Voici deux ans que je quittai de manière définitive les
confins de la Beauce et du Perche pour m’installer dans les vertes collines du
Mortainais. Ce déplacement géographique s’accompagnait d’un changement de
statut : d’esclave, je devins homme libre. En tant que tel j’aurais, si
l’on en croit Baudelaire, dû chérir la mer mais mes préférences allaient vers
la campagne qui présente le double avantage d’être moins salée et bien moins
liquide quoi qu’on dise du climat normand.
Il faut dire que depuis quelques années j’avais de plus en
plus de mal à supporter les contraintes diverses qu’impose toute activité
salariée. Je me souviens avoir évoqué la question avec un collègue prof,
retraité depuis quelques années déjà. Selon lui, durant la première année d’oisiveté, on se sentait
merveilleusement libre mais cet heureux sentiment était de courte durée
et bien vite on se sentait socialement inutile. Me sentant déjà d’une parfaite inutilité sociale, je doutai
de jamais partager ses angoisses.
Au bout de deux ans j’en ai eu la confirmation : la
retraite et la liberté qu’elle offre me conviennent parfaitement. En fait, j’en
suis venu à la conclusion que j’avais une vocation de rentier. Certains esprits chagrins argueront qu’entre
enseignant et rentier la différence est bien mince, voire inexistante. Laissons-les à leurs sarcasmes. Ayant eu
l’honneur et l’avantage d’expérimenter la vie
de prof et celle de commerçant, j’en ai conclu que si leurs
inconvénients et leurs avantages diffèrent, aucun de ces deux statuts
n’approche en sérénité celui de l’oisif. Encore faut-il, pour en profiter
pleinement, être naturellement doué ou avoir tiré de la vie certaines leçons.
Dire que j’étais né pour serait excessif. Comme bien
d’autres, étant jeune, j’avais de l’ambition. A un désir de réussite
universitaire succéda celui de gagner de l’argent. Ces fumées dissipées, j’en
suis venu à me dire que plus que des relatives satisfactions de vanité
qu’apportent argent ou statut, j’avais surtout besoin de paix et de liberté.
Cette oisiveté est relative. Rares sont les jours où je ne
bricole, jardine, lise, cuisine ou écrive. Je ne m’imagine pas passer des
journées entières devant un poste de télé ou à m’écouter pousser les cheveux. Seulement,
c’est moi qui décide et de l’activité et du temps qu’elle me prendra. Toute
contrainte extérieure me perturbe désormais.
Le moindre rendez-vous m’est une épreuve aussi n’en ai-je pratiquement
plus. Combien de temps cela durera-t-il,
ne me verrai-je pas, l’âge avançant, envahi par le pesant ennui ? Qu’importe ? Ce n’est pas à l’ordre du
jour et si je pouvais, ne serait-ce que quelques années encore, continuer de
mener le genre de vie qui me convient, je me considérerai heureux.
Il y a des gens qui sont faits pour l'ennui (quoi qu'ils fassent) et d'autres qui ne le connaîtront jamais (quoi qu'ils ne fassent pas) : vous faites à l'évidence partie de la race bienheureuse des seconds – et moi aussi, mais il me faut encore faire le guignol dans une entreprise de presse…
RépondreSupprimerJe vous souhaite sincèrement que cette guignolade ne dure pas trop longtemps !
SupprimerBel éloge de l'oisivetè... laborieuse.
RépondreSupprimerMerci. Laborieuse, n'exagérons rien...
SupprimerL'oisiveté ne présente aucun intérêt, ce qui compte c'est la liberté...si je ne m'abuse, vous vivez en célibataire, non?
RépondreSupprimerAmitiés.
Célibataire à temps partiel, situation qui me convient parfaitement...
SupprimerComme je vous comprends. Le loisir, le vrai, celui qui est très occupé, est chose rare et précieuse.
RépondreSupprimerJe dirais bien "vivement la retraite", mais je crains fort que vous ne soyez parmi les derniers à en profiter.
Il ne me reste plus qu'à gagner à l'euromillion et à convertir immédiatement mes gains en or.
Attendre son salut du loto laisse souvent frustré...
SupprimerCf. la célèbre distinction entre oisiveté et ennui chez Kierkegaard. L'oisiveté n'est pas la mère de tous les maux, mais au contraire une vie vraiment divine, nous dit le subtil Danois. Il semble que vous ayez trouvé la voie, cher Jacques Etienne !
RépondreSupprimer(J'adore citer Kierkegaard : ça en jette, hein ?)
Que de conquêtes féminines ai-je connues en citant Kierkegaard !
Supprimer"Avant de ne rien foutre, il faut y être solidement préparé"
RépondreSupprimer(c'est de moi...)
Bravo ! On ne naît pas oisif, on le devient !
Supprimer"Le bonheur de l'oisif c'est d'être actif pour son plaisir"
RépondreSupprimergrandpas,2013