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mardi 10 décembre 2013

Ahmed

Ahmed était au demeurant le meilleur fils du monde.  Il faisait partie de la bande du Canari, ce bar de Thiès (Sénégal) où j’avais pris un  temps le pli de me nourrir et m’abreuver.  Henri et un autre serveur tenaient ce bel endroit en l’absence du patron, un Français au nom improbable  d’Hercule, qui, sous prétexte de vacances avait disparu  depuis déjà bien des mois sans donner signe de vie. Disparition qui semblait n'inquiéter personne.Malgré la vigilance de ces deux vertueux sérères, depuis l’absence du maître, de jeunes personnes pas farouches s’y montraient en nombre croissant. Nous y gagnions en agrément ce que l’établissement perdait en austère respectabilité (Ah qu’en termes galants ces choses-là sont mises !).

Le nom même de cet accueillant commerce posait problème. Le devait-il à cette poterie locale, le canari, où l’on garde l’eau et qui la maintient fraîche ? Il n’y aurait eu là rien que de très logique pour un débit de boisson. Toutefois, vu que sa façade était peinte d’un jaune éclatant, on aurait également pu penser que c’était du serin qu’il le tenait. A moins que suite à une erreur d’interprétation doublée d’un désir de cohérence on ait confondu le récipient et l’oiseau et que le badigeon ait suivi. La polysémie entraîne de telles errances !  Mais revenons à notre cycliste.

Car Ahmed était un cycliste. Ou plutôt il l’avait été Avec un certain bonheur. Il avait en son temps été champion d’Afrique. Il avait même couru en France. Mais ça, c’était avant. Du temps de ses vingt ans, du temps honni des colonies. Il approchait lorsque je le connus  la quarantaine et se reposait sur ses lauriers. Son titre de directeur technique national du cyclisme lui assurait un salaire qui sans être mirobolant lui permettait de vivre. Un logement de fonction allait avec le poste. J’ai parlé de titre plus que de métier car on ne pouvait pas dire que ses fonctions aient accaparé son temps. Il faut reconnaître que le compétiteur cycliste n’est pas légion dans ce pays. Ne serait-ce qu’à cause du prix élevé des machines. Durant les quelques mois où je le fréquentai assidument, je ne vis qu’une fois un jeune venir s’abreuver à la source de son inestimable expérience. Et ce fut expédié en quelques mots…

Ce grand gaillard d’un bon mètre quatre-vingt-dix était resté athlétique. D’abord sympathique, grand causeur, il me prit sous son aile, je devins un peu sa mascotte. Nous parlions de tout et de rien, du sens de la vie. Il me raconta son mariage avec une Française, ses déboires en France, son retour au pays…  De temps à autre, une Française de Dakar qu’il surnommait « La Francophonie » venait vérifier s’il tenait toujours la forme. Sinon, nous prenions le thé à la menthe chez lui et la bière au Canari. Car pour ce qui était du lever de coude, là encore il avait la classe internationale. Hélas, il avait la « marmite » mauvaise. La marmite était le nom familier donné aux bouteilles d’un demi-litre de bière de marque « La Gazelle ».

Il arrivait que, suite à une absorption exagérée de marmites, il se lançât soudain dans un curieux exercice gymnique : fléchissant un genou il descendait, le dos droit jusqu’à une totale flexion tandis que de son autre jambe, impeccablement tendue,  il balayait l’air. Ceci plusieurs fois de suite. Pas évident à faire, surtout quand on est soul. Essayez pour voir, même à jeun. Pour qui connaissait l’animal, le temps du repli prudent avait alors sonné : car la bagarre allait commencer… Et peu étaient de taille à lui tenir tête. Seul son copain Badiane, autre grand sportif mais handballeur, lui, pouvait le maîtriser et savait le ramener à la raison. Mais il arrivait qu’il fût absent. C’est ainsi qu’il dérouilla sévèrement l’inspecteur de police Ali, autre membre de la bande. Ce dernier ne porta pas plainte.

En tant que mascotte, je n’eus jamais à me plaindre de lui. Au contraire même, car, où que nous allions, avec un tel garde du corps, je ne craignais rien.

Et puis j’ai rencontré une Anglaise. J’ai espacé mes visites au Canari. On continua de se voir  mais de loin en loin…  Ainsi va la vie…

Je suppose qu’il n’est plus de ce monde aujourd’hui. Il aurait passé les quatre-vingts… Mais si un jour on se retrouve au paradis, j’aimerais bien lui payer des marmites. On parlerait de choses et d’autres, du sens de l’éternité… En priant Dieu qu’en fin de soirée il évite de  boxer les anges…

18 commentaires:

  1. Je l'ai connu, Ahmed, à vélo pliable, à jeun, à Pierrevillers.

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    1. Vous voyez bien que vous déstabilisez Léon à prétendre qu'un nauséabond peut s'entendre avec un noir : le logiciel gauchiss' exclut ce genre de chose, ça crée un conflit d'extensions, ou d'intentions, plutôt. Le sectarisme n'est décidément pas de votre côté.

      Vos billets transpirent l'humanisme, alors que l'idéologie socialiste écrase l'humanité.

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    2. Vous avez peut-être raison. J'avoue que ce commentaire dépasse mon entendement.

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    3. Toi y en a pas comprendre ? Moi expliquer toi. En Soninké, "prendre une mascotte sous son aile", quand il s'agit d'un petit blanc, c'est lui enseigner les rudiments de l'humanisme transpirant, le cycle de la pédale, le doigté sur le frein, l'huilage opportun et la monte sans porte-bagage, et ceci plusieurs fois de suite avec une jambe repliée et le dos droit.... vous voyez la figure ?

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    4. Toi expliquer moi mais moi toujours pas comprendre tes conneries.

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  2. moi j'avais un pote un peu comme ça, il avait beaucoup fréquenté tous les pays africains et maghrébins, il avait lui aussi la marmite bizarre ! aujourd'hui il bricole la plomberie auprès de St Pierre en bricolant les anges ce salopard, ce doit être un sacré boxon la haut
    post-machin : comme vous j'évite la pub mal placée, je vous ai rajouté dans ma blogroll, j'espère que vous n'y voyez pas d'inconvenients

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  3. Une gargoulette s'appelle aussi un canari ?
    ça alors ! ça m'ouvre des eaurizons sémantiques, en plus d'être moins gourde.

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    1. En fait, si le principe est le même (terre poreuse qui permet par évaporation de garder l'eau fraîche) ce n'est pas le même objet car on ne boit pas directement du canari. Sorte de grosse jarre à ouverture large on y puise à l'aide d'un autre récipient (tasse, quart, etc) l'eau que l'on veut boire.

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    2. Cette science me laisse muet d'admiration ( et dire que je n'avais jamais envisagé de "boire du canari" -- ni même d'en manger de crainte qu'il ne gazouille encore dans mes entrailles).

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    3. Les voyages forment la jeunesse et laissent des souvenirs au vieillard cacochyme, c'est tout...

      Quant aux oiseaux jaunes vous faites bien de les laisser à Visiteur qui ignorera vos craintes.

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    4. Vous oubliez également que le canari peut, outre vous désaltérer, aussi taper dans un ballon (rond) -au moins, dans mon bled. Tout en étant noir, ce qui n'est pas le moindre de ses paradoxes.

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    5. Une de mes Ex, me voyant reluquer des plus jeunes qu’elle, me disait souvent : « Vas-y, profite, mais c’est pas du mouron pour ton canari ! ».
      Elle n’avait pas tout à fait raison, mais c’est une autre histoire…
      C’était il y a plus de 30 ans.
      Belle cure de jouvence, merci Jacques Étienne.

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    6. @ Al West : Vous savez, moi le foot...

      @ Lou Sétori : Je connaissais la formule mais avec serin à la place de canari...

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  4. Les souvenirs pittoresques de ce calibre, ce n'est pas tout le monde qui peut s'en vanter.
    Merci de nous en faire profiter.
    Amitiés.

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    1. De rien. Des souvenirs, j'en ai à revendre. Les moins racontables, j'en ferais volontiers cadeau à qui voudrait bien m'en débarrasser...

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  5. Souvenirs qui sont d'un autre temps car cela c'était avant

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    1. Je pense effectivement qu'aujourd'hui il serait problématique de revenir vivant ou indemne des "petites virées" que je me permettais à Dakar...

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