Spéciale dédicace à Mildred.
A l'heure où le pays traverse une
période de grand trouble (comme toutes celles qui l'ont précédée
et toutes celles qui la suivront), au moment où nous assistons
passivement aux agonies conjuguées de notre civilisation et de notre planète, le temps n'est plus aux
galéjades. C'est pourquoi j'ai jugé de mon devoir d'aborder un
sujet crucial : celui de mon voisinage.
Si
une de mes voisines passe sa vie en jérémiades, de l'autre côté
de mon petit jardin réside une brave octogénaire. A peine arrivé,
elle m'a fait remarquer que le grand laurier qui poussait près de la
terrasse avait la fâcheuse habitude de répandre, au mépris de la
plus élémentaire des civilités, ses feuilles mortes dans son
potager. Les précédents propriétaires l'avaient bien assurée
qu'ils l'élagueraient mais ce fut promesse en l'air. Ayant le cœur
naturellement bon, je l'assurai que dès mon retour de Corrèze je me
chargerais de la tâche grâce à l'élagueuse de là rapportée.
A la première ondée, je constatai
que, non content de pourrir la vie d'une estimable ancienne, ce
bougre d'arbre bouchait ma gouttière en plus d’obscurcir salle
d'eau et cuisine. Son sort était scellé. L’abatage s'imposait. Or
donc, au contraire des Étasuniens qui ont coutume de laisser mariner
leurs condamnés des décennies durant dans le couloir de la mort, la
sentence fut, à la grande satisfaction de la voisine, rapidement
appliquée. L'octogénaire, toujours inquiète de mon sort, s'enquit
bien vite de ce que je comptais faire du bois. Elle prévoyait pour
tronc et branches une bien sombre destinée : la déchetterie !
Je la lui confirmai.C'est alors qu'une idée germa en son esprit :
il lui arrivait de faire du feu chez elle... Peut-être ce bois
brûlerait-il ? Je l'en assurai. Si je n'y voyais pas
d'inconvénient, elle se ferait un plaisir de m'en débarrasser, ce
qui m'éviterait d'épuisants voyages... A condition que les morceaux
ne dépassent pas cinquante centimètres...
Je lui promis de débiter tronc et
branches au format indiqué et, un voisin ayant été pour ce faire
réquisitionné, pas plus tard qu'hier, le bois quitta mon jardin
pour aller sécher dans le cabanon de la voisine. Seulement, un geste
généreux ne pouvant aller sans contrepartie il me fut demandé
combien on devait. A part une reconnaissance éternelle, je
n'attendais rien. Néanmoins, la tâche terminée, il me fallut
accepter, en compagnie de l'homme de peine (et sans fille de joie),
d'aller prendre le café accompagné de biscuits, qui en Normandie
marque la menée à bien de toute transaction. Je n'en étais qu'à
moitié satisfait car j'eusse préféré consacrer mon temps à la
peinture de mes éléments de cuisine mais piétiner une sacro-sainte
tradition n'est pas ma tasse de thé. J'acceptai donc l'invitation.
Une longue conversation commença
portant sur tout et sur rien mais aussi sur les voisins, l'ancienne
locataire, les précédents propriétaires. Et j'en appris de
belles ! Ainsi le partenaire de dispute du vieux tromblon
rouscailleur n'était pas son fils mais bel et bien son « copain ».
Un joli coco! Qui avait fait de la prison. Selon mon compagnon de
labeur, c'était lui qui avait égorgé une femme à la faucille à
Trifouillli. Que nenni, s'exclama la bonne vieille ! L'assassin
était son ancien « copain » et c'est en rendant visite à
ce dernier que la blonde septuagénaire aurait fait la connaissance
du (presque) jeune homme devenu l'objet de ses chaudes affections comme de ses
longs lamentos. Sur le repli, l'obligeant voisin, rétrograda le gredin du
statut d'assassin à celui de simple dealer de cocaïne. A moins que
le dealer n'ait été son fils... Tout ça n'était, bien sûr, que
des choses entendues dire... Le principal étant qu'il ait, pour une
raison ou pour une autre, fait de la prison.Ce qu'il y avait
d'amusant, c'est que pour répandre ces informations, la voix de la
vieille se faisait murmure comme si elle eût soupçonné ses murs
d'être truffés de micros espions.
J'appris aussi que le père de ma
vendeuse, drôle de bonhomme, avait fini par se suicider (comme fit
récemment un voisin d'en face) et que sa mère était bien habile en
matière de captage d'héritages... Quand je pense que certains
cherchent dans la fiction de belles histoires ! Il n'y a qu'à
tendre un peu l'oreille pour en trouver à deux pas de chez soi...
Connaissez vous réellement vos voisins.
RépondreSupprimerNon.
SupprimerVous l'avouerais-je, Oncle Jacques, quand j'ai vu mon nom au frontispice de cet article, les larmes se sont bousculées dans mes yeux, mais je me suis aperçue, que contrairement à notre grand ministre défaillant - à tous les sens du terme - moi, je n'aurais pas âme qui vive pour m'applaudir, et je les ai donc retenues !
RépondreSupprimerEh bien que vous avais-je dit ? Je savais que vous alliez faire merveille avec de tels voisins ! Après tout, ce chef d'œuvre qu'est "Le Rouge et le Noir", n'est-il pas le récit d'un fait divers des plus ordinaires ?
Alors gardez l'oreille aux aguets et ne nous cachez rien de tout ce que vous allez encore découvrir car le temps des assassins bat son plein !
En vous retenant vous fîtes preuve de stoïcisme ! Je ne manquerai pas de relater ici les événements les plus saillants de mon voisinage (traversées de rue en dehors des clous, tapage nocturne après dix-neuf heures, jet de papiers sur la voie publique, etc.).
SupprimerVous voyez... Avec un tel voisinage, votre dernière demeure n'est peut-être pas si éloignée de l'actuelle. Couper un grand laurier porte malheur en certaine contrée. On y taille des cercueils étriqués mais têtus.
RépondreSupprimerEh oui, couper le laurier est un crime. Ne serait-ce que parce que ça rend plus difficile le couronnement des diplômés du secondaire (comprenne qui étymologiera !).
Supprimerune bonne action entraine souvent de bonnes répercussions, tu n'auras plus besoin d'acheter le journal, tu auras les nouvelles fraiche gratis
RépondreSupprimerY compris des nouvelles négligées à tort par les media nationaux et locaux !
SupprimerL'homme, qu'il soit Normand ou autre ne change pas...
RépondreSupprimerUn petit, peut-être...
RépondreSupprimerC'est curieux tout ce qui peut se passer chez les gens sans histoire,tout de même!
RépondreSupprimerAmitiés.
Nous longeons, sans souvent les voir, de redoutables précipices.
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