Un criminel comme l’histoire en connut peu
Les bras m’en tombent ! J’allume le poste pour regarder M. Praud et ses acolytes. Et, là, qu’apprends-je ? « la chose la plus étonnante, la plus surprenante,[...] la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable [...] ; enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans les siècles passés »* : M. Blanquer, le célèbre ministre, aurait passé le premier de l’an à Ibiza !
Le fantasque Pascal est tout bouleversifié. On sent qu’à ses yeux c’est, comme disait M. Boulay de la Meurthe au sujet de l’assassinat du duc d’Enghien, « pire qu’un crime, une faute » ! Je me dis in petto : « Ça y est, le pauvre garçon a définitivement perdu les pédales ! ». Mais il semblerait qu’il n’ait pas été le seul à connaître cet émoi : l’affaire serait reprise par les media qui en feraient leurs choux gras ! Ce serait l’affaire du siècle, que dis-je, un scandale comme on n’en a pas vu depuis que le monde est monde. J’ai éteint le poste.
Qu’est-ce que j’en ai à foutre de l’endroit où tel ou tel ministre, parlementaire, plombier-zingueur ou charcutière a pu passer le jour de l’an ? Il paraît que le passer à Ibiza serait choquant, que ce serait, dans cette période de grande covidité, alors que le protocole scolaire a tardé à être signifié aux intéressés, infliger un camouflet au peuple qui souffre !
Qu’attend-on d’un ministre ? Qu’il aille célébrer le nouvel an au Formule 1 de Saint-Denis en y mangeant un kebab arrosé d’un Muscador en promo de chez Lidl ? Et même, dans ce cas, ne pourrait-on pas lui reprocher d’offenser gravement tous ces braves gens qui dorment sous des tentes ?
S’imagine-t-on que le ministre, dans une humble chambrette, armé d’un crayon à papier, écrit lui-même les protocoles sanitaires sur un petit cahier à réglure Seyes ? Qu’il fait autre chose que d’en donner les grandes lignes aux fonctionnaires chargés de les rédiger ? Que le fait qu’il soit à Ibiza ou à Aubervilliers ne change rien à ces documents ?
J’avoue que le désespoir m’étreint quand je vois ce qu’est devenu le débat « politique » dans notre pays. Toutes ces petites phrases, ces faits minuscules que l’on voit ravir, quelques jours durant, sa place à la pandémie (laquelle me gonfle également grave) à la une des journaux me désolent. Ce genre de « politique » ne saurait m’intéresser. Malheureusement, elle semble intéresser mes compatriotes toujours prêts à s’indigner d’un rien.
J’en suis profondément désolé mais les Français n’ont que les media et les hommes et femmes politiques qu’ils méritent. Si au lieu de les écouter, ils boudaient les âneries des journalistes, si au lieu de voter pour des politiciens « crédibles », c’est à dire, comme eux, totalement dépourvus sinon d’idéaux (ne rêvons pas!) du moins de visions d’ensemble, nous n’en serions pas là. Pour moi, pour ne prendre qu’un exemple, M. Macron et sa bande de bras cassés sont des insignifiants qui gardent tant bien que mal la « boutique ». Cela posé, si l’on n’est point gâteux, à quoi bon souligner jour après jour, les aspects variés de leur insignifiance ? Cela empêchera-t-il cet insignifiant d’être réélu ou remplacé par un(e) insignifiant(e) du même tonneau ? J’en doute fortement. Notre galère continuera de voguer. Vers où ? Qui vivra verra...
* Extrait de la lettre, sans grand intérêt en dehors de l’accumulation des superlatifs, de Mme de Sévigné au sujet du mariage du duc de Lauzun avec la Grande Mademoiselle.