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jeudi 7 août 2014

Explication de texte



 Dans un billet divertissant, Didier Goux se gaussait des universitaires qui encombraient les oeucres de notes de bas de pages aussi insipides qu'inutiles. Il est cependant possible, grâce à des notes érudites et profondes d'apporter un supplément de sens aux grands textes. C'est le défi que j'ai voulu relever en ajoutant des notes de bout de ligne*   au magnifique texte immortalisé par l'immense Pauline Carton
* j'aime mieux vous dire que ce n'est pas de la tarte de les placer en tapant le texte dans blogger car quand on publie, se produisent d'inexplicables changements de mise en page auxquels je n'ai pas toujours pu remédier.

Et voilà le travail : 

Sous les palétuviers

[Pedro]:
L´amour, ce fruit défendu 1                                      1 Référence à la confusion généralement 
entretenue entre le fruit de l’arbre de la
Vous est donc inconnu?                                           
connaissance du bien et du mal et le péché de chair.
Ah! Cela se peut-il,                                                   
Joli petit bourgeon d´avril 2?                                    2 Le poète compare métaphoriquement la jeune femme à la
promesse
[Honorine]:                                                            
que représente un bourgeon printanier que seul l'amour saura faire s'épanouir.

Ah! Je ne l´ai jamais vu,
Jamais vu ni connu,
Mais mon cœur ingénu
Veut rattraper, vois-tu,
Tout le temps perdu 3!                                              3 Elle a littéralement le feu au cul !

[Pedro]:
Ah! Rien ne vaut pour s´aimer
Les grands palétuviers 4,                                          4 Le palétuvier, arbre caractéristique de la mangrove offre en effet un abri idéal
Chère petite chose5 5!                                               aux amoureux, le chant des crapauds buffles couvrant leurs plaintes
                                                                                langoureuses
[Honorine]:                                                              5 En ces temps heureusement révolus, la femme était souvent considérée
Ah! Si les palétuviers,                                              comme un objet (ici de désir) !
Vous font tant frétiller 6,                                             6 Pedro, éperdu d'amour, est  excité comme une queue de chien.
Je veux bien essayer...

{Refrain:}
[Pedro]:
Ah! Viens sous les pa...

[Honorine]:
Je viens de ce pas,
Mais j´y vais pas à pas!

[Pedro]:
Ah! Suis-moi veux tu?...

[Honorine]:
J´ te suis, pas têtu´,
Sous les grands palétu...

[Pedro]:
Viens sans sourciller,
Allons gazouiller 7                                                                                 7  D'abord simple bourgeon, Honorine passe soudain du statut d'objet à
Sous les palétuviers
                                                                             celui d'objet d'amour (cf.. "Viens Poupoule ou Ah, si vous connaissiez ma                                                                                                                       pou-ou-ou-ou-ou-ou-le"

[Honorine]:
Ah! Sous les papa papa
Sous les pa, les létu,
Sous les palétuviers...

[Pedro]:
Ah! Je te veux sous les pa,
Je te veux sous les lé,
Les palétuviers roses...

[Honorine][Pedro]:
Aimons-nous sous les palé,
Prends-moi sous les létu 8 ,                                                  8 L'homophonie pourrait faire penser qu'Honorine voudrait pratiquer le
Aimons-nous sous l´évier 9!...                                               le coït sous des salades ! Idée amusante mais difficilement applicable;
                                                                                           9 Faire l'amour dans des endroits improbables autant qu'inconfortables
{Fin du Refrain}                                                                  est un fantasme récurrent qui parcourt notamment les œuvres de Proust
                                                                                           de Mauriac ou de Heidegger.
{2ème couplet:}

[Pedro]:
Ah! Ton cœur me semble encor´
Hésiter cher trésor 10,                                                           10 Métaphore hardie qui attribue à Honorine une valeur immense :
Mais je veux tout oser                                                          Pedro, pour arriver à ses fins recourt à la flagornerie !
Pour un p´tit, tout petit baiser!

[Honorine]:
Un vertige m´éblouit,
Un baiser c´est exquis!...
Même un p´tit tout petit,
Je crains d´être pour lui
L´objet du mépris 11 !...                                                         11Une tradition machiste, heureusement révolue, voulait qu'après
                                                                                             être parvenu à ses fins, le séducteur méprisât sa conquête (cf. le
[Pedro]:                                                                                 "Maintenant que je l'ai sautée, elle peut aller se faire voir chez
Non, le mépris, je t´en prie,                                                    plumeau" in Blaise Pascal, Correspondance)
Ce n´est pas dans mes prix,
Car je suis pris 12, mignonne!...                                               12 Notons la savoureuses utilisation des homophones (Prie, prix,pris)

[Honorine]:
Ah! mon coeur est aux abois 13,                                           
13 Métaphore de vénerie faisant d'Honorine une biche à la merci 
 tu peux prendre ô mon roi 14                                                du métaphorique chien qui la poursuit de ses ardeurs (cf notes 6 et 18) 
Mon corps au fond des bois 15...                                           14 Honorine se veut l’obéissante sujette d'un Pedro qui règne sur ses
                                                                                             sens.
{au Refrain}                                                                         15 Ainsi se confirme la thématique empruntée à Alfred de Vigny (cf.    
                                                                                            la mort du loup et le son du cor)
{3ème couplet:}

[Pedro]:
Près des arbres enchanteurs
Viens goûter les senteurs
Ce cocktail où se mêlent
Le gingembre avec la cannell´

[Honorine]:
Oui c´est l´effet du tropique
Qui me pique, pic, pic, pic 16...                                                 16 La reprise du verbe "pique" par l'onomatopée "pic", reprise trois
Je sens les muscadiers,                                                             fois, ajoute à la scène une touche de réalisme.
Je sens les poivriers
Et les bananiers!...

[Pedro]:
Le parfum des néfliers
Et des doux pistachiers17                                                                             
17 L'énumération d'essences et de plantes tropicales renforcent
N´ vaut pas l´étuvier tendre...                                                   
l'impression de réalisme esquissée plus haut (cf. note 16)
[Honorine]:
Tous ces arbres tropicaux
Vous incitent aux bécots,
Allons-y mon coco!...

{au Refrain}

Si je comprends bien
Tu me veux mon chien18                                                                                    18 Honorine rompt avec ses réticences évidemment feintes
Sous les grands palé...                                                                  et reconnait en Pedro l'animal lubrique susceptible d'assouvir
Tu viens!..                                                                                    ses désirs bestiaux (cf. note 3)                                                          .

23 commentaires:

  1. Je vous garantis un énorme succès avec ce billet hilarant !
    Didier va pouvoir aller se rhabiller !

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    1. Il n'existe aucune compétition, simplement une complémentarité.

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    2. Dans mon commentaire d'hier, qui s'est évaporé mystérieusement avant que d'arriver ici, je disais que ce billet était moins hilarant que vos lecteurs ne le croiront en le lisant, dans la mesure où il ne caricature qu'à peine, mais vraiment à peine, les véritables notes que je suis en train d'endurer dans le Gautier. Ce n'est du reste pas votre faute : quand les cuistres deviennent spontanément leur propre caricature, il devient difficile de faire mieux et plus drôle qu'eux-mêmes.

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    3. C'est en effet une gageure que de faire mieux que certains. Une chose qui m'amusait également, c'était les questions du Lagarde et Michard du genre : "Montrez que les adjectifs lugubre, désolé,funèbre et sinistre participent au deuxième paragraphe à créer une ambiance de tristesse"

      Cela dit, ces manuels avaient au moins l'avantage de fournir au lycéen de base la possibilité d'acquérir quelques notions d'histoire de la littérature française.

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  2. Merci pour ces notes aussi sobres que savantes. Elles renouvellent notre perception de ce texte-phare de notre littérature qu'est "Sous les palétuviers", texte souvent ignoré voire méprisé par une partie de la critique universitaire (en particulier les néo-barthésiens et les paléo-lacaniens). Certes la référence à Heidegger est un peu convenue mais la citation tirée de la correspondance de Pascal jette une lumière crue sur les jeux et enjeux cachés de ce poème.
    Merci encore.

    Almart

    P.S. Pourriez-vous préciser la date et le/la destinataire (Jacqueline, sa soeur, sans doute ?) de la lettre du pauvre Blaise ? Avec ma reconnaissance anticipée.

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    1. Heureux d'avoir éclairé votre lanterne. Hélas, je serais bien en mal de vous donner plus de précisions sur la date et le destinataire de cette lettre ayant égaré mon rare exemplaire du "Complément aux Provinciales, lettres de Louis de Montalte à des pote à propos de quelques grognasses"

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  3. Le texte n'est rien sans l'interprétation de Pauline Carton qui sait exprimer toutes les finesses que vous soulignez si doctement. Heureusement! Car s'il avait fallu les inclure dans des notes en bas d'écran, le plaisir du spectateur en eût été amoindri.

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    1. Il est vrai que par son jeu, ses intonations et sa chorégraphie Pauline parvient à exprimer bien plus que le texte n'en dit.

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    2. L'interprétation de Marie Laforêt était également savoureuse, quant au duo Jacques Martin et Diane Dufresnes, elle vêtue en sauvageonne, lui en habit colonial, elle était tout simplement drôle. Aujourd'hui, elle serait tout simplement censurée pour apologie du colonialisme et autres fadaises.

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  4. Ce travail devait être accompli un jour ou l'autre, merci de vous y être attelé.
    Il apparaît clairement que l'érotisme étourdissant qui émanait de cette chère Pauline se trouve ici
    sublimé par un texte dont les subtilités méritaient une analyse aussi affinée qu'un vieux camembert
    de Normandie.
    Avec mes respectueuses salutations.

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    1. Merci, Nouratin ! Mon long travail de recherches se voit justifié par un tel commentaire.

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  5. Merci. J'aimais déjà beaucoup ce texte. Vos notes me le rendent encore plus cher.

    Majeur


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  6. J'espère que toutes les universités vont très vite vous nommer docteur honoris causa!

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    1. Si ces doctorats s'accompagnaient d'un prix richement doté ce serait parfait !

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  7. quel travail magnifique, j'entendais encore la voix sucrée de l'inénarable Pauline Carton, hélas complètement ignorée de nos jours par nos jeunes générations qui ne savent plus admirer les textes classiques
    vraiment, félicitations !

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  8. Que ne vous-ai je point connu au début des années 80, avec cet exemple magistral j'aurais eu mon "bac de français" !...

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    1. Je n'en doute pas mais à ce moment j'avais abandonné l'enseignement pour le commerce... Il n'est jamais trop tard pour bien faire, cependant...

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  9. C'est bien ce que j'écrivais chez Monsieur Goux, les notes quelque soit l'endroit où elles se trouvent sont d'un ennui même si ces dernières sont de qualité.

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    1. Elles peuvent avoir leur utilité mais il est vrai qu'elles perturbent la lecture.

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  10. Absolument hilarant ! et finalement ce n'est pas si mal la note juxtaposée, l'œil ne se perd pas

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    1. Certes, mais les mettre en place n'est pas chose aisée...

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