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vendredi 21 février 2020

Un cas rare (qui ne me laissa pas de marbre)


Il m’arrive de me demander pourquoi j’ai choisi ce métier. Conseiller conjugal ! Quelle idée ! Enfin, c’est comme ça. Il faut reconnaître que je ne savais pas trop quoi faire de ma peau quand, arrivé à quarante-cinq ans après trois divorces et une deuxième faillite dans le commerce des N AC (nouveaux animaux de compagnie), je me vis dans l’obligation de donner une nouvelle orientation à ma vie. Je suis, par hasard, tombé sur l’annonce d’un organisme de formation de conseillers conjugaux et familiaux. J’ignorais alors jusqu’à l’existence d’une telle profession. Renseignements pris, ça ne me parut pas une si mauvaise idée : à l’abri des intempéries, aucune charge lourde à soulever, la possibilité d’exercer en indépendant donc d’horaires souples, rien de carrément rebutant. Et puis, faire ça ou peigner la girafe… Surtout que mes expériences matrimoniales, pour malheureuses qu’elles aient été, pourraient s’avérer utiles. A défaut de savoir ce qu’il fallait faire, je savais ce qu’il était souhaitable d’éviter. Je suivis donc la formation et ouvris un cabinet.

Depuis, on peut dire que j’en ai entendu des conneries ! Il est rare que les clients se déclarent heureux de leur sort et qu’ils viennent vous voir pour trouver des façons de l’améliorer encore. C’est plutôt le bureau des pleurs. On reçoit des personnes, des couples, des familles (composées, décomposées, recomposées, surcomposées) qui n’ont en commun que des déboires variés et la croyance que leurs problèmes ne sauraient trouver de solution sans une aide extérieure. Des gens qui assimilent leur vie à une croisière sur le Titanic et qui espèrent tout des secours. N’étant pas la petite fée bleue, tout ce que je peux leur offrir c’est des conseils de simple bon sens. En général ça marche et ces braves gens reprennent, rassérénés, leur course vers l’iceberg.

Toutefois, dans cet océan de banalité, il arrive qu’apparaissent des cas originaux. Comme celui de Mme B. Lorsque j’ouvris la porte de mon cabinet, je vis dans la salle d’attente une jeune femme au physique plutôt agréable. Je la priai d’entrer et de m’exposer les motifs de sa visite.
- Eh bien voilà, docteur,
Je l’arrêtai tout de suite, lui signifiant que je n’étais aucunement docteur mais un simple conseiller et que monsieur serait plus approprié.
- Eh bien voilà, monsieur, je me suis mariée il y a quelque mois et, depuis, ma vie est devenue un enfer.
- Un enfer ? Comment cela ?
- Oui, un enfer où l’ennui et la tristesse seraient les tourments, précisa-t-elle tandis que des larmes lui montaient aux yeux.
- Ce que vous me dites là m’étonne. Que l’ennui, né de la routine, s’installe en quelques mois est inhabituel. N’aviez-vous pas noté auparavant chez votre mari une certaine tendance à se montrer lassant ?
- Mais non ! C’était un vrai boute en train, toujours gai, toujours partant pour la fête, toujours le mot pour rire, toujours un verre à la main ! Avec lui, c’était la vie rêvée ! Il fallait l’entendre, au petit matin, après une nuit bien arrosée, déclamer du Claudel ou du Péguy ! C’était à se tordre ! Sans compter que, dans nos rapports, euh, disons… ...intimes, c’était incroyable, on aurait dit qu’il était plusieurs et pas des manchots, des habiles, des langoureux, des raffinés… Le pied, quoi ! Et puis délicat, attentionné, gentil. Je l’avais rencontré au pot de Noël du CE – nous travaillons dans la même boîte - , il faut dire que nous n’avions pas sucé que des glaçons, et, tout de suite, j’ai su que c’était lui. Ma moitié d’orange ! On ne s ‘est plus quittés, on a fait des bringues mémorables, et de fil en aiguille, on s’est mariés. Et là tout a changé. En prononçant ces derniers mots, la gaîté retrouvée à l’évocation des temps heureux s’embruma de mélancolie.
- Si je vous suis bien, votre mari était un bringueur invétéré qui trouvait dans l’alcool une source de bonne humeur sous laquelle il dissimulait son mal être. Je suppose que, suite au mariage, il a tombé le masque et révélé sa vraie nature..
- Sa vraie nature, vous croyez ?
- Toutes les épouses d’alcooliques se posent la même question. Je suppose qu’il se montre agressif, violent, avec vous, qu’il est sujet à des crises d’abattement qu’il noie dans un verre…
- Mais non ! Pas du tout ! Il ne boit plus une goutte d’alcool ! Il est resté gentil, prévenant, délicat,souriant. Seulement, il est devenu carrément chiant, y’a pas d’autre mot. Depuis notre mariage, il a, allez savoir pourquoi, décidé de passer à autre chose, d’être sérieux, enfin, ce qu’il considère comme sérieux. Il refuse les sorties, a repris des cours par correspondance en vue d’améliorer sa situation, reste à étudier jusque tard dans la nuit.Il a même ouvert un plan d’épargne logement, il rêve d’un pavillon. Quand je tente de l’entraîner dans des ébats amoureux, il me répond « pas aujourd’hui » et retourne à ses foutus cours. Vous appelez ça une vie, vous ?
- Hum, ce que vous me dites là a quelque chose de déroutant. Votre enfer ressemble beaucoup à ce que bien d’autres que vous appelleraient un tranquille bonheur conjugal…
- Le problème est que je ne suis pas une autre que moi. Je pensais avoir épousé un joyeux drille et je me retrouve avec un bonnet de nuit ! Il y a tromperie sur la marchandise !
- On peut en effet le voir comme ça… Toutefois, ne pourriez-vous pas tenter de vous accommoder à cette nouvelle donne ? Ne pensez-vous pas que ce qui vous paraît aujourd’hui ennuyeux pourrait, avec le temps, devenir agréable, rassurant ?
- Mais je n’ai aucun besoin d’être rassurée ! Je veux vivre, rigoler, faire la fête, pas m’enterrer dans une routine sclérosante !
- Vous êtes-vous ouverte à votre mari de vos griefs ?
- Bien sûr, mais tout ce qu’il trouve à me répondre c’est qu’il fait tout ça pour moi, que dans la vie il y a un temps pour tout, qu’avec les années, j’en viendrai à réaliser qu’il a raison, et tout ça avec son éternel et doux sourire : IL M’EMMERDE !
- J’avoue que vos propos me laissent perplexe. Peut-être pourrions-nous envisager une rencontre ensemble afin de tenter que chacun fasse un pas vers l’autre ?
- Je doute qu’il accepte, il est tellement persuadé d’être sur le droit chemin ! En vous parlant, j’ai réalisé une chose : il n’était pas fait pour le mariage. En effet, son comportement passé aurait rebuté celle à qui sa vie actuelle conviendrait, tandis que cette vie détruit les espoirs que j’avais placés en lui. La séparation s’impose.
- Peut-être avez vous raison… Ça fera cinquante Euros, conclus-je en soupirant.

13 commentaires:

  1. Vous en avez fait des trucs, vous! A quand votre prochain billet sur vos souvenirs d'orpailleur dans le Yukon? Je suis impatient...

    Le Page.

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    1. Attention ! Dans ce texte, c'est comme chez Proust : le narrateur n'es pas l'auteur !

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  2. Cherche conseiller conjugal. Expérience exigée : minimum 3 divorces.

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    1. Je ne saurais donc postuler, n'ayant que deux divorces à mon actif (plus quelques séparations mais ça ne compte pas).

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  3. Et vous ne lui avez pas proposé de l'épouser...? ni de la prendre comme nouvel(le) animal(e) de compagnie ...?
    Vous deviez avoir vos raisons...

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    1. Comme je le signalais à Le Page, ce texte n'est pas autobiographique. Toutefois, il est arrivé à ma première épouse de me dire, alors que j'en exprimais le désir qu'elle n'avait pas épousé un bringueur pour aller s'enterrer à la campagne.

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    2. C'est de la triche...
      j'en viens à me demander si vous avez réellement compté les têtes de crevettes sans corps et les corps sans têtes en revenant du marché.
      Quand le doute s'insinue...

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  4. bravo pour le jeu de mots

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  5. Tout le monde l'a-t-il saisi? Il faut dire qu'il y a bien longtemps, à Marcoussis, j'avais appris que la vierge à l'enfant du XVe siècle qui orne l'église était en marbre de Carrare.

    J'étais assez content du jeu de mots mais, vérification faite, j'ai pu constater que d'autres en avaient eu l'idée. Il faut dire que c'était tentant...

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  6. Je suis tout de même assez ébahi que certains aient pu prendre ce texte pour un authentique témoignage, du "vécu". Il me semble que la façon dont l'auteur fait s'exprimer sa "consultante" montre fort clairement qu'il s'agit d'une saynète destinée à faire rire, presque une pochade.

    (Il y a des moments où j'ai l'impression d'être le seul à savoir encore lire. Heureusement, dès le moment suivant, mon exceptionnelle et admirable modestie me dit que, non, il doit sûrement y en avoir encore deux ou trois autres…)

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    1. Je crois que, plus que d'une erreur d'interprétation il s'agit d'humour : on s'est gentiment moqué de moi et en réponse j'ai choisi d'entrer dans le jeu.

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  7. Ah! Bravo pour l'humour du titre (quoique…). Heureusement que je suis là pour le signaler !

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