L'équipe de nuit ! Une fille un
peu ronde et un garçon à l'air sérieux. Comment aurais-je pu me
méfier ? Ça commença, à vingt heures par le rituel du
brassard gonflable. La routine quoi. Il me fut répété que je ne
devais sous aucun prétexte plier la jambe. Je parvins à sortir
quelques blagounettes qui firent rire la fille (Eh oui, j'ai toujours
eu le don de faire rire les dames, parfois même volontairement).
Quand ils furent partis, je tentai de m'endormir, à plat sur le dos,
les jambes bien droites. Ce ne fut pas une mince affaire, pour moi
qui dors en chien de fusil. J'y parvenais à peine lorsque, vers 22
heures, de nouveau la porte s'ouvrit sur mes tortionnaires. Non, ce n'était pas une hallucination : ils étaient bien là et leur
petit manège recommença : brassard, reconnexion des électrodes
dont mon torse était équipé. En partant, la tourmenteuse m'annonça
un prochain retour vers minuit. Je grommelai les vagues protestations
que mon état de quasi-prostration me permirent de proférer. Avec
bien du mal je retrouvai un sommeil agité. Vers minuit et demie, me
réveillant, j'aperçus, dans la pénombre, une forme humaine
traverser la chambre pour se diriger vers la porte et sortir. C'était
le tortionnaire. Avait-il profité de ce que je dormais pour se
livrer à mon insu au jeu du brassard gonflable ? Pris d'un
sursaut d'humanité m'avait-il épargné l'épreuve ? Je n'en
saurai jamais rien.
Ce que je sais c'est qu'après cette
discrète visite je ne parvins pas à me rendormir. La position
inaccoutumée avait provoqué une sévère lombalgie. De plus j'avais
froid. Ne parvenant pas à convaincre Morphée de me prendre dans ses
bras, je me résignai à allumer la lumière et à continuer ma
lecture d'Apocalypso de Robert Rankin, bien que mes yeux brûlants
aient eu du mal à suivre les lignes. A deux heures et demie, la
porte grinça de nouveau et la fine équipe reparut, s'étonnant de
me trouver réveillé. Je leur expliquai que la position qu'on
m'avait imposée engendrait des douleurs qui nuisaient à mon
sommeil. Je n'osai pas leur signaler que leurs multiples visites me
perturbaient, de crainte qu'ils ne les multipliassent. La jeune femme
me dit que j'aurais dû m'asseoir sur mon lit ou relever sa tête. Ah
oui, et comment faire cela sans que ma jambe pliât, lui demandai-je,
ironique ? A quoi elle me répondit que tenir la jambe droite
était bon pour la veille au soir mais que maintenant je n'y étais
plus obligé. Enfin une bonne nouvelle ! Re-brassard,
re-connexion d'électrodes, re-départ. Me mettant sur le côté,
jambe repliée, je sentis qu'une électrode se détachait. Je tentai
de la fixer, mais mes mains gourdes et lasses n'y parvinrent pas. Et
ça ne manqua pas : une demie-heure plus tard mon tortionnaire
revint m'annoncer qu'une électrode s'était déconnectée. Il la
remit en place. Je lui suggérai de les fixer à la superglue et
qu'on n'en parle plus. Je finis par me rendormir et il semble
qu'aucune nouvelle perturbation ne vint nuire à mon sommeil en
pointillés.
Bien entendu, à 6 heures ils revinrent
pratiquer leur routine. J'avais connu presque trois heures de paix relative.
Sans le moindre rictus sardonique, on me demanda si j'avais bien
dormi ! J'émis des réserves. J'évoquai même de menus
dérangements peu favorables au sommeil du juste. Ils en convinrent,
les bougres mais, que, venant de subir une intervention, cette
surveillance était indispensable. Mouais. En fait, je pense que ces
épreuves constituent un test. Si on ne meurt pas d'épuisement, si
le cœur ne lâche pas, c'est qu'on est guéri.
Le bon Docteur Citerne* (qui, sans être
brillant ne me semblait pas mériter ce nom) passa me confirmer que
tout s'était bien passé, que mon cœur battait désormais comme il
convient et que mon séjour prendrait fin ce midi-même. Ouf !
Je passai la matinée à alterner mots croisés, lecture et voyages
vers la zone où l'on fume. Plus de brassard, plus d'électrodes, une
tenue décente : j'avais recouvré ma dignité. Mon chauffeur
vint me quérir et je retrouvai mes chères collines dans l'état où
je les avais laissées.
En résumé, je déconseille fortement
l'établissement pour qui ne se trouve pas dans l'absolue nécessité
de recourir à ses services. A moins, bien entendu d'aimer les
épreuves inutiles. Il en est bien qui courent le Marathon sans avoir
aucune victoire à annoncer...
*Tel était le nom de celui qui m'avait
opéré.
Ah les chiens !!! Ennuyer un convalescent ! Et ils ne vous ont pas même servi un petit whisky pour vous remercier de leur avoir rendu visite j'suis sûr...
RépondreSupprimerNon, même pas. J'ai même du réclamer pour obtenir 1 quart de rouge pour mes repas !
SupprimerChez Roth, c'est pas pareil, quand son héros, Marcus Messner se fait opérer de l'appendicite et que sa petite amie, Olivia, vient le voir :
RépondreSupprimer"...Dans ses bras elle tenait un bouquet de fleurs. "Ça n'est pas drôle d'être tout seul à l'hôpital, dit-elle. Je t'ai apporté ça pour te tenir compagnie.
- Ah ça vaut le coup une appendicite, répondis-je.
....
- Je vais chercher un vase pour les fleurs.
...
Quand elle revint dans la chambre, elle avait sorti les fleurs de leur papier et les avait disposées dans un vase rempli d'eau.
"D'où est-ce que tu les verras le mieux ?" me demanda-t-elle.....
"Là où je les vois le mieux, ai-je dit, c'est dans tes mains. Je les vois le mieux quand tu es là debout devant moi. Ne bouge pas, et laisse-moi vous regarder, toi et tes roses. C'est pour ça que je suis venu ici."... Mais en même temps je sentis mon pénis, lui aussi, se dresser.
....
"Regarde", ai-je dit, et j'ai repoussé le drap.
En vierge effarouchée, elle a baissé les cils.
"Que ferons-nous, ô mon maître, si par hasard il entre quelqu'un ?"
Je ne pouvais pas croire qu'elle avait dit ça, mais je ne pouvais pas croire non plus que j'avais fait ce que j'avais fait. Est-ce elle qui me donnait de l'audace, ou moi qui lui en donnais, ou nous qui nous en donnions l'un à l'autre ?..."
Indignation - Philip Roth - Folio N°5395
-
C'est plutôt mignon, non ? N'ayant pas eu de visites, je n'aurais su l'imiter.
SupprimerLes commentaires, c'était pour hier. L'article a cependant été lu.
RépondreSupprimerbon tout est bien qui finit bien, te voilà avec un cœur tout neuf, bien retapé, c'est Nicole qui va pouvoir en profiter, mais du calme tout de même
RépondreSupprimerTout neuf, c'est beaucoup dire ! Mais bon, il ne déconnera plus que de temps à autre, dans le pire des cas.
SupprimerEn invoquant le saint patron de la dite clinique, un sort plus réjouissant vous aurait peut être été réservé. Encore quand ces temps de laïcité, c'eut pu être pire encore. Ne vous plaignez point, vous avez droit au pinard. Même au milieu des vignobles bordelais, je n'ai droit qu'à de l'eau.
RépondreSupprimerBref, le principal est que vous soyez réparé et prêt pour de nouvelles aventures. Portez-vous bien, Jacques.
Merci Valérie et bon courage dans vos épreuves !
Supprimer