Deux
commentateurs m’ont posé la question de savoir pourquoi j’avais
quitté l’Angleterre. Avant d’y répondre, encore faudrait-il
savoir pourquoi j’y suis allé. Cette histoire s’étale sur plus
de 20 ans.
En
Septembre 1971, alors que je faisais, dans le cadre de la coopération, bénéficier les populations sénégalaises de mon balbutiant
savoir, je découvris avoir pour voisine une Anglaise. Nous
sympathisâmes et puisqu’affinités nous
eûmes, il y eut plus
et nous vécûmes ensemble cette année
scolaire. La belle ayant un contrat de deux ans et le mien se
terminant, après des vacances en France et à Londres nous nous
séparâmes et l’éloignement aidant,
notre histoire tourna en eau de boudin. Toutefois, étant d’un
naturel obstiné, quand j’appris qu’existait entre le Royaume-Uni
et la France un accord prévoyant l’échange d’instituteurs (ce
que j’étais à l’époque), je posai ma candidature, laquelle fut
acceptée et je retrouvai mon amie à Londres. Hélas pour mes
projets de reconquête, elle n’y était que de passage vu
qu’elle avait obtenu un poste d’enseignante à Venise.
Je
finis par m’en consoler dans les bras d’une jeune Anglaise. Nous
avions des projets durables, mais la fin de l’année scolaire
arrivant, il me fallait rejoindre la France et l’éloignement
aidant
notre histoire tourna en eau de boudin. Je
conservai cependant des contacts avec des amis anglais et j’allai
souvent y passer mes vacances tandis qu’eux venaient nous rendre
visite.
Dix-sept
ans passèrent : six années d’études supérieures suivies de
deux ans d’enseignement puis de neuf ans de commerce qui finalement
me laissèrent dans ce qu’il faut bien appeler une merde noire.
Instance de divorce (je m’étais entre temps marié et
étais devenu père), chômage
et, cerise sur le gâteau, un endettement considérable dont
ma chère épouse avait bien voulu me laisser bénéficiaire :
la totale. Je ne voyais pas
très bien comment je pourrais m’en sortir vu que, si j’obtenais
un emploi, mes créanciers ne me laisseraient que tout juste de quoi
subsister et ce pendant des années. Autant dire qu’à quarante ans
mon avenir ne me
semblait pas brillant.
C’est
alors que, la mort dans l’âme, après bien des hésitations, je
décidai d’aller tenter ma chance outre-manche. Début 1990, un ami
m’ayant offert l’hospitalité, je trouvai rapidement un poste de
prof de français dans un des boroughs les plus pourris de Londres.
J’y fis la connaissance d’une jeune collègue (encore !) et,
après bien des vicissitudes, nous nous mîmes en ménage. Au bout de
deux ans, je démissionnai de mon poste. Je trouvai à m’occuper en
donnant des cours de français à des cadres pour une école de
langue. Le seul hic est que, comme disent les Normands, je n’y
gagnais pas l’eau de ma
soupe. Nous avions beau avoir réduit notre train de vie, rien n’y
faisait et je me trouvais dépendre financièrement de ma compagne ce
qui ne me plaisait qu’à moitié, voire pas du tout.
Mes
tentatives de trouver un emploi bien rémunéré s’avérèrent
vaines, jusqu’à ce que, suite à un entretien avec deux charmantes
dames américaines, je me voie proposer un poste en Caroline du Nord.
Bien qu’au départ elles m’aient indiqué que ces fonctions
débuteraient en septembre, par
un coup de téléphone,
quelques jours plus tard, la
responsable me demanda si j’étais prêt, sous huitaine à
m’envoler pour les USA. Je demandai un jour de réflexion. La
situation me mettait très mal à l’aise. Abandonner sans crier
gare une compagne de trois ans déjà, quelque délicat que fût son
caractère, me paraissait inélégant. Je rappelai donc la dame et
lui expliquai que le peu de délai qui m’était imparti me mettait
dans une position inconfortable mais que pour septembre c’était
d’accord car nous aurions le temps de nous retourner et que mon
amie, qui avait fait une partie de ses études aux États-Unis,
pourrait éventuellement
étudier les possibilités de venir m’y rejoindre. La dame comprit
et m’assura qu’en septembre d’autres possibilités
s’offriraient.
Sauf
qu’elles ne s’offrirent pas. Ayant démissionné de l’école de
langues, nous partîmes en vacances à Corfou d’où j’essayai de
joindre ma correspondante américaine, longtemps en vain, avant que,
l’ayant enfin contactée, elle ne m’annonçât
la triste nouvelle. Nous allâmes finir nos vacances en France, mais
l’atmosphère devenait tendue. De retour à Londres, j’écrivis à
quelques Directions Diocésaines de l’Enseignement, afin de faire
acte de candidature. Le résultat ne se fit pas attendre et le
directeur d’un établissement d’une œuvre s’occupant de jeunes
en grande difficulté me téléphona, me proposant un entretien. Je
me rendis au rendez-vous dans le magnifique château qui
abritait l’école. Ma candidature fut acceptée sous condition
d’une prise de fonction très rapide. Abandonner
sans crier gare une compagne de trois ans déjà, quelque délicat
que fût son caractère, me paraissait toujours
aussi inélégant. Seulement,
dépendre totalement de ma compagne n’était pas non plus une
solution. Je quittai donc l’Angleterre. C’était il y a un peu
plus de vingt-six ans. Bien entendu, l’éloignement
aidant,
notre histoire tourna en eau de boudin. Depuis,
je ne suis retourné que brièvement à Londres, dans le cadre de
voyages scolaires.
J’espère
que vous serez encore éveillé
après ce long récit car
je tenais à préciser qu’au-delà des anecdotes, ces séjours, que
ce soit au Sénégal ou en Angleterre, m’ont fait prendre une
claire conscience du fait que j’étais profondément Français. A
aucun moment, je n’aurais pu envisager de vivre durablement
ailleurs qu’en France et encore moins de renoncer à ma
nationalité, quelles qu’aient pu en être les raisons. Mon
attachement à ce pays est viscéral. Les soi-disant « citoyens
du monde » m’horripilent, qu’ils
ne soient jamais sorti des limites de leur canton ou qu’ils soient
de ceux qui vagabondent à travers le monde d’un emploi à un
autre. Ce sont, dans le premier cas, des gens qui nient leur nature
et dans le second des êtres sans racines, dans les deux il me semble
qu’ils sont incomplets. Quel
qu’ait été le pays où ou j’aurais pu travailler je n’aurais su y être qu’un Français de passage.
Cela
dit, cela ne m’empêche aucunement d’admirer certains aspects
d’un autre peuple, d’une autre culture. Peuple dont je ne saurais
être et culture dont je n’ai qu’un vernis. L’état actuel de
mon pays m’afflige souvent. Seulement, s’il avait la volonté de
trouver des solutions à ses
problèmes, ce n’est pas en
Suède, en Moldavie ou au Turkménistan
que le peuple français les trouverait
mais dans sa culture et ses traditions.
"j’y suit allé". Aïe… inutile de publier ce commentaire !! Une simple rectification rapide de cette faute de frappe...
RépondreSupprimerCorrigé. Merci.
SupprimerAh, vous aussi vous avez suivi des Anglaises jusque dans leur île. Encore un point commun !
RépondreSupprimerUne erreur salutaire qui m'a permis de rebondir 18 ans plus tard. Comme quoi la vie est dans le fond bien faite...
SupprimerBravo ! Où l'on voit que vous êtes français par votre attachement à nos traditions, le boudin et son eau, qui sont un peu le fil rouge de cette histoire.
RépondreSupprimerBien que vous n'ayez pas complètement tort, je vous trouve trop sévère. Car dans ce texte on devine tous les efforts qu'un jeune homme a dû consentir pour trouver sa place dans la société, ce qui va à l'encontre de l'idée qu'"avant c'était plus facile" !
SupprimerD'autre part, l'attachement de l'Oncle Jacques à la France, dans cette période où elle trouve des contempteurs au sein même de l'État, est particulièrement émouvant.
Et parvenir à tisser un fil avec de l'eau (même de boudin), ce n'est pas à la portée du premier venu !
Supprimer@ dsl: La fin en eau de boudin est celle que connaissent bien des tentatives humaines !
Supprimer@ Mildred : Jeune homme ? Vous me flattez ! Lors de mon deuxième séjour j'avais entre 39 et 43 ans, ce qui n'est pas la prime jeunesse. Le plus dur, c'est de reconstruire car jusqu'à plus de 35 ans, je n'avais connu que le succès. Mais vous avez raison : la vie n'a JAMAIS été facile.
@ Didier : "Au fil de l'eau de boudin" ferait un excellent titre pour l'autobiographie que je n'ai aucune envie d'écrire !
" En Septembre 1971, alors que je faisais bénéficier les populations sénégalaises ......pour voisine une Anglaise.....elle avait obtenu un poste d’enseignante à Venise ". C'est donc vous qui avez inspiré les chansons de l'époque du groupe Martin Circus (1971) et de Sheila (1973) :
RépondreSupprimer" Mais je crois bien que je vais me faire la malle
Dans un pays où chantent les cigales
J'vais aller m'éclater au Sénégal
Je vais me faire des tas de copines de cheval "
......
" Laisse les gondoles à Venise
Le printemps sur la Tamise
On n'ouvre pas les valises
On est si bien "
On m'a littéralement pillé ! Mais pour ce qui est des cigales au Sénégal : pas la queue d'une !
SupprimerQuant à moi, comment ne porterais-je pas les Anglais dans mon coeur, alors que mes premiers jouets et premiers livres étaient ceux de Sheila Bowden, notre petite voisine de quinze ans pendant la WW2 ?
RépondreSupprimerComment oublier son Teddy Bear et le Chummy Book dans lequel elle nous lisait des histoires, qu'elle nous avait donnés, à nous qui n'avions rien ?
Vous m'apprenez l'existence de la série des Chummy Books ! C'est l'absence de souvenirs d'enfance qui fait qu'on n'appartient pas vraiment à une culture. Je me souviens d'un film où les Anglais démasquaient un espion allemand parfaitement bilingue et cultivé en lui posant des questions sur des personnages de livres pour enfants que toutes les personnes de sa génération connaissaient et dont il ignorait tout.
SupprimerMais on peut aussi avoir plusieurs enfances successives et choisir assez tôt quelle sera sa culture de prédilection, puis se donner beaucoup de mal pour acquérir ses codes, ses manières d'être et de penser, sans pour autant renier les autres.
SupprimerPour ma part, c'est vers neuf ans que je suis arrivée en France et que j'ai décidé que je voulais être française !
C'est à vingt-quatre ans, lorsqu'un jeune anglais m'a dit que, pour lui, j'étais l'archétype de la jeune femme française, que j'ai osé me dire : "Ça y est, tu y es parvenue !"
A nous les petites Anglaises avant l'heure. Bien généreuses et compréhensives ces jeunes filles à moins que le charme français soit vraiment irrésistible; tout cela, sans ne pas soupçonner des talents personnels que la décence ne nous permet pas de détailler ici.
RépondreSupprimerEt merci pour les explications!
Le Page.
Petites, c'est vite dit : celle qui a tout déclenché dépassait allègrement mon mètre soixante quinze !
SupprimerMais quelle idée étrange, aussi, de ne mesurer qu'un mètre soixante-quinze !
SupprimerC'est que je ne voulais pas trop humilier mes parents qui étaient très petits comme c'était la mode en Bretagne àl eur époque.
SupprimerQuel est le goût de l'eau de boudin ? Voilà un sujet dont nous attendons le développement.
RépondreSupprimerLa prochaine fois que vous tuerez le cochon, goûtez-y. Je ne peux pas dire mieux, ne l'ayant pas fait moi-même.
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