Dans le fond, entre nous, qu’est-ce qu’on en a à foutre que
la fille de joie soit triste ou hilare au coin de la rue là-bas (ou Labat,
grammatici certant), que quand il la prend dans ses bras, qu’il lui parle tout
bas, elle voit la vie en rose en vert ou en bleu-canard, qu’il ait porté des culottes,
des bottes de moto, un blouson de cuir noir avec un aigle sur le dos plutôt qu’un
costume trois pièces en tweed, que Milord vienne ou pas, que son Dieu le lui
ait laissé un jour, deux jours ou quatre-vingt-sept ans, qu’il lui ait fait
tourner la tête ou la cheville, qu’elle n’ait rien ou tout regretté, que Johnny
ait été un ange ou un marchand de couleurs, qu’elle ait essuyé les verres au
fond du café ou servi des hamburgers chez MacDo, que le pauvre Jean n’ait pas
été aimé des femmes ni des travelos de chez Michou, que cet air la poursuive
jour et nuit ou qu’il ne le fasse qu’un week-end sur deux et la moitié des
vacances scolaires, que de l’autre côté de la rue il y ait une fille, une belle
fille ou un bureau de tabac, que si un jour la vie l’ait arraché à elle, qu’il soit
mort, qu’il ait été loin d’elle, elle soit morte ou se soit acheté un sac à main en peau de
lézard, que son légionnaire ait senti le sable chaud ou le bouc, que ces soit à
Hambourg ou à Romorantin-Lanthenay ?
C’est pas nos oignons, pas vrai ? Si vraiment ça l’intéresse,
elle s’en démerde et elle nous fout la paix.
C’est un peu pareil avec toutes les chansons. Et s’il n’y
avait que les chansons ! Pourtant, on a parfois l’impression que ça nous
parle, que c’est un peu à nous qu’elle s’adresse, qu’on est un rien
accordéoniste, qu’on aime à en voir la vie changer de couleur, qu’on partage le
deuil de Marie-Lou, qu’on est triste
comme un lord quand s’éloigne le navire, qu’on voudrait garder celui ou celle
que la vie nous arrache, que l’autre est notre manège, qu’on va repartir à
zéro, qu’on est tombé sur une charogne, qu’un pacte suicidaire c’est triste mais
beau, que sans amour on n’est rien du tout, que padam padam, padam, qu’on est
peut-être un tas mais qu’on vaut largement la fille d’en face, qu’on mourirait*
d’amour et que dans le ciel Dieu Il nous
réunirait, que la légion c’est quelque chose ou qu’on a été un peu pute à
Hambourg. Et il arrive qu’on en ait la chair de poule.
Tout ça par le truchement de la voix miraculeuse d’une
micro-bonne femme d’un mètre quarante-sept, morte il y a un demi-siècle. Fallait-il qu’elle
en ait eu du talent pour éveiller en nous la midinette! Et puis d’abord, elle n’est
pas morte. On ne connaissait que sa voix, ses chansons. Elles sont toujours là.
Elle est encore là.
*Faute volontaire !
Très joli texte.
RépondreSupprimerMerci Didier, d'un fan d'Édith comme vous, c'est un beau compliment.
SupprimerJe plusssoie !
RépondreSupprimerLa seule chanteuse qui me donne des frissons et ce n'est pas une expression.
Heureuse de l'hommage qui lui a été rendu un peu partout sur toutes les chaines de télé, et qui m'a permis de mieux la connaitre, quelle vie que la sienne !
Elle vivait ce qu'elle chantait, il n'y avait pas de second degré avec elle, voila son secret.
Sophie
Pas de second degré ? Possible. Il me semble cependant que ses chansons donnent de ce qu'elle fut une vision édulcorée.
SupprimerLa musique de Milord est de Marguerite Monnot, enfant-prodige et compositeur d'exception. Il suffit d'ailleurs d'écouter la bande orchestrale seule, sans les paroles, pour s'en convaincre.
RépondreSupprimerLes paroles de Moustaki ont eu une résonance particulière sur Piaf puisqu'elle vécut une partie de son enfance chez sa grand-mère en Normandie qui tenait un claque.
(Chronique de Philippe Manière cematin sur France-cul)
Texte et musique, quand ils savent s'accorder font la qualité d'une chanson. Sur l'air de "Je te fais pouet pouet" les paroles de Moustaki perdrait beaucoup comme la musique de M. Monnot accompagnant les paroles d'une chanson de Carlos prendrait un air nouveau. Et puis, peut-être et surtout, il y a la voix de Piaf qui transcende le tout.
SupprimerTrès beau texte, Jacques !
RépondreSupprimerMerci, Michel ! On fait c'quon peut...
SupprimerComme a dit un jour un certain Aznanvour; " Si elle était présent de nos jours,elle nous enterrerait tous".
RépondreSupprimerBravo, Jacques
Merci Grandpas ! On dirait que votre machine à doubler ou à tripler est en panne...
SupprimerIl faut assez peu de talent pour "éveiller la midinette" en vous, Jacques ! Vous dormez si peu.
RépondreSupprimerVous êtes un fin psychologue, Léon ! Alors que dans "la vraie vie" tant de gens m'ont reproché de tout tourner en dérision et même d'être cynique, sans vraiment me connaître vous avez tout de suite vu les tréfonds innocents de mon âme. Bravo l'artiste !
SupprimerJ'aime beaucoup votre texte
RépondreSupprimerMerci, Athéna !
SupprimerOui, c'est tout à fait cela, je suis bien d'accord.
RépondreSupprimerUn miracle qui n'arrive qu'une seule fois, la voix, le talent et un je ne sais quoi, en plus, qui fait toute la différence. L'invention de l'enregistrement sonore a engendré l'immortalité, dans des cas comme celui-là c'est une bénédiction.
Amitiés.
Un miracle, oui.
SupprimerSur France-culture, ce matin, Philippe Meyer a consacré sa chronique à Marguerite Monnot, comme le rappelle Laotseu plus haut. Un aimable petit coup de projecteur à cette compositrice qui a su si bien s'entendre avec Piaf.
RépondreSupprimerSur "Entre-Temps", ce même matin 4 reprises de Piaf par Mireille Mathieu et Alexis Kireliov. J'en suis encore toute remuée. Bien-sûr la qualité d'enregistrement actuelle nous prive des composantes "parasites" de la voix sublime de Piaf, mais la sincérité et l'émotion sont intacts.
SupprimerMeyer effectivement. L'autre n'est pas mal non plus.
SupprimerJe lis, je relis votre texte. Je sens comme un manque, mais je ne regrette rien de la lecture.
RépondreSupprimerEtrange impression...
Popeye
J'ai encore relu. Et maintenant il ne me manque rien, rien de rien
SupprimerPopeye
Je chante Piaf depuis l'âge de onze ou douze ans.
RépondreSupprimerJe hurlais en raclant la gorge et en roulant les R pour me moquer.
Cela devait avoir un certain effet comique car la famille était pliée de rire.
Avec le temps, j'ai continué mais en me moquant de moins en moins.
Et maintenant je ne me moque plus du tout.
J'aime Piaf à tel point que je ne peux regarder aucun film de fiction où une actrice joue son rôle et je déteste entendre d'autres chanteuses qu'elle, interpréter ses chansons.
Vous l'avez très bien honorée avec ce texte très sensible.
Bravo !
Merci. Heureux qu'une "fan" comme vous ait apprécié mes modestes efforts. Ce texte fut écrit cette nuit, après que j'eus vu le documentaire sur Piaf de la 3.
SupprimerTrès bel hommage Jacques
SupprimerTrès bel hommage Jacques
SupprimerOn ne le dira jamais assez ! Merci Erwan !
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