Un siège de grande banque, c’est trois parties bien
distinctes : un hall, l’étage de la direction et les salles de marchés. Le
hall se doit d’être monumental et impressionnant. C’est le premier contact qu’a
le visiteur important avec l’établissement (et même celui sans importance dont
on se fout totalement mais on ne peut pas toujours faire une entrée spéciale
loquedus) : il faut donc qu’il en impose et lui laisse une impression de
puissance, de richesse, de beauté, d’élégance.
L’étage de la direction, c’est pareil : calme, luxe et volupté. En
revanche, les salles de marchés sont des open spaces où l’on s’étonne toujours
de ne pas voir, en leur centre, grimpé sur un podium, un homme muni d’un fouet
chargé de stimuler l’enthousiasme des galériens de la finance collés comme
berniques à leurs écrans. Ne nous méprenons pas : cette chiourme n’est pas
misérable : elle est bien et, suivant son poste, parfois même très bien
payée. Mais elle évolue dans un espace déshumanisé et oppressant.
Le formateur en Langues Étrangères pénètre donc,
attaché-case à la main dans le hall, et sauf lors de sa première visite, ne s’émerveille pas plus que ça de ses dimensions
pharaoniques ni des cascades artificielles et de la profusion d’immenses
plantes vertes et d’éléments de décoration divers qui font sa majesté. Il se
rend au bureau de la réception et annonce à l’appariteur son rendez-vous avec
Mr. X.
Plus Mr X ; est important, plus l’employé se montre déférent. Du
moins la première fois. Une fois qu’il vous aura identifié comme un médiocre, son
respect baissera d’un cran, vous plaçant
entre le garçon de courses et le visiteur de marque. Après vous avoir fait
décliner votre nom et celui de votre société, il demande à un collègue de vous
accompagner jusqu’au salon d’attente tandis que l’on prévient Mr X de l’arrivée
de son rendez-vous. Le salon est cossu. Après quelques minutes, selon l’importance
de X, il descendra lui-même vous chercher ou chargera un appariteur de vous
accompagner.
A la L***** Bros
& Co Ltd., banque d’affaires Franco-Américaine mondialement réputée (New-York,
Paris et Londres), je donnais des cours à un associé-gérant. C’est donc un
appariteur qui venait me chercher, appelait pour moi l’ascenseur, m’en ouvrait
obligeamment la porte, et à l’aide de sa clé magique nous faisait monter à l’étage-qui-n’existe-pas. Car, et ça se comprend aisément, ces
messieurs de la direction ne souhaitant pas être dérangés par quelque employé
ou visiteur distrait, occupaient un étage qu’aucun bouton ne signalait et au
niveau duquel ne pouvaient accéder que les possesseurs de la clé magique. M’ouvrant
avec déférence (surtout la première fois) les nombreuses portes du couloir, mon
ange gardien me menait soit au bureau de monsieur X soit dans une salle de
réunion. Endroits toujours coquets aux murs lambrissés d’acajou ou autres bois
précieux et ornés de tableaux que je soupçonnais fort d’être originaux. Mr X arrivait,
tout rayonnant de fausse bonhommie, s’enquerrait de la santé de son cher
Jacques et la séance pouvait commencer. Ce cher X, cultivait avec un rare bonheur l’art
d’être désagréable. C’était un Indien. Il
semblait qu’il mît un point d’honneur à bien faire sentir sa supériorité au
gens de moindre étoffe qu’il rencontrait. C’était un jeu subtil, cependant :
toujours poli, il s’arrangeait, par exemple, pour amener dans la conversation le club
prestigieux dont il était membre puis pour vous demander si vous-même en
fréquentiez un similaire. Ou bien
évoquant la récente acquisition de quelque voiture de luxe, il vous demandait
ce que vous pensiez du modèle… J’avais envie de lui dire que ce n’était pas
avec le maigre salaire que je me faisais à écouter ses âneries que j’aurais pu
me permettre de telles fantaisies mais je me contentais d’être mal à l’aise.
Nos conversations (émaillées de précisions grammaticales)
ayant lieu durant sa pause déjeuner, il arrivait qu’en proie à une petite faim,
il me conviât à partager un en-cas que nous apportait prestement un appariteur.
Saumon fumé, viandes froides, salades et autres pâtisseries qu'on nous servait étaient d’excellente qualité, un vin fin les accompagnait. Du coup, j’hésitais,
même si mon estomac le réclamait à m’offrir un sandwich avant la séance…
Plus le temps passait, plus l’animosité qu’il m’inspirait
allait grandissante. Parallèlement, il semblait me trouver de plus en plus sympathique et me complimentait sur mes
connaissances et mon professionnalisme… J’aurais juré qu’il le faisait exprès
pour me donner mauvaise conscience…
Ce M. X aurait-il acheté une Daimler ?
RépondreSupprimerIl en eût été capable le bougre ! Mais il se fût alors agi du dernier modèle... Peu comparable à ma Fiat panda de l'époque (laquelle, au niveau de la consommation et du rayon de braquage l'eût tout de même ridiculisé).
SupprimerC'est avec ce genre d'expérience qu'on arrive à bien saisir la nature humaine on n'en apprécie que mieux les chimpanzés...attention, je ne vise personne, qu'on ne me fasse pas dire ce que que je n'ai pas dit.
RépondreSupprimerAmitiés.
Oh, le chimpanzé est loin d'être parfait...
Supprimer"plus l’animosité qu’il m’inspirait allait grandissante. Parallèlement, il semblait me trouver de plus en plus sympathique et me complimentait..."
RépondreSupprimerCela m'est arrivé avec une prétendue amie, elle avait l'art de me complimenter tout en ajoutant une pincée de fiel.
Le jour où j'ai ouvert enfin les yeux fut à l'occasion d'une remarque anodine de ma part: "Pourquoi diable les tissus noirs ont-ils des reflets vaguement violets après de nombreux lavages?"
Réponse: "Pourquoi? Tu as couché avec un curé?"
"Non, j'ai lu ça dans "Le journal d'un curé de campagne".
Certains sont particulièrement doués pour la fausse amitié...
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