Ce matin, j'entends au poste que la
prochaine vedette du Crazy Horse, célèbre temple du « nu
chic » sera une unijambiste. Craignant être victime d'une
surdité soudaine mais conscient que nous vivons des moments inédits,
je fais une recherche sur le Net et suis bien vite rassuré quant à
l'acuité de mon oreille et confirmé dans l'idée que nous vivons
une époque merveilleuse : en effet, une certaine Viktoria
Modesta (qu'on peut espérer savoir rester simple dans le triomphe)
sera bien, du 3 au 16 juin prochains, intégrée à la troupe du
fameux cabaret parisien.
Mais attention, si la belle (il se
trouve qu'elle l'est) fut amputée d'une jambe à 20 ans, cela ne
signifie pas qu'elle dansera le French cancan sur une jambe,
performance délicate s'il en est. Car elle est équipée de
prothèses. Non pas comme celle que chanta Dranem d'une jambe de bois
mais de prothèses qui sont de véritables œuvres d'art. Je ne sais
pas ce que vous en pensez mais personnellement j'ai du mal, au
contraire de la directrice artistique de l'établissement où elle se
produira, à penser que« Dans un monde en plein
questionnement sur le rôle et l’image de la féminité, la
rencontre des univers du Crazy Horse et de Viktoria Modesta permet de
mettre en scène une autre vision de la femme, de la sensualité et
de la beauté au XXIe siècle ». Je ne suis pas non
plus très convaincu par ce que la personne qui rédige l'article déclare au sujet de la nouvelle « évolution » qu'on
constate dans le domaine de la mode en évoquant une top model
amputée des deux jambes, une autre souffrant d'une maladie rare ou
une autre encore trisomique.
J'ai plutôt l'impression que sous le
prétexte progressiste de donner à chacun sa chance, on a fait un
grand bond en arrière à savoir qu'on en est revenu à l'exhibition
de « phénomènes » comme jadis on en montrait au public
avide de curiosités dans les foires. Tout est bon pour faire du fric
et d'autre part, cela permet aux performeurs « atypiques »
de mener une vie moins frustrante que celle de simple handicapés. Il
n'empêche que je ne trouve pas cette recherche du sensationnel très
saine.
Je sais qu'aujourd'hui on nage à
travers la manche sans bras, à travers l'Atlantique sans jambes et
que la femme à barbe gagne le concours de l'Eurovision mais où
s'arrêtera-t-on, si jamais on s'arrête ? Verra-t-on bientôt
des trapézistes tétraplégiques, des tournois de mikado pour
parkinsoniens, des compétitions de triple saut pour culs-de-jatte ?
En attendant la réponse, je vous
propose cette chanson très fine de l'immense Dranem que mon père
aimait à fredonner en des temps barbares :
Vous oubliez tous ces admirables méritants, de plus en plus nombreux, qui se lancent courageusement dans la traversée de l'existence sans cervelle : ils ont droit, eux aussi, à notre respectueux respect respectatif, il me semble !
RépondreSupprimer" la traversée de l'existence sans cervelle" n'a rien de monstrueux. Il me semble que ce soit la norme, non ?
SupprimerA cette exhibition de monstres de foire en live, je préfère encore revoir "Freaks",le film de Todd Browning, où on a déjà tout ce qu'il faut et un ensemble très représentatif.
RépondreSupprimerVendémiaire.
J'ai pensé à ce film en écrivant mon article.
SupprimerLa différence, c'est qu'il me semble qu'à l'époque de Dranem on faisait tout pour cacher ses infirmités, tandis qu'aujourd'hui on les exhibe !
RépondreSupprimerC'est ce qui caractérise notre époque : l'anormal devient normal et le normal détestable. On y est même fier d'être anormal.
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