..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

mardi 24 janvier 2012

Grand bal des cocus, venez nombreux !



Cocus, battus, mais contents quand même.

Cette expression populaire me semble bien décrire l’heureux naturel du militant de base. C’est du moins ce que je me disais hier soir  en regardant aux actualités la foule applaudir M. Hollande  à chacune de ses paroles,  comme s’il avait dit quelque chose d’intéressant, d’innovateur, de particulièrement  intelligent. Voire tout simplement quelque chose. Tant de bonheur fait chaud au cœur. Il paraît même que le candidat aurait pris son envol. Ils ne nous l’ont pas montré, mais je veux bien le croire et j’imagine volontiers le bon François, porté par la ferveur populaire voleter entre les poutrelles du hall qui abritait son meeting.

Je suppose que les assistants sont rentrés chez eux gonflés à bloc se retenant avec peine d’entonner sur l’air d’ « En revenant d’la revue »  des paroles du genre :

Gais et contents, nous allions triomphants
En rev’nant du Bourget, le cœur à l'aise,
Sans hésiter, nous venions d'acclamer,
L’idole des Français et des Françaises
Tadadada pom pom pomp pom .
Tadadada pom pom pomp pom  etc.

Chaud au cœur ça fait, forcément. Jusqu’à ce qu’on réfléchisse un peu et qu’on trouve de fortes analogies entre ces braves gens, militants de tout bord, et la femme battue qui pardonne et se réjouit à chaque retour de l’ivrogne volage. Il a beau être de plus en plus décati, il a beau lui avoir fait le coup cent fois, pour elle, il demeure magnifique. Et puis il sait si bien trouver les mots qui l’enflamment, les caresses qui la fond fondre qu’elle en oublie tout et  ne veut plus voir en lui que le  prince charmant de sa jeunesse.

Évidemment, son entourage est plus circonspect. Il a même tendance à la mettre en garde, puis, devant son entêtement, à la plaindre un peu. A la prochaine rouste, à l’infidélité suivante, on sait d’avance qu’elle pleurera, qu’elle le maudira… Et qu’ensuite elle s’en voudra d’avoir provoqué ses coups. Elle attribuera ses incartades à toutes ces salopes qui l’aguichent. Il est un peu faible c’est tout. Qui ne l’est pas ?

Je dis militants de tout bord parce que de ces âmes simples, on en trouve partout. Leur séducteur sait trouver les mots qu’il faut, ceux qu’ils attendent, qui les font  chavirer et oublier que ses promesses il les a faites mille et une fois, qu’il ne les a jamais tenues. Décidément, cette fois-ci, c’est la bonne, il a vraiment changé, il s’est acheté une conduite…

Et la foule, sentimentale comme dit l’autre, malgré ses réticences,ne peut s’empêcher d’écraser un pleur furtif face à tant d’innocente ferveur. Sans se laisser emporter par un flot de passion, elle se dit que, quand même, pour provoquer de tels émois, l’enjôleur doit bien avoir un petit quelque chose que les autres n’ont pas…

Voilà pourquoi on continue d’organiser ces grands bals des cocus où un chanteur sur le retour roucoule ses vieux refrains sirupeux à l'oreille de danseurs enamourés .

lundi 23 janvier 2012

Sacrée baston ou enfumage ?



François Hollande a, hier au Bourget, tombé le masque.

On se demandait pour quoi, pour qui (sinon pour lui) il se battait. Nous le savons maintenant : son adversaire, c'est la finance. Rien moins. Et au nom de quoi la combattrait-il, cette finance ?  Mais de la justice sociale, voyons ! Vous avez de ces questions ! Car figurez-vous qu'il "aime les gens, pas l'argent ". Comme d'autres aiment la moire, pas l'armoire !

Alors là, moi je dis chapeau. Le problème c'est de savoir quelle forme va prendre ce combat. Pas évident. On pourrait imaginer que chaque camp désigne son champion et que ça se passe sur un ring, à la loyale. Le champion auto-proclamé de la "justice sociale", François Hollande, en short rouge, dans son coin s'apprête au choc tandis que,  dans le coin opposé, en short bleu... Personne !  Car de son propre aveu cet adversaire "n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu et pourtant il gouverne".  Il faut vraiment tout le courage de "Super-François", héros normal, pour le défier ! 

Ça rappelle Fantômas, version Hunebelle, non ? D'un côté un insaisissable  criminel masqué, de l'autre, Juve,  flic hystérique et maladroit  et Fandor, journaliste ambigu qui pourrait bien n'être autre que Fantomas... Alors, Hollande ? Juve ou Fandor? Physiquement, on penserait plutôt à Juve... Et pour la duplicité à Fandor...


 Arrêtons-nous là. Tout le monde, et d'abord celui qui a prononcé le discours, sait que tout ça c'est du triste pipeau, de l'amuse-couillon. L'adversaire, le vrai, c'est Sarkozy et non un fumeux ennemi sans visage. Il sait bien que s'il le bat, ce ne sera pas parce que le bon peuple lui fait confiance pour établir je-ne-sais-quelle "justice" mais par rejet du président actuel. Que de ce côté là il y a de l'espoir tandis que face à  la finance c'est une autre paire de manches. Que l'on n'attend pas grand chose, sinon rien, de lui.

Il n'y a guère que les militants, race d'indécrottables cocus, pour croire à de telles balivernes.  Et les journalistes de la Radio de Service Comique et d'ailleurs pour relayer leur enthousiasme dans l'espoir de le communiquer. Ces derniers ont au moins l'excuse d'être payés pour ça.

dimanche 22 janvier 2012

Un dimanche (presque) parfait...



Le temps  était épouvantable. Poussés par le vent des rideaux de pluie passaient, masquant les versants des collines. C’était comme si  tous les nuages de la création s’étaient donné rendez-vous ici  et s’y soulageaient comme autant de buveurs de bière ayant de justesse atteint les toilettes. Les branches dénudées se tordaient ruisselantes dans le vent. Un spectacle à se poser des questions…

Que fait-on dans ces solitudes ? Ne serait-on pas mieux dans moins de boue, de vent et de pluie ? Dans ces villes qui parviennent, d’autant mieux qu’elles sont grandes,  à amortir le choc des saisons ? 

Les réponses, je les ai. J’ai choisi cet isolement. La soumission aux caprices de l’hiver est  le prix à payer pour que le  printemps qui viendra soit fête. Ce dimanche, j’en ferai un heureux moment d’hiver.

En voici la recette : Feu de bois, plat d’hiver, lecture, cigare et Armagnac. Le vent optimisant le tirage, le feu prend, s’élève, ronfle, craque et réchauffe. Il sera mon fond sonore tour à tour ronronnant ou pétaradant. Après avoir affronté les bourrasques pour chercher les légumes dans la resserre, on les épluche, les tranche ; on fait dorer la viande dans une cocotte, assaisonne, saupoudre de farine, ajoute du vin blanc, tourne, y plonge carottes et oignons tranchés et recouvre le tout d’eau. Dans deux heures la blanquette sera prête. Ce sera mon repas du soir…

Après un rapide casse-croûte l’après-midi bien entamé se muera peu à peu en soirée. Bien assis dans mon canapé, j’alterne infimes goulées d’Armagnac et bouffées de cigare. La liqueur et la fumée sucrées se mêlent en ma bouche. Combinaison parfaite. Le feu crépite suivant les caprices du vent. Je lis « Bella Ciao », court roman  D’Eric Holder qui rappelle Philippe Djian. Cigare et Armagnac sont loin déjà quand  je termine sa lecture que seul a interrompu l’ajout de bûches dans l’âtre. Le temps  du repas approche. J’épluche les pommes de terre, les mets à cuire et prépare la sauce à la crème dont je napperai la blanquette.  J’y ajoute, une idée comme ça, une cuillérée de moutade…

Le résultat est parfait. Je me régale avant de regarder  "Échappées belles » qui m’emmène en Jordanie,  Pétra et autres lieux, avant de continuer le tour de la Mer Noire. L’émission terminée, j’entame la lecture d’un roman de Nancy Huston avant de m’endormir…

Rien n’a cloché, alors pourquoi ce « presque » parfait ? Parce que,  pour un dimanche, ce jour avait un défaut rédhibitoire : on était samedi.

samedi 21 janvier 2012

Franchouillard, je vous dis...



Comme disait l’autre, « La vieillesse est un naufrage ». Un naufrage qui laisse des loisirs. 

Ainsi, moi qui ne regarde que très peu le téléviseur, même aux rares moments où il est allumé, pendant que je casse la croûte, charcuterie et fromage arrosés de Côtes du Rhône, me suis-je pris à regarder le journal de 13 heures de TFI. Ce ne sont pas les "déformations" (informations me paraît un terme abusif) qui m’intéressent. J’ai dès le matin entendu causer, d’une oreille distraite, des  petites phrases, polémiques, sondages et faits divers qu’on essaie de nous vendre comme importants. Non,  ce qui m’intéresse ce sont les petits sujets magazine qui les suivent. Je peux ainsi, sans dommage,  rater le début de l’émission.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de s’instruire mais de se distraire agréablement. Ces sujets sont brefs, bien filmés et  rythmés. Grosso-modo, il s’agit de faire découvrir les jolis côtés de notre pays. Et il y en a beaucoup. Paysages,centre- villes historiques, villages, artisanats, personnages cocasses, tout est bon.

Il est de bon ton de mépriser ce journal : les grandes questions n’y sont pas abordées, encore moins traitées. On nous montre une France profonde, rurale,  plutôt heureuse. Quid de la souffrance sociale ? Du chômage ? Du stress au travail ? Des koalas sans papiers réduits à la prostitution ? Des petits commerçants  ou artisans en dépôt de bilan, des agriculteurs en cessation d’activité ? *De ces pauvres immigrés dont la misère nous enrichit ?  De l’insécurité ? Des problèmes de santé ? Des écoles auxquelles manquent désespérément 60 000 enseignants pour assurer notre suprématie mondiale ? RIEN SUR TOUT ÇA ! Que du futile, je vous dis.

Seulement, il se trouve qu’il me montre la France que j’aime. Parce que figurez-vous, j’aime mon pays. Étonnant, non ? Pour moi, ce n’est pas un pays de merde mais le mien, celui où j’aime vivre. Je sais bien que la France rurale est en perte de vitesse, qu’elle ne représente au mieux que 20 à 25 % de la population. Et alors ? Là n’en sont pas moins nos racines, là peut se définir notre identité dans SA diversité. Le monde urbain tend à l’ « universel », la société rurale, elle, est spécifique,  a une forte identité. Les banlieues de nos grandes villes, où qu’elles soient situées, pavillonnaires ou autres, tendent à être identiques tandis que hameaux, villages et bourgs sont partout différents.

Alors, ces sujets « futiles » qui font naître chez l’homme de gauche ce sourire supérieur qui le rend si attachant quand ils ne provoquent pas son ire, je les trouve importants en ce qu’ils montrent de notre pays ce qui fait son attrait et y attire le touriste étranger. Ils montrent le contraire de la nouvelle société que l’on voudrait nous vendre et qui n’a aucun intérêt, ni pour nous ni  pour personne (à l’exception bien entendu de ceux qui n’y voient qu’une oasis de prospérité où fuir leur misère originelle et de ceux qui, abrutis par la propagande, se rêvent « citoyens du monde »).


*Soyons honnêtes, ces catégories tout le monde s’en fout !

vendredi 20 janvier 2012

Vérité sur le naufrage ou naufrage de la vérité ?



Il nous est tous  arrivé de nous dire un jour, suite à une bêtise plus ou moins grave,  qu’on aurait mieux fait de rester couché.

C’est ce que doit penser Francesco Schettino, capitaine du Concordia dont l’immense carcasse est vautrée tout près des côtes de  l’île du Giglio. Il y a des morts, des disparus. Relativement peu d’ailleurs,  vu le nombre de passagers. Le bateau est foutu. On ne sait même pas ce qu’on va pouvoir en faire…

Un jour on est le seul maître à bord après Dieu (quand ce dernier ne tape pas le carton). Le lendemain, on est la pire des merdes. Il ne faudrait quand même pas croire qu’on a confié un tel navire à un triste incapable suite à un entretien du genre :

-    Ah, mon p’tit Francesco, je t’ai fait venir parce que j’avais quelque chose à te demander…
-    Oui, M’sieur Costa ?
-    Est-ce que tu saurais commander un paquebot ?
-    Commander un paquebot ? Je ne sais pas, j’ai jamais essayé…
-    Tu as bien fait un peu de navigation quand même ?
-    Ben, j’ai bien  fait du pédalo avec François Hollande mais c’était lui le commandant…
-    Du pédalo ? Tu as donc une expérience maritime…
-    Et puis mon beau-frère a fait son service dans la marine…
-    Mais c’est très bien tout ça ! Je crois que j’ai trouvé l’homme qu’il me faut. Je t’explique. Je viens d’acheter un nouveau paquebot, le Concordia, un rafiot qui fait quand même ses 280 m de long. Ça m’a coûté une bonne pincée. Je ne te dis pas combien, mais avec ça, j’aurais pu m’en payer des soirées de bunga-bunga ! Et pas qu’un peu !
-    Je n’en doute pas M’sieur Costa.
-    Donc, j’ai déjà le bateau, j’ai recruté l’équipage, mais il me manque le commandant. J’ai pensé à toi parce que depuis quelques  années que je t’observe quand tu nettoies les carreaux de mon bureau, j’ai pu me rendre compte que tu étais un garçon sérieux et consciencieux…
-    Vous me flattez, M’sieur Costa !
-    Pas du tout, Francesco, pas du tout. J’ai vu aussi que tu t’y connaissais à la manœuvre. Quand tu gares ta Fiat 500, c’est du travail d’artiste…
-    On fait ce qu’on peut M’sieur Costa, on fait ce qu’on peut…
-    Tu es trop modeste, Francesco, trop modeste. Allez, tu n’es plus laveur de carreau, te voici commandant de paquebot.
-    C’est ma femme qui va être contente ! Elle qui trouve que je suis toujours dans ses pattes, ça va lui faire des vacances. (à part : Et à moi aussi !)
-   Tope-là, Francesco et cochon qui s’en dédit !  Seulement, je te demanderai  d’y faire bien attention, parce que ces machins-là ça se gare pas comme une Fiat 500 et les rayures sur la coque ça coute bonbon à réparer.
-    J’y ferai  attention comme si c’était à moi, ne vous en faites pas, M’sieur Costa.
-    Voilà une affaire rondement menée ! Tiens, voilà les clés. Ton paquebot est arrimé au môle B. Tu ne peux pas te tromper, c’est le plus gros.  Et pour la tenue, tu devrais trouver ce qu’il te faut chez Kiabi.  Il ne me reste plus qu’à te souhaiter bon vent.
-    Merci M’sieur Costa. Vous n’aurez pas obligé un ingrat.
-    C’est moi qui te remercie, mon petit Francesco, au revoir Capitaine Francesco…
-    Au revoir, M’sieur Costa et bien le bonjour chez vous !

Tout ça paraît grotesque et improbable, non ? Et les commentaires qui sont faits sur le caractère du Commandant Francesco Schettino, ils ne vous paraissent pas également  grotesques  et improbables ? Même pas un tout petit peu ? Vous imaginez vraiment que la compagnie Costa Croisières confie le sort de navires qui coutent je ne sais combien de centaines de millions d’euros, sans compter la vie de milliers de passagers, à des rigolos qui vont faire les marioles avec pour épater leurs potes ?   Le portrait qu'on fait de l'homme et les agissements qu'on lui attribue le laisseraient croire. Sauf que ça ne colle pas tout à fait avec ce qu’on dit de lui dans cet article.

Une fois calmé le raffut médiatique, on aimerait avoir la version du capitaine…

jeudi 19 janvier 2012

Où les vieux cons divergent...




Annie Ernaux avait  su, dans la partie de son « autobiographie impersonnelle et collective » consacrée à l’enfance, faire remonter en moi bien des  nostalgies. Mais ensuite tout s’est mis à cafouiller entre nous. Je crains que, dès le départ, notre « union » n’ait été construite sur un malentendu.  Certes les origines modestes, l’extraction populaire, l’époque (enfin, presque) étaient là pour nous  rassembler. Mais, mais, mais… 

Madame  Ernaux respectait (et respecte probablement encore)  école, diplômes, mérite, ascenseur social et tout le bastringue.  Elle s’engouffra dans le modèle petit-bourgeois,  passa son  CAPES, devint une enseignante « consciente et responsable » selon les critères requis, une mère dévouée.  Un modèle d’intégration sociale. En opposition avec le système comme il sied au teint.  Une  prof de banlieue, calibrée au micron près.  Du bois dont on fait les gôchos. Avec l’illusion que ce conformisme politique est  rébellion. Alors qu’il n’est qu’imaginaire fenêtre azurée dans la grisaille du quotidien.

Enfoncée jusqu’aux narines dans l’ordinaire, mai 68, cette dérisoire pantalonnade, lui paraît oxygène. Fallait-il qu’elle étouffe !  Son récit, ensuite,  devient un  catalogue plus ou moins exhaustif des  « luttes », espoirs, déceptions et tristes constats d’une gôche  qui se cherche sans risquer de jamais se trouver tant ses rêves sont inconsistants. Au niveau personnel on trouve l’habituel divorce, l’éducation permissive des enfants, les liaisons avec ou sans lendemains qu’implique un bovarysme de bon aloi…   Si certaines notations continuent, ici ou là, de réveiller en moi d’obscurs souvenirs, l’essentiel de ses  préoccupations m’échappent comme m’échapperaient les émois d’un copocléphile. 

La mémoire qu’elle tente de réveiller n’est pas celle de la collectivité française mais  celle d’un clan. Je ne m’y retrouve pas du tout. Sa tentative de   recréer une époque échoue : elle n’en retranscrit que  ce qu’ont voulu y voir ceux de son milieu et de son bord à travers le prisme de leur idéologie.

Restent un style épuré, habile, efficace, une lecture agréable. Ce n’est pas rien.

mercredi 18 janvier 2012

Mon mai 68


Il était temps qu'il arrive! On filait un bien mauvais coton. Pour les anniversaires ou sans raison du tout, on s'était mis à picoler sec avec les copains. Je me souviens d'un cours de philo où les comportements étaient bizarres : une bonne moitié de la classe ronde comme autant de queues de pelles. Et alors? Ben, c'était pas normal. On était AVANT mai 68. Du temps où toute chose était à sa place et toute place à sa chose. Un ordre parfait que rien n'aurait dû perturber. Depuis le début de cette année de terminale, les profs, tous communistes ou apparentés, faisaient leur propagande. Ils appelaient ça des cours. C'était curieux parce que Rambouillet, comme bastion rouge, on avait vu mieux. Ils devaient venir de Paris. Comme beaucoup des internes. Car il y avait un internat qui servait de havre aux exclus de Janson de Sailly. Entre les cuites et les cours assommants on était au bord de la catalepsie.

Et il est arrivé ce fameux mai. Progressivement. D'abord des troubles à Paris. Puis la grève au lycée de Rambouillet. Les profs étaient perplexes voire mal à l'aise. Ils s'étaient mis en grève mais si près du bac, ils faisaient des sortes de cours, quand même. Si un d'entre eux nous avait dit que durant l'année nous avions vu la théorie et qu'à présent nous voyions la pratique, d'autres, sentant que le sol se dérobait sous leurs pieds prêchaient en faveur d'un compromis. Attention, pas d'une compromission ! Un retour à l'ordre où ils puissent paisiblement prêcher l'insurrection, en quelque sorte. Tous ces jeunes qui semblaient les avoir pris au mot, ce n'était pas rassurant. Ils cherchaient, bon pédagogues, à cerner ce que nous pouvions bien attendre comme changements. Personnellement, je n’avais rien à suggérer. Les cours étaient ennuyeux à souhait, les profs avaient une capacité enviable à dépouiller leur matière de tout attrait. De quoi se plaignait-on ? J'étais comme un prisonnier à qui on demande ce qui devrait changer dans l’administration de la centrale pour que celle-ci rejoigne son idéal alors qu’il se contrefiche de ses détails vu qu’il ne rêve que d’en sortir. Et puis, à deux mois de la libération…

Un jour, faute de carburant, le ramassage scolaire s’interrompit : plus de lycée. Mon copain Philippe passa me prendre avec sa voiture. Il lui restait un peu d'essence. On a fait un tour au lycée qui était en "révolution". AG et tout. On en entendit de belles. Conquis de fraîche date à l'idéal révolutionnaire, c'était à qui, parmi ces enfants de bourgeois, sortirait les propos les plus enflammés. Dans le genre délirant, on avoisinait le chef-d’œuvre. On est partis écœurés par tant d'âneries. Pas question d’y retourner ! 

Que faire? La situation paraissait assez simple: tout ça allait se tasser. C'est bien joli un mois de mai, seulement après 31 jours, il n'en reste plus. Ce n'était pas les propos ineptes de Cohn-Bendit et consorts, relayés par des adolescents naïfs, qui allaient changer le monde. J'en étais certain. D'autant plus que sur le territoire de la jolie commune où j'habitais se trouvait un camp militaire. Et que sur ce camp militaire, depuis le début du mois, venant de Pau, s'étaient installés de gentils parachutistes. Au cas où. La rumeur disait que nous n'étions pas les seuls aux alentours de Paris à bénéficier de cette rassurante présence.

Bref, il était temps de penser au bac. Il y avait trois ans que je ne foutais rien. Ou pratiquement rien. J'étais passé de seconde scientifique en première littéraire grâce à deux compositions françaises plutôt réussies. Puis de première en terminale parce qu'on ne peut pas faire redoubler un premier prix de français en section littéraire même s'il ne fait strictement rien dans les autres matières. En terminale, c'était en histoire que j'aurais eu le prix. S'il y en avait eu un. Mais avec tous ces événements… Le bac étant inéluctable, je me lançais donc dans des révisions (plutôt des visions) acharnées. Je m'ennuyais tant au lycée que l'idée d'en faire une année de plus m'était insupportable. Comme le fait d'y avoir passé 3 ans de ma vie pour rien m'aurait fortement contrarié.

En huit jours, j'avais fait tout le programme de maths et tous les exercices du livre. Dérivées et intégrales n'avaient plus de secrets pour moi. La géo, la philo, les œuvres de français, je m'ingurgitai tout en un temps record. Le soir, je jouais au ping-pong au foyer communal. Si le tournant vers un rétablissement des choses fut pris le 30 mai, il fallut cependant encore un bon mois pour que tout se tasse et que je peaufine mes savoirs. Le 27 juin on annonçait que le bac serait purement oral. Ça m'arrangeait bien. Les épreuves se passèrent agréablement. Je ne ratai que de peu la mention bien.

C'est ça mon mai (-juin) 68. Vraiment pas de quoi pavoiser.