..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

mercredi 16 octobre 2013

Montée du populisme ? Vous rigolez !



Fidèle à sa mission de service comique, France Inter (RSC™) nous a offert ce matin un débat digne de sa réputation. Il réunissait autour de M. Cohen trois politologues M. Cayrol, M. Reynié et Mme Martin*. Le sujet en était  « Que traduit la montée du Front National ? »

J’en ai pris moult notes dont je ne vous imposerai pas la lecture et me contenterai d’en résumer les grandes lignes. Vous retrouverez les deux parties de ces échanges ici. Ce qui me paraît intéressant, ce sont les positions de M. Cayrol. Voilà un homme de gauche comme je les aime. Ancien actionnaire de l’institut de sondage CSA, il a en 2008 cédé ses parts au groupe Bolloré et poursuit, malgré ses soixante-douze ans sonnés, une carrière de directeur de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Ne serait-il pas  dommage qu’une telle lumière cesse d’éclairer les consciences de nos futures « élites » ? Invité quasi-permanent de C dans l’air, il ne dédaigne pas de distiller les enseignements de sa profonde sagesses à un public plus large.

Que nous dit cet excellentissime universitaire ?  Eh bien qu’il n’y a pas de montée du « populisme ». Ses interlocuteurs, esprits égarés, refusent cependant cette évidence. M. Reynié étend cette montée à l’ensemble de l’Europe et l’explique par les problèmes démographiques du continent, sa stagnation économique, les conflits interculturels qu’entraîne une immigration de masse et les difficultés que connaît l’état-providence à remplir son rôle.    Foutaise que tout ceci,  lui rétorque le bon Roland : une population vieillissante se replie sur des valeurs conservatrices tandis que dans toute l’Europe se développe un « racisme » anti-musulman (l’Islam serait donc une race ?) le tout étant monté en épingle par les media. Malgré tout, Marine Le Pen a obtenu moins de suffrages en 2012 que son père dix ans avant et, preuve que tout va très bien, évoque une société plus ouverte où la vie associative n’a jamais été aussi riche.

M. Reynié le contredit pourtant, évoquant la montée du populisme en Norvège comme en Suisse, pays sans grands problèmes et n’appartenant pas à l’UE.  Tu raisonnes comme un coup de marteau dans la merde, mon pauvre Dominique (la formule est de moi) objecte le vénérable Roland : les aspirations des électeurs du FN sont en contradiction avec son programme, vu qu’ils sont pour l’Europe et l’Euro. Il s’agit d’un vote protestataire, et puis c’est tout. Un peu plus tard, Mme Martin, arrivée à la bourre,  lui objectera que la question d’un  vote d’adhésion ou de simple protestation n’est posée qu’au sujet du FN et qu’il est concevable que les électeurs des autres partis n’adhèrent pas plus à leur programme (Pleine de bon sens, la Virginie, comme quoi on peut être socialo et avoir comme des éclairs de lucidité)…

Mais je deviens long… Disons qu’ensuite on évoquera ,suite à une intervention d’auditeur, la fausseté du « parler simple » du FN, que M. Reynié persistera à déclarer que la droitisation se poursuivra en s’amplifiant à mesure qu’en Europe les peuples ressentiront que non seulement leur niveau de vie mais leur style de vie se trouvera remis en cause. Le soin de conclure sera laissé à M. Cayrol  qui questionné sur la  solution du problème (?) que pose cette montée par l’obtention de résultats économiques  répondra que ces résultats sont évidemment nécessaires mais insuffisant car il faudra également que le gouvernement redéfinisse ce qu’est le pacte républicain et comment il compte l’incarner…

Résumons-nous : il n’y a pas pour M. Cayrol de montée du populisme (i.e. du FN), il n’y a qu’une impression de montée (à rapprocher du sentiment d’insécurité). Curieusement, pour résoudre un problème qui ne se pose pas, de bons résultats économiques ne suffiront pas, il faudra travailler en profondeur afin d’éradiquer les causes culturelles profondes d’’une non-adhésion.

Décidément, ce brave Roland me plaît. Il est un archétypal d’une gauche qui refuse de voir tout ce qui pourrait remettre en cause sa doxa. Son aveuglement volontaire participe à entretenir la défiance du peuple vis-à-vis d’ « élites » déconnectées. Avec de tels adversaires, point n’est besoin d’alliés.

*Notez au passage que tout ce beau monde travaille à (et est issu de) Sciences Po. De là à penser qu’ils feraient partie d’une communauté idéologique  à laquelle appartiendraient  également politiciens et journalistes il n’y a qu’un pas que des esprits futiles franchiraient aisément…

mardi 15 octobre 2013

Charmant pays !



Ma fille partira ce week-end pour des vacances à Abu Dhabi. Chic alors ! Les plages de sable fin, le soleil : une destination de rêve ? Si on veut. Encore faut-il aimer le soleil, la plage, le sable fin, et surtout  les contraintes. Car figurez vous qu’aux Émirats Arabes Unis, on a une forte identité nationale. Chose qui, en notre beau pays est inconcevable. Une simple tentative de définition d’un tel concept fait de vous un dangereux fasciste, tendance nazi. Du moins aux yeux des gens décents et bien pensants. M. Finkelkraut évoquant le sujet ce matin sur la RSC™ se vit taxer de passéisme. En gros, dans un pays qui change, où de nombreux éléments allogènes sont venus installer une bienheureuse hétérogénéité, parler d’identité est dépassé, la norme étant l’absence de norme.

Eh bien, à Abou Dhabi, il n’en va pas de même. La population de souche constitue une faible minorité : les immigrés ne sont pas loin de 78%. En bonne logique modernœuse, le pays devrait voir s’épanouir un multiculturalisme de bon aloi. Or le moins qu’on puisse dire c’est que c’est loin d’être le cas. Il semblerait qu’on n’y plaisante pas avec le respect des coutumes et préjugés locaux sans que personne ne trouve à y redire et qu’une minorité de moins du quart de la population n’hésite aucunement à imposer sa loi du simple fait qu’elle est souchienne.  Un autre monde, je vous dis.

Ma fille m’ayant  touché quelques mots des diverses contraintes que le touriste se devait d’y respecter, des doutes s’élevèrent en moi, tant elles me parurent peu vraisemblables. Je lançai donc une recherche sur ce sympathique petit émirat et trouvai ce site. Curieusement, ce qui m’avait été dit se trouva confirmé. J’appris même de nouvelles choses.  Pour le moins étonnantes à nos yeux d’occidentaux « éclairés ».

Ainsi, je me mis à m’inquiéter un brin sur le sort de ma progéniture quand j’appris ceci : « En tant que couple non marié aux Emirats arabes unis, votre situation est illégale, et ceci est valable tant à Abu Dhabi qu'à Dubaï, ou à plus forte raison encore à Sharjah ou dans les émirats du Nord.
Les relations sexuelles hors mariage sont interdites, et il est également interdit d'habiter sous le même toit qu'une personne de sexe opposé qui n'est pas de votre famille. Des peines de prison ferme peuvent être prononcées pour ce genre de causes.
Cela dit, il existe une certaine tolérance à l'égard des expatriés occidentaux. Assurez-vous d'être en bons termes avec votre gardien d'immeuble, et déclarez aux gens que vous rencontrez que vous êtes mariés ; cela simplifiera bien des choses. 
Il est également possible que l'on vous refuse des chambres d'hôtel communes si vous ne présentez pas de certificat de mariage.
En tous les cas, veillez à rester discrets sur ce point, ou mariez-vous avant de venir aux Emirats, c'est encore ce qui est le plus simple ! »
Or ma fille et son copain ne sont pas mariés. Ce qui peut s’expliquer par le côté récent de leur rencontre et le fait qu’ils vivent à quelques centaines de kilomètres l’un de l’autre.  Finira-telle en prison ?

Pour ce qui est de la tenue vestimentaire, il faut se montrer prudent, surtout quand on est une femme.

Quand à la liberté d’expression, elle est, disons, encadrée : «Sachez qu'il est strictement interdit aux EAU de critiquer :
  • les religions monothéistes, et plus particulièrement l'Islam,
  • le pays, le drapeau, ou tout ce qui se rapport à la nation,
  • les instances politiques et la famille royale.
Même pour rire ou sur le mode de l'humour, ces critiques sont passibles de prison ferme. Lisez aussi notre article détaillé sur internet et la censure aux Emirats arabes unis et sur les religions aux Emirats arabes unis. »

En période de Ramadan, les choses se corsent encore.

Je pourrais multiplier les exemples et citations de restrictions troublantes. Si ça vous intéresse, allez-y voir…

Tout ça donne à penser. Dans les quelques démocraties de type occidental que compte le monde, la mode est au relativisme, à l’ouverture à l’autre et à l’acceptation quand ce n’est pas à l’exaltation de la différence. Il semblerait que dans le reste du monde cette mode n’ait que peu d’adeptes. Sans désirer un impossible retour à la traditionnelle intolérance, je pense que si nous voulons conserver le peu de liberté et de traditions qui nous restent, il serait prudent de ne pas nous laisser  trop envahir  par des populations qui n’ont que peu d’estime pour nos traditions et notre liberté.

En résumé, au contraire d’une des plus grandes blogueuses de tous les temps pour qui « Dans un environnement qui change, il n'y a pas plus grand risque que de rester immobile », je dirais que « dans un monde qui ne change pas vraiment, il paraît suicidaire de trop bouger ».

lundi 14 octobre 2013

Elle a bon dos, la crise !



Vous le savez, les gens sont bêtes. Ce n’est plus à démontrer. Du coup, tout ce qui est intelligent ne leur parle pas. C’est ce qui explique qu’au lieu d’apporter au gouvernement présent tout le soutien qu’il mérite, ils  dérivent  vers LES extrêmes, enfin, surtout vers UNE extrême. Et la crise a pour effet déplorable de rendre les gens de plus en plus bêtes et même de transformer des personnes jusque là réputées raisonnables en parfaits imbéciles.

Il y a les vrais problèmes. Les gens ne les voient pas. Ils préfèrent l’imaginaire. Et en plus ils sont manipulés par les média qui, chacun sait, sont tous acquis aux thèses les plus nauséabondes et les propagent avec zèle. Et ça mène à Brignoles. Simple, non ?

Le problème, si on  suit cette logique, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Parce que ce qu’on appelle « crise » n’est pas près de se terminer. Elle a quarante ans, la force de l’âge et la bougresse est costaude ! Nous enterrera-t-elle tous ?

Toutefois, il est envisageable que cette logique soit basée sur des prémisses douteuses. Il se pourrait même que les gens ne soient pas si bêtes, qu’ils aient de bonnes raisons de ne pas soutenir M. Hollande et sa clique, que certains problèmes ne soient pas si imaginaires qu’il est convenable de penser, que les prêchiprêchas médiatiques soient plus vertueux qu’on ne se plaît à les décrire et que, justement, on ne les écoute pas vraiment…

Et si la bienpensance était totalement en dehors de la plaque ? Hypothèse audacieuse, certes, mais cependant envisageable. Si plutôt que de dérives, certaines positions découlaient de prises de conscience ?  Si à force d’erreurs et de mensonges les bienpensants étaient en passe de perdre  toute crédibilité ? Si, sans nier les problèmes « essentiels », l’électeur voulait manifester son désir de voir pris en compte certains problèmes « secondaires »?

Une victoire électorale ne s’explique pas, et c’est dommage, par une seule raison qu’on appellerait «  la crise ». Pour réunir une majorité, il faut agréger de nombreuses composantes parfois contradictoires voire carrément opposées. Quel que soit le parti vainqueur, il lui faut réunir autour d’un noyau de militants convaincus, des échaudés du courant adverse, des protestataires de tout poil, des aventuriers avides de nouveauté, des gens qu’un seul point parfois secondaire du « programme » motive,  de fervents croyants au Père Noël, des distraits, des myopes ou des ivrognes qui se trompent de bulletin…

Si un parti se trouve être le seul à adopter des positions claires (ou simplement ressenties comme telles) sur tel ou tel point, qu’il présente l’avantage de n’avoir pas été aux postes de commande, que les partis traditionnellement dominants se sont montrés incapable de résoudre les problèmes du pays après s’être mutuellement accusés d’être la cause de tous ses maux, ses chances de rassembler sont grandes. Surtout si les tenants du système continuent de tenir un discours tellement éculé qu’on se demande comment ceux qui le prononcent peuvent encore faire semblant d’y croire .

dimanche 13 octobre 2013

La « canonisation » Saint Marcelin (2)

Il fallait encourager les racontars stupides des paysans. Mieux, il fallait les répandre. Jusqu’à ce que Rome les entérine.

Thibault Patte-Croche encouragea en sous-main la propagation des rumeurs les plus folles. Ainsi, ce rêve d’ivrogne de la fontaine de bouillette prit corps. Pourquoi se gêner? Ne racontait-on pas qu’Odilon, le vieil abbé de Cluny pouvait changer l’eau en vin ? Un peu plus, un peu moins… Quand on est parti à déconner…

De proche en proche se répandit dans le Baugeois d’abord puis dans les provinces alentour la légende du Grand Saint Marcelin…

Les gens affluèrent de partout.

Les dons des pèlerins permirent bien vite que s’édifie une église romane avec chapelles rayonnantes autour d’un déambulatoire. Dans la chapelle axiale trônait le tombeau du saint, surmonté d’un gisant le représentant en abbé crossé et mitré. N’était-il pas le père de la communauté qu’il était censé avoir fondé ? C’est cette représentation qui par erreur amena certains peintres à le représenter en évêque.

Point de vue miracles, c’était le top.

A cette époque, les reliques ne s’étaient pas encore spécialisées. On était thaumaturge ou pas. Si on l’était vraiment pourquoi limiter son talent ? Marcelin était un saint généraliste. Et bougrement efficace. Avec lui, les aveugles voyaient, les sourds entendaient, les paralysés dansaient, les bègues haranguaient, les coincés bandaient, les manchots jonglaient, les culs-de-jatte bondissaient, les désespérés chantaient...

Du moins parfois… Ou presque… Enfin, on va pas chipoter ! C’est tout l’avantage de la magie. On ne s’en souvient que quand ça marche… Et puis entre carrément guéri et pire qu’avant, il y a de la place pour bien des améliorations.

En outre, un pèlerinage, ça fait une sortie. Mettez-vous à la place du paysan du XIe siècle, grevé d’impôts, attaché à la glèbe, pas de télé, pas de bagnole, rien ! C’est pas écouter les conneries de sa belle-mère en bouffant des châtaignes à la veillée qui va le distraire. En revanche, si sous prétexte d’aller soigner ses rhumatismes, il prenait une sorte de congé, il s’offrait un petit voyage ? Long, mais pas trop. Le temps de faire sentir qu’on manque sans laisser celui de s’organiser… Voilà une idée qu’elle serait bonne ! On voit du pays, on couche à l’église, on se promène en ville, on va dans les rues où, à ce qu’on raconte, il y a des filles bien gentilles qui vous XXXX la XXXX à XXXX de XXXX comme des XXXX* ! Et on revient content. D’autant mieux guéri qu’on avait un rien exagéré sa claudication avant de partir. La prochaine, fois, ça sera pour le dos…

De nos jours, ces superstitions ne riment plus à rien : l’employé moderne pour peu qu’il ait un CDI s’attache à sa tâche. Il est grevé d’impôts, mais c’est pour la bonne cause. Il a la télé, et tant que la télécommande ne reste pas bloquée sur Arte, c’est quand même distrayant. Il a une voiture qui lui permet d’aller où il bosse. Il est heureux, quoi ! A quoi bon aller pérégriner par les chemins quand on peut s’emmerder chez soi ?

La position centrale qu’occupait Saint Marcelin en pays d’Oil, assura son succès. Oh, ce n’était pas Chartres, Saint Jacques de Compostelle ou Jérusalem, bien sûr, mais c’était un bon petit lieu de pèlerinage familial. Et profitable… Thibault Patte-Croche était depuis des lustres parti goûter les pissenlits par la racine que ses descendants se félicitaient encore de son initiative. Ils envisageaient même de remplacer le sanctuaire original par une de ces merveilles de lumière que l’on appellerait plus tard gothique. Il s’agissait d’un gros investissement. Pour se payer ça, il fallait jouer dans la cour des grands. Et c’est là que le bât blessa. On était en 1216. Le concile du Latran venait de se terminer. Entre autres joyeusetés, il avait été décidé que la vénération des reliques serait interdite sans l’accord du pape.

Marcelin n’était saint que par la Vox populi. Réclamer sa reconnaissance au Saint-Siège prendrait du temps, serait coûteux et pour le moins hasardeux. On se résigna à demeurer local. Après tout, tant que l’évêque de Corbinville n’y voyait pas d’inconvénient majeur, son culte pourrait continuer. Et il continua, bon an mal an, tant que persista le culte des reliques. La contre-réforme ne lui fit pas de bien. Et puis, comme partout ailleurs la foi s’étiola… L’Église mit de l’ordre à tout ça….

On finit par admettre que le saint n’était pas vraiment saint… A regret.

N’empêche, la légende était belle… …et Baugeoise en diable !


* On raconte même que certaines vous XXXX les XXXX avec les deux XXXX, et ensuite vous XXXX le XXXX tout en vous XXXXant la XXXX. Mais ça, j’ai du mal à y croire. Quoique, avec ces cochons de médiévaux, on puisse s’attendre à tout….

samedi 12 octobre 2013

La « canonisation » Saint Marcelin (1)



J’ai choisi de ne pas employer la préposition « de » entre le nom et son complément afin de faire plus médiéval. C’est par de tels détails que l’artisan consciencieux se distingue du simple gougnafier. 


Thibault Forte-Tige mourut quelques années après son père. Les réformes qu’il opéra furent négligeables. C’est à peine s’il parvint à imposer quelques menues taxes et corvées aux membres de la communauté. Son fils et successeur, Marcelin Le Cocu, passait trop de temps à surveiller son épouse Hermeline La Chaude pour s’occuper efficacement de la restauration du système féodal qu’avait aboli son grand-père. Il fallut donc atteindre l’accession à la seigneurie de leur fils, Thibault Patte-croche pour que les choses se missent à changer. Et à changer elles se mirent alors…

Ce Thibault de triste mémoire fut ainsi surnommé pour son âpreté au gain. Nul moyen ne lui paraissait trop vil pour accaparer les richesses. Ainsi, suite à un long procès, il parvint à réintégrer totalement à la seigneurie de Riche-Motte les terres de la communauté de La Neuville Marcelin comme on la nommait maintenant. La bourgade avait prospéré et laisser de si riches terres libres d’impôts lui paraissait inacceptable. S’il ne parvint pas à asservir les habitants, il les fit ployer sous des droits d’une variété et d’une lourdeur que nos modernes technocrates n’ont pour l’instant su dépasser.

Puis un jour lui vint une idée. Elle lui vint par le grand chemin. Une forte troupe composée de moines, de serviteurs et d’hommes d’armes réclama son hospitalité pour la nuit. Elle ne demandait qu’un abri. De provisions elle était fort pourvue. L’avare seigneur accepta donc de les abriter dans sa basse-cour où ils montèrent de riches tentes sous l’une desquelles on dressa les tables d’un festin où il fut convié.

Dans la douceur d’une nuit d’avril, le repas s’éternisa et Thibault apprit du chef de la troupe, un gras moine, qu’il convoyait vers le monastère de Neumoutiers rien moins qu’un poil du Saint Sourcil et un tibia de Saint Théophraste de Cappadoce. Le bon roi Louis VII les avait achetés à l’empereur de Constantinople afin d’en doter le monastère qu’il venait de fonder. Le prix de ces saintes reliques restait secret, mais le nombre de soldats de l’ost royal qu’on avait chargé de leur garde le laissait penser digne d’une rançon de roi.

Le bénédictin raconta comment la rare relique « directe » apporterait au monastère dont il était prieur célébrité et… …richesse. Il expliqua que, du fait de l’Ascension du Christ, il ne restait de son enveloppe charnelle que quelques saintes reliques « directes », son prépuce, quelques cheveux, quelques poils de barbe et d’autres endroits moins saints, une rognure d’ongle, trois dents de lait et le Saint Poil de Sourcil qui reposait sous forte garde dans un reliquaire d’or serti de cabochons précieux. Ces modestes restes, pieusement recueillis par des proches puis religieusement transmis de génération en génération depuis plus de mille ans avaient un pouvoir miraculeux inouï. Celui du tibia de l’ermite du désert, sans atteindre la vertu thaumaturgique du Saint Poil, avait néanmoins une grande valeur en ce milieu de XIe siècle où les lieux de pèlerinage se multipliaient.

La troupe quitta le château au matin. Thibault entendit s’éteindre progressivement le concert dissonant que formaient, se mêlant, les roues cerclées de fer des lourds chariots, le cliquetis des armes et des armures et les cantiques des moines. Mais un autre concert, autrement harmonieux aux oreilles de l’avare, remplaça celui du convoi : celui que produit en s’écoulant un flot continu de pièces d’argent et d’or. Car Thibault avait une idée…

Thibault Patte-Croche était un homme d’affaires avant l’heure. Sa capacité à repérer une niche de profit et à l’occuper, bien qu’il n’employât pas ce jargon, était forte et sure. Son manque total de scrupules – il eût sans états d’âme vendu sa mère si la garder n’avait été plus profitable – le rendait d’autant plus efficace.

Les propos du moine n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Qui dit relique dit pèlerins. Qui dit pèlerins dit commerce. Qui dit commerce dit foire. Qui dit foire dit droits…
Dans l’esprit imaginatif de l’avare Thibault poussaient à La Neuville Marcelin hostelleries, échoppes, tavernes, bordels, menant à elle des routes avec leurs ponts. Et tout ça, c’étaient des taxes, des droits, des péages, des bénéfices faits en sous-main dans les boutiques qu’il posséderait et ferait, pour ne pas déroger, exploiter par des hommes de paille.

Seulement, il fallait des reliques.

Mais des reliques… Ca ne se trouvait pas sous le pied d’un cheval ! Quand on possède un saint, on le garde pour soi… En cas de besoin, et quand il a une bonne cote, on en cède à la rigueur un bout plus ou moins conséquent. Moyennant une petite fortune.
Et s’il avait un SAINT ? Un saint à lui tout seul ? Un saint miraculeux en diable (passez-moi l’expression !) ?

Depuis qu’il avait pris en main les destinées de la seigneurie, s’était développée en Baugeois une légende autour de son bisaïeul. L’âpreté au gain du nouveau potentat local avait renforcé la tendance naturelle qu’ont les hommes à enjoliver le passé. Marcelin, de seigneur-brigand repenti après un riche mariage était devenu une sorte de saint thaumaturge.

C’est cette histoire « arrangée » que nous avons contée. Qu’était-il du Marcelin historique ?
Sans doute, poussé par sa pieuse épouse et rassuré par l’immense fortune qu’elle lui apportait, avait-il, pour le pardon de ses fautes, renoncé à quelques droits seigneuriaux. La fin du Xe siècle, après que la menace normande s’était effacée, constituait le point de départ d’une renaissance qui allait culminer au XIII siècle. Partout on défrichait. L’expansion démographique s’amorçait. Une paix relative régnait. De là à transformer l’époque de Marcelin en âge d’or, il n’y avait qu’un pas que l’on s’empressa de franchir… Les miracles s’étaient ajoutés d’eux-mêmes, comme par magie…

Bien entendu, cette légende, quand elle était parvenue à ses oreilles, avait commencé par l’agacer. 

Jusqu’à ce jour où il avait soudain réalisé qu’elle était …une mine d’or ! Mieux qu’une mine, même ! Car les mines s’épuisent, tandis que la crédulité se nourrit d’elle-même et va sans cesse grandissant ! 

Saint Marcelin ! Il le tenait, son saint !