Il fallait encourager les racontars stupides des paysans. Mieux,
il fallait les répandre. Jusqu’à ce que Rome les entérine.
Thibault Patte-Croche encouragea en sous-main la propagation des
rumeurs les plus folles. Ainsi, ce rêve d’ivrogne de la fontaine de bouillette
prit corps. Pourquoi se gêner? Ne racontait-on pas qu’Odilon, le vieil abbé de
Cluny pouvait changer l’eau en vin ? Un peu plus, un peu moins… Quand on est
parti à déconner…
De proche en proche se répandit dans le Baugeois d’abord puis
dans les provinces alentour la légende du Grand Saint Marcelin…
Les gens affluèrent de partout.
Les dons des pèlerins permirent bien vite que s’édifie une
église romane avec chapelles rayonnantes autour d’un déambulatoire. Dans la
chapelle axiale trônait le tombeau du saint, surmonté d’un gisant le
représentant en abbé crossé et mitré. N’était-il pas le père de la communauté
qu’il était censé avoir fondé ? C’est cette représentation qui par erreur amena
certains peintres à le représenter en évêque.
Point de vue miracles, c’était le top.
A cette époque, les reliques ne s’étaient pas encore
spécialisées. On était thaumaturge ou pas. Si on l’était vraiment pourquoi
limiter son talent ? Marcelin était un saint généraliste. Et bougrement
efficace. Avec lui, les aveugles voyaient, les sourds entendaient, les
paralysés dansaient, les bègues haranguaient, les coincés bandaient, les
manchots jonglaient, les culs-de-jatte bondissaient, les désespérés
chantaient...
Du moins parfois… Ou presque… Enfin, on va pas chipoter ! C’est
tout l’avantage de la magie. On ne s’en souvient que quand ça marche… Et puis
entre carrément guéri et pire qu’avant, il y a de la place pour bien des
améliorations.
En outre, un pèlerinage, ça fait une sortie. Mettez-vous à la
place du paysan du XIe siècle, grevé d’impôts, attaché à la glèbe, pas de télé,
pas de bagnole, rien ! C’est pas écouter les conneries de sa belle-mère en
bouffant des châtaignes à la veillée qui va le distraire. En revanche, si sous
prétexte d’aller soigner ses rhumatismes, il prenait une sorte de congé, il
s’offrait un petit voyage ? Long, mais pas trop. Le temps de faire sentir qu’on
manque sans laisser celui de s’organiser… Voilà une idée qu’elle serait bonne !
On voit du pays, on couche à l’église, on se promène en ville, on va dans les
rues où, à ce qu’on raconte, il y a des filles bien gentilles qui vous XXXX la
XXXX à XXXX de XXXX comme des XXXX* ! Et on revient content. D’autant mieux
guéri qu’on avait un rien exagéré sa claudication avant de partir. La
prochaine, fois, ça sera pour le dos…
De nos jours, ces superstitions ne riment plus à rien : l’employé
moderne pour peu qu’il ait un CDI s’attache à sa tâche. Il est grevé d’impôts,
mais c’est pour la bonne cause. Il a la télé, et tant que la télécommande ne
reste pas bloquée sur Arte, c’est quand même distrayant. Il a une voiture qui
lui permet d’aller où il bosse. Il est heureux, quoi ! A quoi bon aller
pérégriner par les chemins quand on peut s’emmerder chez soi ?
La position centrale qu’occupait Saint Marcelin en pays d’Oil,
assura son succès. Oh, ce n’était pas Chartres, Saint Jacques de Compostelle ou
Jérusalem, bien sûr, mais c’était un bon petit lieu de pèlerinage familial. Et
profitable… Thibault Patte-Croche était depuis des lustres parti goûter les
pissenlits par la racine que ses descendants se félicitaient encore de son
initiative. Ils envisageaient même de remplacer le sanctuaire original par une
de ces merveilles de lumière que l’on appellerait plus tard gothique. Il
s’agissait d’un gros investissement. Pour se payer ça, il fallait jouer dans la
cour des grands. Et c’est là que le bât blessa. On était en 1216. Le concile du
Latran venait de se terminer. Entre autres joyeusetés, il avait été décidé que
la vénération des reliques serait interdite sans l’accord du pape.
Marcelin n’était saint que par la Vox populi. Réclamer sa
reconnaissance au Saint-Siège prendrait du temps, serait coûteux et pour le
moins hasardeux. On se résigna à demeurer local. Après tout, tant que l’évêque
de Corbinville n’y voyait pas d’inconvénient majeur, son culte pourrait
continuer. Et il continua, bon an mal an, tant que persista le culte des
reliques. La contre-réforme ne lui fit pas de bien. Et puis, comme partout
ailleurs la foi s’étiola… L’Église mit de l’ordre à tout ça….
On finit par admettre que le saint n’était pas vraiment saint… A
regret.
N’empêche, la légende était belle… …et Baugeoise en diable !
* On raconte même que certaines vous XXXX les XXXX avec les deux XXXX, et ensuite vous XXXX le XXXX tout en vous XXXXant la XXXX. Mais ça, j’ai du mal à y croire. Quoique, avec ces cochons de médiévaux, on puisse s’attendre à tout….
Cette histoire porte la marque d'une époque intéressante à plus d'un titre et c'est ainsi, je crois, que les choses se passaient.
RépondreSupprimerNotamment en ce qui concerne ces dames qui savaient si bien vous placer un XXXX sur la XXXXX tout en vous laissant lui XXXXXX le XXX avec les XXXXX!
Ce devait être assez plaisant, somme toute.
Amitiés.
Vous croyez vraiment que ça pouvait aller jusque là ?
SupprimerQuelle belle époque! Ce n'est pas de nos jours qu'on canoniserait ceux qui ont pris Marcelin pour modèle. Tenez Mitterand pour ne citer que lui malgré la dévotion de ses adorateurs. Quant à Giscard ou DSK, ce n'est même plus la peine qu'ils meurent, ils n'ont aucune chance. Le premier devra se contenter de son fauteuil à l'Académie, quant au second, il y a peu de chances que celles qui se sont mises à genoux devant lui, continuent de le faire devant son tombeau.
RépondreSupprimerQuand on se souvient de tout le bien qui avait été dit de M. Alain Bashung lors de son décès voici déjà plus de quatre ans et qu'on constate qu'il n'est toujours pas canonisé, on en vient à se demander si la sainteté a encore le vent en poupe...
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