J’ai choisi de ne pas
employer la préposition « de » entre le nom et son complément afin de
faire plus médiéval. C’est par de tels détails que l’artisan consciencieux se
distingue du simple gougnafier.
Thibault
Forte-Tige mourut quelques années après son père. Les réformes qu’il opéra
furent négligeables. C’est à peine s’il parvint à imposer quelques menues taxes
et corvées aux membres de la communauté. Son fils et successeur, Marcelin Le
Cocu, passait trop de temps à surveiller son épouse Hermeline La Chaude pour
s’occuper efficacement de la restauration du système féodal qu’avait aboli son
grand-père. Il fallut donc atteindre l’accession à la seigneurie de leur fils,
Thibault Patte-croche pour que les choses se missent à changer. Et à changer
elles se mirent alors…
Ce
Thibault de triste mémoire fut ainsi surnommé pour son âpreté au gain. Nul
moyen ne lui paraissait trop vil pour accaparer les richesses. Ainsi, suite à
un long procès, il parvint à réintégrer totalement à la seigneurie de
Riche-Motte les terres de la communauté de La Neuville Marcelin comme on la
nommait maintenant. La bourgade avait prospéré et laisser de si riches terres
libres d’impôts lui paraissait inacceptable. S’il ne parvint pas à asservir les
habitants, il les fit ployer sous des droits d’une variété et d’une lourdeur
que nos modernes technocrates n’ont pour l’instant su dépasser.
Puis
un jour lui vint une idée. Elle lui vint par le grand chemin. Une forte troupe
composée de moines, de serviteurs et d’hommes d’armes réclama son hospitalité
pour la nuit. Elle ne demandait qu’un abri. De provisions elle était fort
pourvue. L’avare seigneur accepta donc de les abriter dans sa basse-cour où ils
montèrent de riches tentes sous l’une desquelles on dressa les tables d’un
festin où il fut convié.
Dans
la douceur d’une nuit d’avril, le repas s’éternisa et Thibault apprit du chef
de la troupe, un gras moine, qu’il convoyait vers le monastère de Neumoutiers
rien moins qu’un poil du Saint Sourcil et un tibia de Saint Théophraste de
Cappadoce. Le bon roi Louis VII les avait achetés à l’empereur de
Constantinople afin d’en doter le monastère qu’il venait de fonder. Le prix de
ces saintes reliques restait secret, mais le nombre de soldats de l’ost royal
qu’on avait chargé de leur garde le laissait penser digne d’une rançon de roi.
Le
bénédictin raconta comment la rare relique « directe » apporterait au monastère
dont il était prieur célébrité et… …richesse. Il expliqua que, du fait de
l’Ascension du Christ, il ne restait de son enveloppe charnelle que quelques
saintes reliques « directes », son prépuce, quelques cheveux, quelques poils de
barbe et d’autres endroits moins saints, une rognure d’ongle, trois dents de
lait et le Saint Poil de Sourcil qui reposait sous forte garde dans un
reliquaire d’or serti de cabochons précieux. Ces modestes restes, pieusement
recueillis par des proches puis religieusement transmis de génération en
génération depuis plus de mille ans avaient un pouvoir miraculeux inouï. Celui
du tibia de l’ermite du désert, sans atteindre la vertu thaumaturgique du Saint
Poil, avait néanmoins une grande valeur en ce milieu de XIe siècle où les lieux
de pèlerinage se multipliaient.
La
troupe quitta le château au matin. Thibault entendit s’éteindre progressivement
le concert dissonant que formaient, se mêlant, les roues cerclées de fer des
lourds chariots, le cliquetis des armes et des armures et les cantiques des
moines. Mais un autre concert, autrement harmonieux aux oreilles de l’avare,
remplaça celui du convoi : celui que produit en s’écoulant un flot continu de
pièces d’argent et d’or. Car Thibault avait une idée…
Thibault Patte-Croche était un homme d’affaires avant l’heure. Sa capacité à repérer une niche de profit et à l’occuper, bien qu’il n’employât pas ce jargon, était forte et sure. Son manque total de scrupules – il eût sans états d’âme vendu sa mère si la garder n’avait été plus profitable – le rendait d’autant plus efficace.
Les
propos du moine n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Qui dit relique
dit pèlerins. Qui dit pèlerins dit commerce. Qui dit commerce dit foire. Qui
dit foire dit droits…
Dans
l’esprit imaginatif de l’avare Thibault poussaient à La Neuville Marcelin
hostelleries, échoppes, tavernes, bordels, menant à elle des routes avec leurs
ponts. Et tout ça, c’étaient des taxes, des droits, des péages, des bénéfices
faits en sous-main dans les boutiques qu’il posséderait et ferait, pour ne pas
déroger, exploiter par des hommes de paille.
Seulement,
il fallait des reliques.
Mais des reliques… Ca ne se trouvait pas sous le pied d’un cheval ! Quand on possède un saint, on le garde pour soi… En cas de besoin, et quand il a une bonne cote, on en cède à la rigueur un bout plus ou moins conséquent. Moyennant une petite fortune.
Et
s’il avait un SAINT ? Un saint à lui tout seul ? Un saint miraculeux en diable
(passez-moi l’expression !) ?
Depuis
qu’il avait pris en main les destinées de la seigneurie, s’était développée en
Baugeois une légende autour de son bisaïeul. L’âpreté au gain du nouveau
potentat local avait renforcé la tendance naturelle qu’ont les hommes à
enjoliver le passé. Marcelin, de seigneur-brigand repenti après un riche
mariage était devenu une sorte de saint thaumaturge.
C’est
cette histoire « arrangée » que nous avons contée. Qu’était-il du Marcelin
historique ?
Sans
doute, poussé par sa pieuse épouse et rassuré par l’immense fortune qu’elle lui
apportait, avait-il, pour le pardon de ses fautes, renoncé à quelques droits
seigneuriaux. La fin du Xe siècle, après que la menace normande s’était
effacée, constituait le point de départ d’une renaissance qui allait culminer
au XIII siècle. Partout on défrichait. L’expansion démographique s’amorçait.
Une paix relative régnait. De là à transformer l’époque de Marcelin en âge
d’or, il n’y avait qu’un pas que l’on s’empressa de franchir… Les miracles
s’étaient ajoutés d’eux-mêmes, comme par magie…
Bien
entendu, cette légende, quand elle était parvenue à ses oreilles, avait
commencé par l’agacer.
Jusqu’à
ce jour où il avait soudain réalisé qu’elle était …une mine d’or ! Mieux qu’une
mine, même ! Car les mines s’épuisent, tandis que la crédulité se nourrit
d’elle-même et va sans cesse grandissant !
Saint
Marcelin ! Il le tenait, son saint !
Un nouveau Jacques de Voragine nous offre ici une nouvelle légende dorée !
RépondreSupprimerMerci merci !
Dorée, c'est le mot juste.
SupprimerPlaquée or, plutôt. Soyons modernes...
SupprimerTout cela s'enchaîne avec une logique implacable, on sent venir encore du bien croustillant!
RépondreSupprimerAmitiés.
Vous pouvez en juger dès maintenant.
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