant bas, il s’emmêlait
les crayons (expression populaire pour
trébucher). J’avouai mon ignorance. Aussi, revenu à la maison, me précipitai-je
sur mon ordinateur et y tapai-je ce verbe énigmatique. Je ne trouvai rien si ce
n’est un cabinet d’avocats luxembourgeois dont un des associé portait ce beau
nom. J’ajoutai « verbe » à ma requête et je vis que « Brucher »
était une variante normande de « Broncher ». Il me fallut consulter
mon fidèle Petit Robert pour apprendre que le sens premier de ce verbe, ayant
pour étymon le latin populaire non-attesté « bruncare », était « trébucher ». Exemple : « un
cheval qui bronche sur une pierre ». J’ai failli téléphoner au bon docteur
pour lui faire part de ma découverte mais je me suis ravisé me disant qu’il
avait plus urgent à faire que de parler étymologie avec moi, du moins en dehors
de mes visites.
Comme quoi aller chez un praticien peut s’avérer utile.
Seulement cette visite avait pour but d’en préparer une
autre, celle que je dois rendre annuellement à un cardiologue. Je dis « un » et
non « mon » car n’étant en Normandie que depuis moins d’un an je n’ai
jamais rencontré le nouveau. Et c’est là que les choses se corsent car selon
mon bon généraliste, ledit spécialiste est un ennemi farouche du tabac. Ne le
sont-ils pas tous ? Seulement, celui-là aurait tendance à l’être plus que
la moyenne et à administrer à ses patients des leçons de morale. Il se trouve
que j’ai un peu passé l’âge d’en recevoir. Je crains donc une entrevue houleuse
et ça m’ennuie. S’il m’agace trop, j’ai bien peur de le lui faire savoir clairement
et qu’en conséquence nos relations s’arrêtent là. C’est tout de même curieux
cette manie des cardiologues de traiter leurs patients comme des enfants à qui
l’on aurait caché les méfaits du tabacs. Il n’y a pas loin de 50 ans que je
fume et que j’entends des mises en garde. Je ne vois vraiment pas ce qu’une
nouvelle pourrait bien m’apporter…
Demeure la possibilité que nous parlions d’autre chose, d’étymologie,
par exemple.