Quand j'étais au Cours Préparatoire
et que j'avais fait quelque chose de bien on me donnait un bon point.
Avec vingt bon point, j'obtenais une image de Benjamin Rabier et
j'étais tout content. Pas spécialement à cause de la beauté ou de
la drôlerie de ladite image mais parce qu'il existait, entre les
bons élèves dont j'étais, une compétition. Celui qui avait le
plus d'images faisait la fierté de ses parents et l'envie de ses
rivaux.
Je ne sais pas si un tel système
perdure. Je serais tenté de penser que non, vu le traumatisme que
constituerait pour les cancres le fait de n'avoir que très peu de
bons points et encore moins d'images.
Les images, aujourd'hui, on les offre
aux adultes sous formes de vidéos. C'est bien, une vidéo :
c'est la réalité, c'est difficile à truquer. Les réseaux sociaux
en regorgent. Elles rassurent et confortent les braves gens souffrant
de préjugés. Celles qui montrent des violences policières sont
prisées des ennemis de la « dictature macronienne »,
qu'ils se disent de droite ou de gauche. Celles qui montrent des
Black Blocs tabassant un flic ou vandalisant un magasin rassérènent
les autres. Tout le monde est content !
Le problème est qu'une vidéo, une
image ou même une scène à laquelle on assiste ne prennent leur
véritable sens que replacées dans un contexte qu'on s'empresse de
ne pas montrer ou qu'on ignore. Un CRS gifle ou bouscule un
manifestant : c'est pô bien. Seulement que s'est-il passé
avant ? Mystère ! L'anti-flic ne se le demande jamais ou
ne veut pas le savoir. Il a reçu son image, il en est rose de
plaisir (ou vert d'indignation mais au fond ça revient au même).
Je citerai deux anecdote auxquelles le
contexte donne un nouvel éclairage. Une nuit que j'étais aux urgence
de l'hôpital de Chartres en train de goûter aux joies d'une colique
hépatique qui eut pour conséquence ultime de me priver de vésicule
biliaire, j'entendis une jeune infirmière reprocher aux nervis de la
police de lui présenter un blessé menotté. Il lui fut répondu que
le gars que leur malheureux prisonnier venait de poignarder et qui se
trouvait au bloc chirurgical pourrait lui expliquer cette précaution.
Autre petite histoire : suite à
une manifestation du National Front, la presse anglaise publia la
photo d'une pauvre petite vieille au visage ensanglanté réputée
avoir été victime de la violence de ces brutes fascistes. Hélas,
quelque jours plus tard, la bonne grand mère reparut pour déclarer
qu'elle était en fait une militante du NF, victime d'une chute suite
à une action des contre-manifestants.
Comme quoi, ce qu'on voit...
Remarquez, je dis ça, je dis rien. Je
n'ai aucune illusion quant au fait que les gens continueront de voir
ce qui leur plaît et d’interpréter les images de la manière qui
convient le mieux à leurs préjugés ou à leurs détestations
quitte à mêler leur voix au concert d'autres qui sont à leur
extrême opposé sur l'échiquier politique. Pour eux, les ennemis de
leurs ennemis sont leurs amis. Pas pour moi.