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dimanche 29 janvier 2012
Les bonne lectures de Tonton Jacquot (2)
Voici la fin du texte de Marcel Aymé sur l'épuration dont je vous ai donné la première partie hier. Bonne lecture !
A part ça, le câblage avance bien.
L'originalité des tribunaux de la Résistance c'est que, tout en se débarrassant des personnes, l’État s'emparait de leurs biens. A première vue on ne saisit pas le rapport entre la confiscation des biens et le délit d'opinion, mais il faut se souvenir que nombre de Résistants ou pseudo-résistants s'étaient octroyé des situations dans la politique, dans l'administration, dans le journalisme et même dans les Lettres. Ces situations, ils entendaient en jouir en toute quiétude. Ayant fait condamner à la prison ceux qu'ils avaient supplantés dans leurs emplois, ils voulaient encore que ces malheureux, au jour lointain de leur libération, fussent jetés sur le pavé sans un toit, sans un meuble, sans un sou et dans un tel état de misère qu'il leur fût impossible de rien entreprendre. Supplémentairement, les tribunaux frappaient les gens qui s'étaient rendus coupables du délit d'opinion d'une peine « d'indignité nationale », apparemment anodine, mais interdisant l'accès à la plupart des professions libérales et commerciales. A une époque où les criminologistes se soucient de plus en plus, pour les délinquants, de faciliter leur réadaptation à la vie normale, il est remarquable que le gouvernement de Gaulle ait voué au chômage et au désespoir les « criminels » convaincus du délit d'opinion. Il faut croire que cette préoccupation était d'ordre majeur chez nos maîtres résistants, car ils n'abandonnèrent pas aux seules cours de justice le soin d'empêcher leurs ennemis d'exercer un métier qui pût servir de tremplin à une activité politique. Il y eut des espèces de juridictions professionnelles qui éliminaient les indésirables (en même temps, les syndicats, par exemple dans le journalisme et le cinéma, multipliaient les barrières interdisant l'accès à la profession, si bien qu'aujourd'hui encore on se croirait revenu aux temps d'avant 89, en plein régime corporatif), les condamnant au chômage, à temps ou à vie.
A côté de ces comités d'épuration et les épaulant, il y avait des associations de rabatteurs et de poulets auxiliaires qui se chargeaient de subodorer le délit d'opinion et de livrer les suspects à la police. Par exemple, le C.N.E. (Comité national des écrivains) publia une liste de coupables, dénonçant ainsi des confrères à la justice et réclamant à grand tapage les plus durs châtiments. Puissamment orchestrée, la délation avait à son service d'autres bourriques qui travaillaient dans la presse et il y avait même, suscités par la peur, des initiatives privées, des poètes indicateurs ou des mouches du roman psychologique, qui bavaient spontanément des injures et des calomnies sur leurs confrères en difficulté. C'était comme un grand concours d'ignominie.
La Société des gens de Lettres, sans oser la moindre protestation, se laissait imposer un général qui venait dans ses murs présider une commission d'enquête. L'Académie française se déshonorait fiévreusement en éjectant de son sein les écrivains persécutés qu'elle avait révérencieusement traités sous l'occupation. A l'Académie Goncourt, la peur et la prudence se doublaient d'un empressement servile dans l'accomplissement des basses besognes d'auto-épuration.
Dans le cinéma, il y eut une procédure bien particulière. On fit comparaître devant un tribunal, composé de travailleurs manuels de la profession, tous les metteurs en scène, scénaristes et dialoguistes. Pour ma part, ayant vendu un scénario à la Continental-Films (société allemande), je fus condamné à un « blâme sans affichage », ce dont je fus avisé par un pli de la Préfecture de la Seine, mentionnant expressément que cette sanction m'était infligée « pour avoir favorisé les desseins de l'ennemi ». Or l'année dernière, donc trois ans plus tard, le ministre de l’Éducation nationale me manifestait son désir de me décorer de la Légion d'honneur et, vers la même époque, M. le Président de la République croyait devoir m'inviter à l’Élisée. Par respect pour l’État et pour la République, il me fallut refuser ces flatteuses distinctions qui seraient allées à un traître ayant « favorisé les desseins de l'ennemi ». Je regrette à présent de n'avoir pas motivé mon refus et dénoncé publiquement, à grands cris de putois, l'inconséquence de ces très hauts personnages dont la main gauche ignore les coups portés par la main droite. Si c'était à refaire, je les mettrais en garde contre l'extrême légèreté avec laquelle ils se jettent à la tête d'un mauvais Français comme moi et pendant que j'y serais, une bonne fois, pour n'avoir plus à y revenir, pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens.
Je n'ai rapporté cette histoire personnelle que parce qu'elle témoigne du mépris dans lequel nos gouvernants tenaient eux-mêmes et tiennent encore la Justice qu'ils nous ont fabriquée. J'imagine que chaque fois qu'un tribunal envoyait un homme à la mort pour délit d'opinion, ils devaient échanger des clins d'œil espiègles, car ils savaient ce qu'ils faisaient.
Ils savaient où ils allaient et ils sont arrivés où ils voulaient. Aujourd'hui la notion de délit d'opinion est profondément ancrée dans l'esprit des Français de tous âges. Chacun se montre prudent et personne ne bronche. D'ailleurs, les cadres de la nation ont été, pour une part, fusillés, embastillés, réduits à l'exil, au chômage, au silence. Une autre part a été nantie et, par là, réduite au silence aussi. Reste le troupeau des suiveurs, des indifférents de toujours et des anciens collabos convertis par la peur au gaullisme et au communisme. On ne voit pas, dans ces conditions, d'où viendrait aux Français le goût de s'exprimer librement. En fait, la liberté d'opinion n'existe pas en France, et il n'existe pas non plus de presse indépendante. Nos journaux sont douillettement gouvernementaux et il n'est pas jusqu'aux journaux communistes qui ne se montrent soucieux de respecter nos hommes d’État dans leurs personnes, fussent-ils des coquins avérés, et il n'y a pour ceux-ci rien de plus important. Au moins l'Humanité défend-elle un point de vue et une doctrine. Tous les autres journaux, je veux dire non-conformistes, ne se distinguent les uns des autres que par des nuances exquises que bien souvent les hommes du métier sont seuls à pouvoir apprécier. Voilà pourquoi Le Crapouillot, en dépit de sa prudence, de son souci manifeste de ménager la chèvre et le chou, fait figure de périodique indépendant et même audacieux. Ainsi, grâce à l'épuration, grâce à la très ferme répression du délit d'opinion et à tant de nos grands écrivains qui lui ont prêté leur plume, c'est dans des ténèbres soigneusement entretenues depuis six ans que la France marche par des chemins bordés de précipices où il est miraculeux qu'elle ne soit pas déjà engloutie ».
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Je ne sais plus très bien que penser...
RépondreSupprimerDéveloppez...
SupprimerCe moment sublime de notre histoire s'appelait l' épuration et les communistes surent l' utiliser à leur seul avantage en éliminant les témoins de leur collaboration avec les nazis.
RépondreSupprimerL' Humanité fut le seul quotidien qui parut sous l'occupation jusqu'à l' invasion de l' URSS et cela permet d'oublier que l' Armée rouge eut des contacts extrêmement privilégiés avec la Wehrmacht.
L'histoire est écrite par les vainqueurs.
Bien entendu, les vainqueurs écrivent l'histoire. De là à ce qu'ils s'autorisent à agir au mépris des principes élémentaires du droit, il y a un pas (Grand, en l'occurrence).
Supprimerqui etait là pour juger de la situation? on ne reecrit pas l'histoire, les historiens sont là pour ça, meme si leur version est impregnée de leur propre histoire.... aujourd'hui, c'est bien pareil, sauf que le langage a changé, c'est celui des chiffonniers !!
RépondreSupprimerJe ne suis qu'un paysan inculte : pourquoi tonton Jacquot?
RépondreSupprimerTonton Jacquot ? Eh bien parce que je m'appelle Jacques, que je ne suis pas de première jeunesse, que je trouve que cette manière de me nommer convient à mon sens de l'auto-dérision et que ça rappelle aux plus anciens "Les bonnes histoires de l'oncle Paul" qui paraissaient dans Spirou, je crois, dans les années 50-60...
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