J’envie les librophages. Je l’ai été un temps. Ce temps n’est
plus. Alors, quand je lis les amis Michel et Didier papoter bouquins, mon teint
tourne au vert pâle. Comment ont-ils su garder intact cet enthousiasme
juvénile, cette curiosité qui pousse à dévorer pages et tomes avec un appétit d’ogre ?
Adolescent, il m’arrivait de lire jusqu’à plusieurs livres par jour quand les vacances m’en
laissaient le temps. Je passais mes journées sous ma tente qu’il pleuve ou
fasse grand soleil et n’en sortais, vaguement abruti, que pour le déjeuner avec
l’envie de retourner bien vite vers mes chers bouquins. J’avais, nette, l’impression qu’il m’eût fallu,
pour bien faire, tout lire. Essais, romans, je passais sans logique d’un livre
à l’autre au hasard d’un titre, d’un conseil, d’un écho.
J’avais la fièvre de la littérature comme on a la fièvre de
l’or, persuadé que dans les pages se cachaient des trésors. Orpailleur
du verbe, je n’attendais pas la grosse pépite à chaque batée, non, mais juste
quelques paillettes eussent fait mon bonheur. Souvent, la quête était vaine. Il
m’arrivait de prendre un temps les reflets d’éclats de mica pour ceux de l’or.
Mais rien ne décourage le fiévreux…
Et puis, bien progressivement, sans que j’y prenne garde, la
boulimie s’est faite gourmandise et le gourmand s’est changé en gourmet
préférant le jeûne aux fades viandes. Alors que je donnais à tout livre sa
chance, comme un juré suspendant son jugement jusqu’à la fin des débats, je
lisais tout jusqu’au bout , il m’arrive de plus en plus souvent d’abandonner
très vite une lecture. Si l’envie de connaître la suite est aux abonnés
absents, s’il arrive trop souvent que mon esprit vagabonde abandonnant le texte
pour une rêverie sans rapport avec lui, je laisse tomber.
J’ai dit « gourmet » mais qu’est-ce qui prouve que
c’est le développement d’un goût raffiné qui m’a rendu si difficile ? Ne
serais-je pas plutôt embourbé dans mes ornières ? Refuser tout autre plat que le
jambon-coquillettes ou le boudin-purée est-ce là un signe de grande délicatesse ? A moins que j’aie tout simplement perdu l’appétit ?
Ces questions restent ouvertes…
Il en va de même pour les films. J’en décroche bien vite.
Plus vite encore que des livres. Rares sont ceux dont l’histoire me captive au
point d’oblitérer tout désir d’évasion.
J’en suis là. Je relis plus que ne lis. Est-ce un signe de
vieillesse, de résignation ? Pourtant, il arrive encore qu’un livre
ou un autre
me fasse renouer avec un enthousiasme d’autant plus fort que rare. Tout n’est
donc pas perdu. Il y a encore des pépites dans le ruisseau. La fièvre retombée,
je prospecte bien moins, c’est tout…