Bossuet, pour souligner la surprise que créa la mort subite de
Madame Henriette d’Angleterre, épouse de Monsieur, frère du roi,
duc d’Orléans, prononça au cours de l’oraison funèbre de cette
princesse deux phrases célèbres qui inspirèrent mon titre.
Ce triste constat,
je l’ai fait depuis longtemps, mais mon séjour à Bellac que je
relatais ici avant hier en a avivé ma conscience. Si je parle de MA
France et non de LA France, c’est que je ne veux parler que du pays
que j’aime et ai aimé et non d’un territoire qui, sauf
cataclysme général subsistera quels que soient son peuplement, sa
civilisation, sa démographie.
J’ai voulu
insister sur la soudaineté de cette disparition mais en fait, le
processus de destruction, s’il prend moins de temps que celui de
construction, n’est pas pour autant immédiat. Né en 1950, c’est
peu à peu que j’ai pu voir les mentalités comme la population
changer tandis que moi-même je changeais. Ce point me paraît
important à souligner. Bien des « réacs » accusent les
autres de tout détruire alors qu’eux-mêmes (et comment
pourrait-il en aller autrement?) ont suivi le mouvement qui tendait à
effacer la tradition. Par exemple, j’ai été élevé, comme
encore beaucoup de ma génération dans un catholicisme plus ou moins
fervent (fervent dans mon cas), j’ai ensuite, comme beaucoup
d’autres, perdu toute pratique et toute foi. Ça ne m’a pas
empêché de me marier à l’église et de faire baptiser ma fille
qui, si elle trouve chaussure à son pied, se mariera à l’église.
Mais il n’empêche que, si nous restons catholiques de culture et
de tradition, nous participons de la déchristianisation. La nature
ayant, comme disait l’autre, horreur du vide, comment s’étonner
que d’autres croyances (religieuses ou non) s’installent ?
La France que j’aime
est rurale. Seulement ses petites villes et villages se dépeuplent
inexorablement, leurs commerces ferment, leur habitat se délabre, on
n’y croise presque plus que des personnes âgées (dont je suis),
les cloches y sonnent plus souvent pour un enterrement que pour un
mariage ou un baptême. Sauf miracle ou catastrophe, ces bourgades
finiront par disparaître. Qu’y peut-on ? L’emploi se
concentre dans les métropoles. Le peu de jeunes qui nous restent
vont y travailler. L’e-commerce présente bien des avantages de
prix, de commodité comme de rapidité. Pourquoi se rendrait-on à la
petite ville voisine pour y faire ses achats quand, de chez soi, on
peut obtenir les mêmes produits à moindre prix et qu’ils vous
sont livrés rapidement ? Les commerces ferment, les rues
commerçantes dépérissent, inéluctablement. On peut toujours
dessiner des moutons pour masquer la décrépitude des vitrines et
distraire de celle des immeubles. C’est joli, c’est pimpant mais
ça ne résout pas le problème.
On ne peut pas avoir
le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière comme il
est impossible d’avoir les avantages du « progrès »,
la conservation du passé et l’idéologie d’hier. Il faut
choisir. Le franchouillard se doit de singer le Suédois ou tout être
aseptisé de ce genre (ce n’est pas facile avec un pied dans le
passé et un autre dans le présent ou un avenir rêvé) tandis que
d’autres venus d’ailleurs tout en comptant bien y rester se
foutent de la Suède comme des progressistes amerloques .
Qui sait de quoi
l’avenir sera fait ? Continuera-t-il sa course effrénée vers
un prévisible néant ? Des catastrophes inouïes
mèneront-elles à des modifications fondamentales du système apparu
ces dernières décennies ? Nul ne le sait. Je mourrai
probablement avant d’avoir le loisir d’observer laquelle de ces
hypothèses (ou de toute autre hypothèse) se réalisera. Et je n’en
suis pas triste.