Alors
qu’il n’était venu que pour la soirée, Marcelin, quinze jours plus tard, quitta
à regret et rincé la motte de Guenièvre pour aller sans plus barguigner
demander la main de sa propriétaire au bon Rainier. Ce dernier mit à son accord
certaines conditions : Marcelin renoncerait à sa vie de débauche et
d’exactions, rendrait à ses victimes le butin qu’il avait amassé et mènerait
une vie pieuse. Le brigand repenti accepta les deux premiers points sans
rechigner.
D’abord,
la vie de débauche lui paraissait bien fade en comparaison des plaisirs que lui
offrait Guenièvre. Ensuite, pourquoi eût-il pillé alors que les coffres de
son aimée regorgeait d’or et ses celliers de blé ?
Rendre les
trésors amassés serait vite fait, vu qu’il avait tout dépensé au fur et à
mesure. Il s’y engagea donc et chargea le bon prélat de répartir entre ses
victimes les sept sols et quatre deniers qui lui restaient en tout et pour tout.
Rainier, fit un peu la gueule et se jura de formuler différemment ses exigences
lorsqu’il aurait de nouveau à faire rendre gorge à un seigneur brigand.
Le
troisième point pourtant lui posait question. Il dut reconnaître, en s’excusant
de son outrecuidance face au saint homme, que la piété n’était pas son truc.
Pour tout dire, il s’emmerdait à la messe. Surtout pendant le sermon. Le brave
pasteur lui rétorqua avec un bon sourire qu’il n’était pas le seul dans son
cas, qu’il fallait faire preuve de patience et qu’une prière fervente
compenserait une attention relâchée à l’office. A quoi Marcelin répliqua que
prier le faisait bougrement chier. Que faire ? La brebis égarée puis retrouvée
se montrait décidément peu encline à mener une vie religieuse. L’action
charitable ne serait-elle pas une manière possible d’offrir sa prière ?
Marcelin
acquiesça.
En ces
temps de renouveau du monachisme alors que Cluny sous l’impulsion de Bernon
puis d’Odon avait commencé d’établir son réseau d’abbayes filles à travers
l’Europe, fonder un monastère serait peut-être un moyen efficace de se
racheter…
Ouais,
tiens ! Un monastère, pourquoi pas ? Mais à condition d’en être l’abbé ! C’est
vrai quoi, on fournit le terrain, on paye les maçons, ça coûte la peau des
rouleaux et qui en profite ? Un cul béni qui marmonne en latin ! Rainier eut
beau arguer que pour être abbé il fallait savoir lire, parler et écrire en
latin, être prêtre, célibataire et adepte de la vie contemplative, rien n’y
fit. S’il ne pouvait pas être abbé, il exigeait d’être le chef de sa
communauté. Sinon il ne fonderait rien du tout.
L’évêque
finit par accepter les conditions de Marcelin.
Le mariage
de Guenièvre et du repenti eut donc lieu. Fêtes et ripailles durèrent tant que
peu, au moment de partir, se rappelaient du chemin de chez eux… Quand ils se
souvenaient avoir vécu avant…
Leurs
invités partis, les tourtereaux s’en donnèrent à cul-joie. Mais au bout de
quelques mois de galipettes interrompues de siestes et coupées de plantureuses
collations, leur revint la promesse faite à Rainier.
Ils
décidèrent ce qui suit :
Ils
feraient don à ceux de leurs serfs qui le souhaiteraient de toute la terre
qu’ils pourraient défricher dans la forêt de Chaude-Touffe* en l’espace de
trois ans.
Tous ceux
qui participeraient à l’essartage seraient affranchis.
Leur
serait offert une maison de pierre dans le village modèle qui serait
préalablement construit dans la clairière centrale que Guenièvre et Marcelin
feraient ménager au centre de la forêt.
Ils
bailleraient également les fonds nécessaires à la construction des bâtiments
collectifs : église, four, moulin (pour lequel on élèverait une butte), puits
et taverne- hôtel pour les visiteurs.
Curé,
boulanger, meunier et aubergiste seraient payés par les seigneurs pendant les
quatre premières années jusqu’à ce que les terres rendent.
Pour la
même durée les affranchis seraient nourris (grassement) et abreuvés en vin ou
en bière (à volonté).
Les frères
et les sœurs de la communauté, s’ils ne l’étaient déjà pourraient se marier
entre eux. Ou vivre ensemble. Ou aller voir la feuille à l’envers quand bon
leur semblerait.
Le
dimanche serait consacré à la prière ou à toute autre manière de rendre grâce
au Seigneur de ses dons (bombance et sieste crapuleuse étant une manière
manifeste de montrer qu’on les appréciait).
Le Sire de
La Riche-Motte et Dame Guenièvre auraient droit aux titres de Père et Mère**.
Titres purement honorifiques, les frères et sœurs prenant les décisions
concernant la communauté à la majorité absolue.
D’abord
par dizaines, et bien vite par centaines, les affranchis affluèrent,
défrichèrent, s’installèrent et prospérèrent. Ainsi s’établit, dans ce qui
allait devenir bien plus tard le territoire de la commune de Saint-Marcelin une
petite société joyeuse, laborieuse, volontiers bringueuse et paillarde.
* Ça ne
peut pas s’inventer!
** Ils auraient préféré
abbé et abbesse, mais Rainier préféra qu’on traduise trouvant cette communauté
pas très catholique et pas vraiment monacale. N’importe comment, au fil des
ripailles, tout le monde finit par les appeler par leurs prénoms.
Remarquable! Il conviendrait de communiquer cette histoire à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, afin qu'elle l'apporte en adjonction à "La vie des Saints", laquelle, après vérification, ne fait pas la moindre allusion à Marcelin. Quelle injustice!
RépondreSupprimerje reviendrai sur ce point délicat au cours d'une prochaine chronique.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerLe test a fonctionné ?
SupprimerA vous lire, saint Marcelin serait à Chaude-Touffe ce que notre petit Président rêverait d'être pour la France ? Voilà qui ouvre de nouvelles perspectives aux candidats à la béatification.
RépondreSupprimerF H santo subito !
SupprimerEnfin un saint rigolo!
RépondreSupprimerSaint... Oui, enfin, presque... J'en reparlerai.
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