Lorsque je rencontre des gens, il arrive que, curieux de savoir de quelle région je suis originaire, ils me demandent d’où je suis. Je réponds généralement « de nulle part ». Je veux dire par là que je ne me sens appartenir à aucun terroir en particulier. Qu’il n’y a aucune province, région ou petite patrie où je me sente enraciné.
J’ai vécu en Bretagne, en Ile-de-France, en Orléanais, au Sénégal, en Angleterre, en Touraine, dans le Berry,en Limousin et en Normandie. Pour des raisons évidentes je ne me suis jamais senti Sénégalais ou Anglais. J’ai pu, un temps fut, me sentir Breton ou Francilien. Breton, à cause de mes parents qui n’ont jamais vu dans leur long séjour francilien qu’une période d’exil ; Francilien parce que jusqu’à mes dix-huit ans, j’ai vécu l’essentiel de mon temps en région parisienne. Mais tout ça m’est bien vite passé. Pas pour devenir autre chose. Plus de vingt ans en Eure-et-Loir n’ont pas fait de moi un Eurélien. Pas plus que huit années en Touraine ou six en Berry ne m’ont pas transformé en Tourangeau ni en Berrichon. Depuis plus de dix ans, je vis en Normandie. Il est même probable que j’y finisse mes jours. Je ne serai pour autant jamais Normand.
En réalité, plus que de nulle part, je suis de France. C’est à dire que de Dunkerque à Nice, de Brest à Strasbourg, je me sens chez moi, de manière incommensurablement plus forte que je ne pourrais en quelque autre pays. Et cela parce que ce que je partage avec mes concitoyens dépasse de loin les particularismes locaux.
A une époque où il est de bon ton de se proclamer « citoyen du Monde », je ne suis qu’un Français de Métropole. Le fait que je parle, lise et écrive anglais, que je me débrouille tant bien que mal en espagnol, n’y change rien. Ces outils, s’ajoutant à ma langue maternelle peuvent faciliter la communication dans bien des contrées mais ne sauraient, où que j’aille, faire de moi autre chose qu’un Français à l’étranger.
J’aimerais que tous les Français, anciens ou de fraîche date, prennent une nette conscience de leur appartenance à notre pays. Les anciens afin de devenir conscients de ce qu’ils ont quelque chose de fondamental à défendre, les nouveaux parce qu’ils n’ont pas vraiment de meilleur choix s’ils comptent y rester et y prospérer. Car à l’inverse de ce qu’on nous serine depuis des lustres,la France est une chance pour les immigrés, elle leur offre des opportunités que leur pays d’origine serait bien en mal de leur fournir. De plus, un descendant d’immigré de deuxième ou troisième génération se raconte des histoires quand il se croit encore Algérien, Malien ou Sénégalais. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont, comme moi, de France et auraient autant de mal à s’intégrer dans leur soi-disant pays (dont ils ne parlent souvent pas la langue) que moi en Papouasie. D’ailleurs, leur soi-disant pays est aussi impatient de les accueillir qu’ils sont pressés d’y retourner. Préférer s’enfermer dans un statut d’« étranger de France » tout en adoptant la nationalité française plutôt que de de jouer la carte de l’assimilation, n’est qu’une manière de refuser sa chance et de foncer dans une impasse.
L’assimilation demeure possible, l’ascenseur social n’est pas en panne, nous en avons de nouvelles preuves chaque jour. Seulement, il est plus facile de se complaire dans la victimisation, de blâmer un pays qui vous a accueillis plutôt que d’endosser la responsabilité de ses échecs et de fournir les efforts nécessaires à toute réussite.