Le premier miracle de Saint Marcelin me fut inspiré par un des intervenants du forum sur lequel les chroniques furent d'abord publiées. Gauchiste fervent, il fustigeait le néo-libéralisme avec une constance et une violence qui n'avaient d'égales que l'indifférence et les sarcasmes que ses interminables copiés/collés suscitaient.
Tout ça
est bel et bon, me direz-vous, mais en quoi Marcelin était-il un saint ?
Sans parti
pris, émanciper ses serfs, leur offrir des conditions de vie décentes,
favoriser le développement économique d’un petit coin de France, c’est déjà pas
mal. Si tous les saints du calendrier en avaient fait autant, on n’en serait
pas là.
Durant
leur longue vie de passion, la coquine Guenièvre et le robuste Marcelin s’envoyèrent
si souvent en l’air qu’on pouvait considérer à juste titre que le (septième)
ciel était leur résidence secondaire. De là à y prendre leur retraite, il n’y
avait qu’un pas…
Et
puis il y eut les miracles…
Un peu
avant l’an Mil, alors qu’il prenait en compagnie d’une Guenièvre plus dodue mais
toujours aussi souple et inventive le proverbial « café du pauvre », on amena
au vigoureux septuagénaire un bien curieux personnage
.
Depuis
quelques années, en proie à une folie millénariste, hirsutes, le regard perdu,
quelques prêcheurs fous parcouraient les campagnes, annonçant une prochaine
apocalypse. Leurs discours enflammés appelant à la repentance faisaient plutôt
sourire qu’ils n’effrayaient. On ne les écoutait pas beaucoup plus qu’on
n’écoute aujourd’hui José, Olivier ou Arlette… Mais le personnage qu’on amena
ligoté et bâillonné au Sire de la Riche-Motte était plus inquiétant.
Jehan-Michel
d’Amiens, comme il aimait qu’on le nommât, jadis apprenti clerc, avait jeté le
froc aux orties avant de terminer ses études. Les bribes de savoir mal digérées
qui se bousculaient dans son esprit affaibli par les constantes courses qu’il
s’imposait en pénitence l’avaient amené à « identifier » l’ennemi. Selon lui,
ce n’étaient pas les quatre cavaliers, ni les armées de Gog et Magog qui
allaient ravager la chrétienté. Comparés à la vraie menace, ces derniers
paraissaient bénins. Ce nouveau Léviathan avait pour nom « Néo-féodalisme » !
Il détruirait tout avant de se détruire ! Ainsi divaguait l’Amiénois par monts
et par vaux, invectivant les rieurs au passage.
Depuis
quelque temps, il s’était installé dans ce qui restait de la Forêt de
Chaude-Touffe. Il s’y livrait à un curieux manège. Dans sa vieille bible, il
cherchait les passages qui lui semblaient en rapport avec « Néo ». Il les
copiait ensuite sur des parchemins regrattés (ou palimpsestes) qu’il se
procurait Dieu sait comment. Ensuite il courait les coller sur la colonne du
carrefour de Vains-Escrits où traditionnellement s’affichaient les nouvelles
intéressant la communauté.
Au début, certains les lurent, puis, vu leur manque
d’intérêt, on les recouvrit sans s’en donner la peine.Le pauvre
garçon, pour toute réponse multiplia ses copies et ses collages au point qu’il
arriva que des avis importants en fussent masqués. Dès lors on pria le faux
ermite de s’abstenir de tant coller. Il prit la chose très mal, traitant ses
détracteurs d’injures bizarres, de lui seul connues… Les choses empirèrent, il
se fit violent, on dut intervenir.
Quatre hommes maîtrisèrent à peine le
forcené qu’on amena au seigneur. Quand on lui ôta son bâillon, sur ordre de
Marcelin, mêlé à un flot de bave jaune-verdâtre, sortit de sa bouche un
discours inarticulé autant que véhément où semblait revenir sans cesse les
syllabes « Né-o » tandis que tel un vers coupé il s’agitait dans ses entraves.
Le
seigneur ordonna qu’on les laissât seuls. Nul ne sait ce qu’il se passa. Mais
les quatre hommes qui se tenaient prêts à intervenir derrière la porte virent
bientôt ressortir un Jehan-Michel apaisé qui prit congé de son hôte en le
remerciant. Dès le lendemain il s’installa dans une maison. Son lopin défriché,
il prit femme, fonda une belle famille et vécut le reste de son temps en
personne honorable.
De tels
miracles ne s’expliquent. Marcelin se vit attribuer la qualité de thaumaturge et
ça marcha.
Rendre la
parole aux muets, redresser les bossus, faire marcher les paralytiques, dénouer
les aiguillettes, guérir la lèpre, la galle, les chancres divers, la danse de Saint-Guy
devint routine. De tout le pays et d’ailleurs on accourait vers Marcelin en
dehors des heures de la sieste où il recevait la seule Dame Guenièvre, quelques
heures quand la nuit avait été folle, plus longuement en cas de nuit plus sage…
Mais le
plus étonnant des miracles fut lorsqu’il changea l’eau de la fontaine en
bouillette. D’autant plus étonnant qu’à l’époque personne n’avait jamais
entendu parler de bouillette.
Ce qui
surprit d’abord Paul le bouvier fut la démarche de son chien. Celui-ci semblait
tituber. Il allait signaler ce fait étrange à sa belle mère qui l’avait amené avec
elle à la fontaine, lorsque cette dernière, le prenant dans ses bras,
l’embrassa comme du bon pain en lui disant qu’elle l’aimait et que s’il n’y
avait pas eu sa fille… Paul fut étonné. Jusqu’ici, la vieille bique ne lui
avait donné que peu de signes d’affection. A moins que « bon à rien » et «
feignant » n’eussent été des formes codées du discours amoureux. D’autre part
elle empestait l’alcool. Ce qui était singulier. A 10 heures du matin !
D’ordinaire, la vioque était rarement schlass avant 14 heures !
Après
s’être enquis de ce qui avait pu mettre belle maman dans un état si jovial et
s’être vu répondre qu’elle s’était rafraîchie à l’eau de la fontaine,
désespérant de tirer un mot sensé de la pocharde, Paul lui prit des mains la
cruche quelle rapportait. Il y but une rasade. Puis une autre. Il y avait
quelque chose dans cette eau… Quelque chose de fort et doux à la fois… Et pas
cette insipidité ordinaire qui pousse le sage à éviter ce breuvage. Il sentit
une joie mêlée de désir monter en lui. Très vite il courut vers la fontaine
vérifier que l’eau qui en coulait était la même. Et c’était le cas. Afin d’en
être certain, il la goûta de nouveau. Pas de doute possible. Il ameuta la
population qui accourut…
Des jours
durant les moins flageolants se relayèrent pour aller quérir le précieux
liquide à la fontaine. La communauté résonnait de cris orgasmiques car la
bouillette a pour triple avantage de bien saouler, de rendre amoureux et de
n'entraîner aucune gueule de bois…
C’est
ainsi que commença ce qui reste dans les mémoires comme la Grande Cuite de 1007
et dont nous devrions arroser le millénaire prochainement*. Marcelin avait
voulu, pour célébrer ses 80 ans, offrir ce petit plaisir au village. Attention
touchante. Et appréciée.
Mais toute
chose a une fin. Au bout de deux semaines de libations, l’eau se remit à
couler. On retourna au travail. Certains consacrèrent beaucoup de leur temps à
essayer de retrouver la formule du merveilleux breuvage. Malheureusement, la
bouillette de synthèse ne s’approcha jamais de la bouillette miraculeuse.
Encore aujourd’hui quand de son alambic clandestin un vieux distillateur
parvient à sortir un nectar d’exception, il est de tradition de lui dire qu’ «
on dirait de la 1007 ». Bien sûr, l’intéressé sait qu’on lui ment, mais aussi
que le compliment est sincère…
Marcelin
et Guenièvre moururent passé cent ans. Un jour, leur sieste s’éternisa. Leurs
enfants, petits enfants, arrières petits enfants, arrière arrière petits
enfants, serviteurs et candidats aux diverses guérisons, s’attroupèrent devant
la porte de leur chambre à mesure que s'écoulait le temps. Deux jours
passèrent. Ne sortait de la chambre que de faibles gémissements extasiés. On
retint son souffle. Thibault Forte-Tige, leur fils aîné, finit par conclure que
quelque chose d’anormal se passait. Les gémissements étaient plus faibles que
ceux qu’émettaient d’ordinaire ses parents lors de leurs entretiens. Il finit
par ordonner qu’on enfonçât la porte.
On trouva
les deux vieillards couchés sur le dos, l’un près de l’autre, se tenant la
main. Leurs yeux grand ouverts exprimaient une félicité surnaturelle. Leurs
poitrines se soulevaient rythmiquement en exhalant de faibles cris d’extase. On
en conclut que suite à un orgasme particulièrement carabiné, les deux braves
vieux étaient restés scotchés. On décida de les veiller. Leur « agonie » dura
dix jours. Enfin, le dernier soir venu, serrant la main de sa compagne,
Marcelin prononça ses dernier mots : « Viens, Guenièvre, on va continuer ça
là-haut » à quoi sa Dame répondit : « J’arrive, Marcelin! ».
Ainsi
mourut Saint Marcelin.
*Eh oui, ce
texte fut écrit il y a six ans au moins. Comme le temps passe !
L’histoire
de sa « canonisation » fera l’objet d’une prochaine chronique.
Enfin un saint égrillard !
RépondreSupprimerSaint... Oui, enfin, presque... J'en reparlerai.
SupprimerLa grande cuite de 1007! On l'a commémorée, en effet, en 2007 avec
RépondreSupprimerla grande cuite du Fouquet's qui restera dans les mémoires comme un
des plus hauts fait de Saint Nicolas le Petit...mais question miracle, ça ne valait pas Marcelin.
Amitiés.
Je ne vous suis pas là, cher Nouratin. Je n'ai jamais bien saisi ce que ce passage au Fouquet's pouvait avoir de scandaleux.
SupprimerMisère ! Deux commentaires ! Deux bonnes âmes ! Merci à eux !
RépondreSupprimerLéon, sors de ce corps !
Supprimer"Non, non, non, non, Marcelin n'est pas mort
RépondreSupprimerCar il bande encore ...."
Pourquoi ce qui appartient à Marcelin a-t-il été attribué à Saint Eloi?
Mystère de l'hagiographie!
Cher Pangloss, en tant qu'hagiographe, je puis vous dire que rédiger une vie de saint n'est pas de la tarte. Il faut savoir preuve d'indulgence envers de menues erreurs...
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