Il y a plus de trois mois déjà j’écrivis un billet constatant avec un rien de mélancolie la mystérieuse disparition des chanteurs lors des repas de famille. Suzanne, dans un commentaire, nota que mon texte lui faisait penser au livre d’Annie Ernaux « Les Années ». Je lui promis de me le procurer. Comme je suis homme de parole, j’en parlai donc à la bibliothécaire du bourg voisin et cette consciencieuse personne lors de la visite que je lui rendis avant-hier me signala l’avoir reçu de la Bibliothèque Centrale de Prêt.
J’en ai entamé cet après-midi la lecture et, bien que j’aie de plus en plus de difficulté à m’intéresser aux nouveautés –je relis plus que je ne lis-, j’ai eu bien du mal à m’en arracher.
Quoique l’auteur soit de dix ans mon aînée, je me suis retrouvé plongé dans mon enfance. Il faut croire qu’en ces temps reculés les choses changeaient lentement. Annie Ernaux le note elle-même quand elle écrit : « La photo pourrait dater de la fin des années quarante ou du début des années soixante ».
Car c’est à partir de photos que se construit, pour reprendre les termes de la quatrième de couverture, cette « autobiographie impersonnelle et collective ». Au départ ces photos renvoient évidemment à des souvenirs de l’auteur mais bien vite le champ s’élargit et c’est toute la société du temps qui nous est dépeinte. Rien n'y manque : la religion, encore prépondérante, les écoles séparées, les marques et leurs slogans, les différences sociales et culturelles, les interminables repas de famille où les parents parlaient guerre, les chansons, les émissions de radio, mille détails font renaître l’époque et plongent le lecteur cacochyme que je suis dans un bain de nostalgie.
Et pourtant des années et le sexe nous séparent… Là est le talent de l’auteur : par delà des différences minimes ou fondamentales, elle a su extraire l’essence d’une société avant que celle-ci ne disparaisse emportée par le vent nouveau des « swinging sixties » dont le vieux général par son conservatisme un rien guindé avait su préserver la France jusqu’à ce que mai 68 emporte tout et lui avec.
Au moment d’en recommander la lecture, je me demande si pour les générations plus récentes ce livre peut présenter un intérêt autre que purement littéraire ou archéologique… Ce qui après tout ne serait déjà pas si mal.