« On reproche souvent à Spinoza de nous avoir privés de la liberté, nous imposant la nécessité des choses.»
J’ai copié/collé cette phrase chez un « ami » Facebook. Parce que je la trouve du plus haut comique.
C’est vrai, quand même, ce Spinoza nous fait chier ! Non seulement il nous impose la nécessité des choses mais, non content de cela, il nous prive de la liberté ! Faut quand même pas déconner ! Y’a des limites à l’abus, ou y’en a pas ?
Personnellement, vu ses crimes, je serais plutôt partisan qu’on le zigouille, et vite fait, ce salopard de Spinoza qui fait rien qu’à nous priver de cette liberté qui, comme nous le savons tous, est notre bien le plus cher.
Bon, je me calme.
Observons les choses ave un flegme d’immigré. Du genre de celui dont je parlais pas plus tard qu’hier. Qui est ce « nous » ? L’ensemble de l’ « humanité »? Les êtres humains d’Occident ? Les lecteurs de Spinoza ? Ou bien simplement ceux des potes du philosophe qui écrit ces lignes qui accordent quelque crédit à ses dires ?
Vous me direz : ce n’est que de la rhétorique. Vous aurez raison. Ce « nous » ne désigne que les lecteurs de Spinoza qui partageraient les vues de son critique tout en prétendant l’étendre à l’humanité toute entière. En fait, les philosophes n’influencent, au mieux, que ceux qui les lisent, c'est-à-dire bien peu de gens.
Mais, bougre d’âne, me rétorquerez-vous, en influençant les élites ils changent par leur truchement la façon de penser des masses que celles-ci mènent vers la lumière (ou les ténèbres, parfois). D’abord, si vous pouviez retrancher le « bougre d’âne » de votre objection, j’en serais ravi. Ensuite, j’exprimerai quelques doutes sur le reste de vos propos.
Il est de bon ton de penser que ce sont les philosophes des lumières qui ont préparé la révolution de 1789. Il est certain que leurs écrits ont influencé les élites mais une série de récoltes catastrophiques, réduisant bien des familles à la mendicité, dans les années 1780 et la terrible disette suivant le très rigoureux hiver de 1788-1789 ont certainement eu plus d’influence sur le déclenchement du processus révolutionnaire.
De même, la « levée en masse » de 1793 fit peut-être plus pour le développement de la chouannerie que les convictions monarchistes de ses participants.
Je crains que les penseurs ne fassent qu’ « habiller » idéologiquement les mouvements qu’ils sont censés avoir initié ou même simplement accompagné. C’est ce que je disais déjà dans un commentaire sur l’excellent blog Ostracisme.
L’objection d’Aristide comme quoi cette position « historiciste » devrait logiquement mener au silence ne me paraît pas totalement fondée. Celui qui exprime ses idées, tout « mouche du coche » qu’il puisse sembler, joue un rôle.
Contrairement à ce qu’écrivait La Fontaine l’insecte a son utilité : piquant l’un, piquant l’autre, l’agaçant par son bourdonnement, il ajoute à l’effort des chevaux un rien de rage qui peut se montrer décisif…
« Personnellement, VUS ses crimes... »
RépondreSupprimerOuche !
Sinon, ben, je serais très curieux de savoir combien, parmi les lecteurs de Spinoza, comprennent réellement. Parce que le bonhomme avait tout de même une singulière organisation mentale, et c'est diantrement abstrait, sa philosophie. Je vois plus ou moins ce qu'est le spinozisme, mais je ne suis jamais arrivé à lire Spinoza que par le biais de l'herméneutique.
Vu votre indignation, je m'empresse de corriger !
RépondreSupprimerEncore un juif et en plus il se cache comme Marranes.
RépondreSupprimerA propos je n'ai jamais lu ce roi des philosophes par contre j'ai essayé de de lire ceci :"Des marranes à Spinoza"; houlala, c'est pas à la portée du premier béotien venu comme ma petite personne.
Je vous souhaite le bon jour.
Ah-ah, le gant est lancé, il faut bien que je le relève.
RépondreSupprimerEn même temps il ne saurait être question de discuter à fond une telle question, donc juste quelque remarques.
D’une part la pensée se diffuse en cercles concentriques. Au centre on trouve la petite poignée d’esprits véritablement originaux, ceux que j’appellerais les philosophes. Il y en a quelques-uns par siècle. Puis ensuite les classes intellectuelles de la population qui les lisent, qui les vulgarisent, qui les lisent vulgarisés. Puis ceux qui puisent leurs idées auprès de ces classes intellectuelles, et ainsi de suite jusqu’à ceux qui n’ouvrent jamais un livre ou un journal et qui cependant, par leurs conversations, leur éducation etc. reçoivent un écho de ceux qui sont au centre.
Donc oui, il est tout à fait possible d’être influencé par Spinoza même lorsque l’on n’a jamais entendu parler de lui ou lorsqu’on le trouve illisible. Les idées de Spinoza ne sont pas seulement chez Spinoza.
On pourrait, par exemple, avec un peu plus de loisir, retracer l’origine de cette idée selon laquelle « les penseurs ne font qu’ « habiller » idéologiquement les mouvements qu’ils sont censés avoir initié ou même simplement accompagné. » C’est une idée relativement récente et qui trouve son point de départ dans ce que j’ai appelé « l’historicisme », c’est à dire une certaine forme de philosophie qui apparait en gros fin 18ème début 19ème.
D’autre part l’erreur serait d’affirmer que les idées seules suffisent à expliquer les évènements historiques. Le hasard a sa place, et même une grande place. Ceux qui propagent des idées afin de susciter des changements politiques ne peuvent jamais savoir avec certitude quel sera le résultat de cette propagation.
Mais fondamentalement les actions des hommes, de la plus grande à la plus petite, sont guidées par une certaine idée du bien. Nous faisons tout ce que nous faisons - y compris écrire sur un blog - parce que nous pensons, d’une manière ou d’une autre, qu’il est bien pour nous de le faire. Lorsque cette idée change nos actions changent aussi, même si les résultats sont rarement prévisibles.
Vous évoquez les difficultés alimentaires qui ont précédé la Révolution de 1789, et sans doute ces difficultés ont joué un rôle pour que la Révolution se déclenche à ce moment là. En même temps la monarchie française avait déjà connue des situations économiques bien pires sans qu’une révolution se déclenche. On pourrait aussi montrer que jamais la France n’avait été plus prospère qu’à la fin de l’Ancien Régime. Une révolte ce n’est pas la même chose qu’une révolution. Pour passer de la première à la seconde il faut certaines idées nouvelles concernant l’ordre politique.
Si vous ne l’avez pas fait je ne saurais trop vous conseiller de lire l’Ancien Régime et la Révolution. Tocqueville a fait pour ce livre un travail de recherche tout à fait considérable et il retrace bien les multiples causes qui ont conduit à cet évènement.
Bon ceci dit juste en passant, évidemment, et sans aucune prétention de vous convaincre. Il faudrait des volumes entiers pour traiter la question et ce commentaire est déjà bien trop long.
Ah, et merci de m’avoir cité !
Pour ma part, j'ai renoncé à la philo en classe de philo.
RépondreSupprimerPourtant j'ai eu un petit ami prof de philo, inconditionnel de Wittgenstein, à une époque où personne n'en parlait.
Par amour, j'ai voulu lire le Tractatus, ce fut un fiasco, tout comme aujourd'hui.
C'est ainsi qu'on apprend que Mildred est le sosie de Marianne Wittgenstein (surnommée la Princesse) fameuse actrice de porno sado-maso des années 40. Ben ça alors...
RépondreSupprimer@ jazzman
RépondreSupprimerJe suis sûre que vous êtes loin de vous imaginer aussi drôle que vous l'êtes en réalité !
@ Aristide : Merci de votre réponse. J'avais interrompu ma lecture de votre billet "The closing of the muslim mind : le suicide intellectuel de l'islam (4/4)" pour lire votre commentaire, lequel avait suscité en moi l'interrogation suivante "Le marxisme est-il un "historicisme ?"" Retournant à votre billet j'y ai trouvé votre réponse qui était celle que j'attendais.
RépondreSupprimerMon raisonnement est d'inspiration marxiste à savoir que c'est l'infrastructure socio-économique qui génère l'idéologie et non le contraire. Quand vous écrivez que des révoltes engendrées par des famines il y en a eu bien avant 1789, on ne peut qu'en convenir. Seulement, en ce XVIIIe siècle finissant, siècle de grande prospérité par rapport aux précédents, se produisait un double phénomène : d'une part l'émergence en tant que classe dominante de la bourgeoisie citadine et d'autre part le recul de la puissance économique et partant politique de l'aristocratie. D'un côté, la bourgeoisie réclamait logiquement que son influence politique soit à la mesure du rôle qu'elle tenait dans l'économie, de l'autre, la noblesse tendait à sauver son rôle en ressuscitant les privilèges seigneuriaux. Le clergé régulier, quant à lui, du fait du scandale de la commandite, n'avait plus de raison d'être (les abbayes étaient quasi-vides!), quand au clergé séculier, mis à part quelques grands seigneurs de l'église appartenant à la classe aristocratique, il était généralement constitués de bourgeois ou de prêtres ruraux d'extraction paysanne s'assimilant à ces derniers. Tout était donc réuni pour que l'ancien régime s'effondre et que le remplace un modèle de société plus conforme à la réalité socio-économique du temps. Ainsi on supprima les corporations, les innombrables jours fériés, les privilèges nobiliaires et généralement tout ce qui pouvait constituer un frein au développement économique capitaliste.
Mon analyse est un peu rapide, j'en conviens, mais les commentaires interminables risquant de n'être pas lus, je préfère rester concis.
De Wittgenstein, il faut lire les Remarques mêlées, c'est plus abordable que le Tractatus.
RépondreSupprimerDes extraits ici :
http://lefenetrou.blogspot.com/2010/03/wittgenstein-remarques-melees-gf.html
J'oubliais : quant à la diffusion de la pensée par cercles concentriques, je crains que, comme dans ce jeu où l'on chuchote une phrase à l'oreille de son voisin qui la répète au suivant, lorsqu'elle atteint le dernier cercle elle ne soit un rien déformée, voire totalement absurde...
RépondreSupprimerJe réponds dans l’ordre inverse :
RépondreSupprimer« quant à la diffusion de la pensée par cercles concentriques, je crains que, comme dans ce jeu où l'on chuchote une phrase à l'oreille de son voisin qui la répète au suivant, lorsqu'elle atteint le dernier cercle elle ne soit un rien déformée, voire totalement absurde... »
Oui bien sûr, cela fait partie des hasards que j’évoquais : les hommes ne sont pas des vases que l’on remplit et vous ne pouvez jamais être tout à fait sûr de la manière dont vos idées seront reçues. Ce qui est certain c’est que la subtilité d’une pensée se perd au fur et à mesure qu’elle se diffuse. A la fin il n’en reste que quelques grandes notions, quelques idées-mères. Mais il en reste quelque chose et ce quelque chose infléchit peu à peu les comportements du plus grand nombre. Pas toujours dans le sens qu’aurait désiré l’auteur, évidemment.
Sur la Révolution, et uniquement pour m’en tenir à votre thèse principale :
« la bourgeoisie réclamait logiquement que son influence politique soit à la mesure du rôle qu'elle tenait dans l'économie, de l'autre »
D’une part il n’est pas si « logique » que cela que votre influence politique soit à la mesure de votre puissance économique. Cela dépend en fait d’une certaine conception de la politique et de ce que c’est qu’un gouvernement légitime. Les gens riches n’ont pas toujours eu du pouvoir politique du fait de leur richesse, et particulièrement pas sous l’Ancien Régime.
D’autre part l’accumulation de richesse et la propriété dépendent partout de la loi et la loi dépend de certaines opinions portant sur le juste et l’injuste, le noble et l’ignoble etc.. Le développement de la bourgeoisie et du commerce est la conséquence d’une certaine émancipation du désir d’acquérir des limites morales et légales qui pesaient traditionnellement sur lui, et cette émancipation peut à son tour être attribuée à l’influence de certains écrits philosophiques.
Quand à ce que vous appelez le développement d’une économie « capitaliste », c’est simplement la conséquence pour le coup logique de la doctrine des droits de l’homme (pour le dire vite), la même qui demande l’abolition des privilèges, des corporations, la diminution du pouvoir de l’Eglise, etc.
Vous voyez moi aussi je reste concis.
Bonne après-midi.
Je veux bien Aristide, mais richesse et pouvoir sont deux notions souvent confondues. Etymologiquement le francique "*riki" signifie "puissant". Que cette confusion puisse avoir connu des éclipses, c'est possible mais j'aimerais savoir où et quand selon vous. Pas dans le système féodal car un seigneur se devait de fournir à ses vassaux un fief quelconque. Celui qui pouvait disposer d'un grand nombre de fiefs pouvait avoir de nombreux vassaux qui assuraient sa puissance...
RépondreSupprimerSpinoza est très bien. Kant et Marx aussi. Descartes, Hegel, ça va encore. Mais Nitch, Chopenoër, Vitguenchten, Aïdeguère, alors là, on a l'air con quand on les cite.
RépondreSupprimerBien sûr que richesse et pouvoir politique sont souvent confondus mais à mon avis pas dans le sens où vous le supposez. La richesse tend à aller au pouvoir (politique), mais l'inverse n'est pas du tout automatique.
RépondreSupprimerBref pour reprendre votre terminologie, à mon avis c'est l'idéologie qui crée l'infrastructure socio-économique.
Bien entendu ceci est schématique et demanderait effectivement à être illustré par des exemples précis, que je n'ai pas le temps de rechercher donc je botte en touche^^. Mais juste de ceci : pendant très longtemps les rois de France ont été chroniquement impécunieux, beaucoup moins riches que certains de leurs vassaux, vivant d'expédients et d'emprunts. Ce ne sont pas pour autant les banquiers lombards (ou autres) qui se sont mis à diriger le royaume de France.
L'autorité politique des uns et des autres n'était pas proportionnée à leurs richesses.
Mais Confucius n'a-t-il pas énoncé, un lendemain de fête:
RépondreSupprimer"mais ya mouche du coche et mouche du coche !" ?
Gloire à lui…