Ce texte m’a été inspiré par notre conversation d’hier avec ma fille avec laquelle on ne parle pas que de météo.
Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard…
Voilà ce qu’écrivait M. Louis Aragon en 1943, alors qu’il était hébergé à Lyon par M. René Tavernier, père de Bertrand, dans un poème dont le titre et les vers témoignent du profond optimisme du Loulou à son Elsa : Il n’y a pas d’amour heureux. Repris par M. Brassens, bien qu’amputé de sa dernière strophe, j’avoue qu’en ma prime jeunesse, comme beaucoup d’autres de ses poèmes chantés par Ferrat ou Ferré, j’appréciais grandement ce texte. Je plaiderai l’excuse de jeunesse. Pour lui comme pour moi. Après tout, en 43, ce brave Louis n’avait que 46 ans, âge à mes yeux d’aujourd’hui prématuré pour tirer des enseignements définitifs sur le sens de la vie (si tant est qu’elle en ait un).
Ayant atteint depuis l’âge blet, je m’inscris en faux contre cette assertion. M. Sagesse des Nations qui, comme Aragon était loin d’être un con (j’en veux pour preuve le fait que ce dernier fut un fidèle et zélé laudateur du Grand Staline*) déclara, lui, qu’ « il n’est jamais trop tard pour bien faire ». Ce proverbe, je le fais mien.
Je suis persuadé qu’à l’école de la vie, les élèves sont souvent distraits, répugnent à assimiler leurs leçons, se complaisent dans l’inconfort de leur convictions originelles, en gros n’apprennent pas grand chose si ce n’est à accumuler les regrets stériles d’un âge d’or aussi révolu que fantasmé.
Ce n’est pas mon cas. Les quelques épreuves, somme toute bénignes, que j’ai pu traverser je ne les considère que comme des étapes utiles voire indispensables vers mon heureuse sérénité d’aujourd’hui. Je me souviens d’avoir, adolescent, griffonné sur un de ces bouts de papier qui recueillaient mes téméraires pensées et que j’ai depuis détruits « Quoi que je fasse, j’irai vers moi. ». J’ai l’impression, après un long cheminement, d’y être parvenu. A savoir que je mène avec équanimité la vie qui convient à ce que je suis, loin des indignations, des aigreurs, des ambitions, des frustrations, des passions qui pourrissent toute existence.
Cet indécrottable connard de Jacques Séguéla faisait un parallèle entre la possession (avant 50 ans) d’une Rolex et la réussite d’une vie. Je pense plutôt que c’est lorsqu’on atteint l’âge blet sans acquérir une claire conscience de ce que l’on est et vivre en fonction de cette connaissance que l’on a échoué, avec ou sans Rolex. C’est ce qu’avec une sage mollesse je m’efforce de faire. Je cuisine, je charcute, je lis, j’écris, je bricole, je jardine, je fais de la plomberie ou de l’électricité, je pédale comme un fou sur mon engin de torture, je croise les mots, etc., avec la profonde conviction que ce qui n’est pas fait aujourd’hui peut très bien ne pas se faire demain et que c’est sans importance. Solitaire, j’évite trop de contacts. Ce n’est pas moi qu’on verra, dans l’espoir jamais garanti de prolonger un peu mon existence, réduire ou supprimer mes consommations d’alcool, de tabac, de viande, de sucre ou de sel. Bref, je vis. Bien.
* Il faut vraiment une âme bien vile pour ne pas pleurer de tendresse à la lecture du texte « Il nous faut un Guépéou » que vous trouverez vers la fin de cet article.