Il y a quelques jours, j’ai regardé le film « L’entourloupe » avec Jacques Dutronc, Gérard Lanvin et surtout le génial Jean-Pierre Marielle dont le numéro de camelot baratineur justifie à lui seul la vision de ce film. Marielle y encadre une équipe de bras-cassés qui, dans le marais poitevin, tente de vendre à de pauvres paysans des encyclopédies médicales de luxe dont ils n’ont pas plus l’utilité que les moyens de les payer.
Cela m’a fait me souvenir d’un curieux épisodes de ma vie commerciale. Un jour un individu demanda à me voir. Je le reçus dans mon bureau et il me demanda si je faisais le trousseau. Je ne saisis pas bien où il voulait en venir. Il m’expliqua qu’il s’agissait d’un colis de linge de maison que la jeune mariée était censée apporter au ménage lors de son mariage. J’avais bien entendu parler de cette coutume mais nous étions au milieu des années quatre-vingts et je pensais qu’elle avait depuis belle lurette disparu. Il m’expliqua qu’il n’en était rien dans le fin fond des campagnes berrichonnes et que si je pouvais lui en fournir de beaux, il me les achèterais. Je lui assurai que lors de mon prochain voyage à Paris, je tenterais de trouver son bonheur. Rendez-vous pris après mon retour, je me rendis donc rue Sedaine, dans le XIe, Mecque du linge de maison.
Sans trop y croire, j’exposais à X (je ne me souviens plus de son nom), le vendeur de mon principal fournisseur, la curieuse requête qui m’avait été faite. Loin d’en être surpris, il me répondit qu’il n’y avait pas de problème, qu’il allait me préparer ça. Il se mit donc à rassembler divers articles (couvertures, draps, nappes, serviettes de bain et de table, gants de toilette, etc) susceptibles de répondre aux besoins en linge de maison d’un foyer. Seulement, ils constituaient un ensemble totalement hétéroclite par la couleur, la nature des tissus. Un bel ensemble d’articles dépareillés dont je n’aurais voulu d’aucun chez moi.
- Tu es sûr que ça peut convenir, lui demandais-je ?
- Pas de problème, il va être content ton gars !
- Et à combien tu me le fais ?
- Cinq-cents Francs.
- Et je le lui vends à combien ?
- 1000.
- Tu crois qu’il va accepter ce prix ?
- Bien sûr, il va le faire péter à 2 ou 3000. Bon, il faut que j’emballe tout ça. Se servant d’un fort papier kraft (on faisait décidément dans le luxe le plus effréné) il confectionna un volumineux colis qu’il ficela avant de m’expliquer qu’il fallait nouer la ficelle de telle façon qu’en tirant dessus cela permettait que se répandît sur la table de ferme, un flot de linge propre, par sa magnificence, à lever les dernières hésitations du potentiel client.
Je chargeai ledit colis et mes autre achats dans le camion et retournai à Châteauroux, toujours aussi sceptique quand au succès de cette transaction. Au jour et à l’heure dite mon client se présenta, parut pleinement satisfait et me régla les 1000 Francs rubis sur l’ongle. Quelques jours plus tard, je le vis revenir. J’étais un peu inquiet comme le jour où après avoir vendu un bon prix quelques centaines de paires de chaussures que je n’arrivais pas à vendre à un manouche, je vis son camion arriver sur le parking. Craignant qu’il ne vienne au renaud (m’exprimer vertement ses désillusions) je n’en menais pas large. Il n’en était rien. Enchanté de son lot, il était venu m’acheter le reste de mon stock.
Mon trousseautier était dans le même état d’esprit. Il me demanda de lui ramener au plus tôt 3 trousseaux. Ensuite, je ne le vis plus. Je suppose que le succès lui ayant donné des ailes, il avait décidé de se passer de mon intermédiaire…
Cela confirme que, si bien des espèces d’oiseaux se raréfient, le pigeon, quant à lui, ne risque pas de disparaître.
Sur le même thème, Les Portes de la Gloire (2001), avec Benoît Poelvoorde en chef d'équipe (totalement mégalomane) de vendeurs d'encyclopédie dans le Nord-Pas-de-Calais, n'est pas mal non plus. Un de mes amis s'en sert comme support pédagogique pour ses élèves en formation de "Force de vente" car certaines scènes valent leur pesant de cacahuètes.
RépondreSupprimerJe me souviens de Marielle en camelot sans scrupules dans Charlie et ses deux nénettes, mais pas de L'entourloupe que je vais m'empresser de rechercher pour le voir ce week-end.
J'espère que ce film vous plaira comme vous ont plu les autres que j'avais évoqués.
SupprimerJe vois que vous avez vécu à Châteauroux, capitale du Bas-Berry.
RépondreSupprimerQuand je vais à Châteauroux, je suis frappé par la laideur du centre-ville, qui a été bétonné par de mauvais esprits.
Une place centrale sans arbre, ni fontaine, et totalement minérale.
Un complot contre la beauté ?
C'est tout vu !
J'ai en effet vécu huit ans à Châteauroux. Quant on arrive à la gare, les hauts parleurs annoncent : "Châteauroux, Châteauroux, 3 minutes d'arrêt". C'est en effet ce que ça mérite !
SupprimerPar votre pseudo, je vous suppose Issoldunois, j'ai eu un temps un magasin dans votre ville qui, si elle avait été moins proche de Bourges serait logiquement devenue le chef-lieu de l'Indre, Châteauroux n'étant alors qu'un bourg accolé à Déols. Depuis, elle a mal grandi.
J'avoue que les années passées dans le commerce ont été, quand ça marchait, les meilleures de ma vie. Malheureusement, quand ça s'est mis à ne plus marcher, je me suis trouvé au plus bas et c'est la mort dans l'âme que je suis retourné, faute de choix, dans l'enseignement dont je pensais avoir fait le tour à 32 ans. Je ne regrette cependant rien. Ces huit ans de commerce m'ont instruit.
RépondreSupprimerEt pourquoi cela n-a-il plus marché? Conjoncture, concurrence démotivation ?
RépondreSupprimerPour ce qui est de la conjoncture : en 83 et 84, la fête mitterrandienne se termine : on serre les boulons, les classes populaires commencent à tirer la langue et les impôts atteignent des taux confiscatoires (plus 60% pour la tranche supérieure de l'IR où nous nous trouvions). Un point de détail local : en juillet 1983, l'incendie du Mammouth de Châteauroux le détruit totalement, amène un surcroît de fréquentation à son concurrent Continent dont nous sommes voisins, et amortit le choc conjoncturel. Mammouth une fois reconstruit et rouvert la fréquentation s'en ressentira.
RépondreSupprimerConcurrence : Quand nous ouvrons en novembre 1982, avec Eurodif, nous sommes les seuls discounters textile de l'agglomération castelroussine. En 1989, quand nous fermons, on en compte 7. Malheureusement, la population n'ayant pas été multipliée par 3,5, la part du gâteau rétrécit... On est contraint à davantage de pub pour des volumes de vente réduits. La concurrence contraint à davantage de promotions et une baisse significative des marges. Cerise sur le gâteau : plusieurs de nos fournisseurs, connaissant eux-mêmes les difficultés du secteur, se mettent à vendre à nos concurrents parfois même à un meilleur prix, d'où perte de crédibilité.
Ce sont là les aléas du commerce où comme à Rome, la Roche Tarpéienne est proche du Capitole...
Il y avait un magasin Eurodif à Bourges, que je trouvais très agréable, et très bien achalandé.
RépondreSupprimerMon analyse du commerce et de l'industrie :
Les secteurs qui ne seront jamais menacés par la concurrence des autres pays sont ceux qui resteront au stade de l'artisanat comme la bijouterie, la maroquinerie, et les spiritueux, comme le cognac ou l'armagnac.
Les frères Lascar propriétaires de la chaîne Eurodif, après bien des vicissitudes, ont fini par survivre mais les magasins Eurodif ont disparu et ont été remplacés par l'enseigne Bouchara qui demeure, comme Burton of London aux mains du groupe Omnium qu'ils possèdent.
RépondreSupprimerUn des facteurs conjoncturels que j'ai oubliés de mentionner est la perte d'attrait qu'ont connu les magasins de vêtement proposant du bas de gamme. Cette tendance se faisait déjà sentir dans les années 80 (Cf. les vicissitudes connues par Tati).