Ma chère et regrettée ex-épouse, qui
m'a, hélas, donné l'occasion de parler d'elle récemment, était
douée d'une rare capacité à se foutre du tiers comme du quart. Ce
qui comme toute qualité présente de menus inconvénients. Une
veille de Noël, sa mère qui préparait le réveillon, s'aperçut
qu'il lui manquait un ingrédient. Elle pria donc Nelly d'aller le
chercher. L'idée ne plaisait qu'à moitié à cette dernière, elle
accepta cependant la mission mais au lieu de courir d'une épicerie à
l'autre par un froid soir de décembre, elle se contenta d'aller
calmement boire un pot au bistrot du coin et, ayant laissé passer un
temps raisonnable, alla retrouver sa génitrice pour lui annoncer que
ses visites à tous les commerces de la ville avait été vaines.
L'épisode me fit bien rire.
En revanche, sans que cela nuise
gravement à mon équanimité, je lui dois d'avoir découvert dans
des circonstances un brin inquiétantes, le plateau de l'Aubrac
Quittant Montpellier pour rejoindre Châteauroux, plutôt que de
prendre les grandes routes, je décidai d'emprunter le réseau
secondaire et, après un rapide coup d’œil à la carte de France,
nous prîmes la route, Nelly se voyant chargée du rôle de copilote.
Rôle qu'elle dut accepter plus par gentillesse que par enthousiasme.
Au bout d'une vingtaine de kilomètres, nous devions tourner en
direction de je ne sais plus quelle petite ville. La carte sagement
posée sur ses genoux mon copilote semblait à son affaire. Pourtant
quand je lui demandais si nous approchions du village où nous
devions changer de direction, elle se montrait rassurante quoiqu'un
peu évasive. Le temps passait, les kilomètres s'accumulaient sans
que nous ne l'atteignions. Finissant par m'inquiéter, j'arrêtai le
véhicule, pris la carte et dus constater à mon grand dam que nous
avions passé ladite bifurcation d'une cinquantaine de kilomètre.
Peu enclin à retourner sur mes pas, je décidai de prendre une
route qui nous permettrait selon moi de mener vers notre destination.
L'idée ne fut pas bonne. La route nous mena vers des coins du Massif
Central carrément oubliés de Dieu. N'ayant qu'une carte à grande
échelle, le nom des rares villages traversés n'y figurait
évidemment pas. Pour résumer, je n'avais pas la moindre idée d'où
nous pouvions être les panneaux indicateurs n'indiquaient que des
trous paumés. La situation devenait d'autant plus inquiétante que
j'étais alors l'heureux propriétaire d'un magnifique 604 munie de toutes
les options possibles à l'époque mais non dotée de la remorque de
carburant qu'aurait justifié sa consommation. Je voyais la jauge
baisser dangereusement. C'est alors que je vis un panneau qui me
rendit espoir : AUBRAC 17 km ! Pour qu'un lieu soit signalé
d'aussi loin, il fallait qu'il ait une certaine importance ! On
y trouverait forcément une station-service ! Ces kilomètres à
travers un morne plateau furent vite avalés. Et nous atteignîmes
Aubrac.
Hélas, Aubrac, village de la commune
de Saint-Chély d'Aubrac, s'il présente un attrait touristique
indéniable, présente aussi le défaut, pour qui chercherait à s'y
approvisionner, d'être quasiment désert (5 habitants permanents aux
dernières nouvelles). Pas plus de station-service que de beurre au
tribunal. Je sentis l’abattement m'envahir. Si on résumait la
situation, nous nous trouvions au milieu de nulle part, ignorant tout
des éventuelles bourgades environnantes avec un réservoir presque à
sec sur une route où l'on n'avait croisé ni véhicule ni âme qui
vive (à moins que les vaches rousses en aient une). Je nous voyais
tomber en panne sèche et contraints de passer la nuit sur ce lugubre
plateau. Que faire sinon continuer de rouler ? Ce que nous
fîmes. Et avant qu'on ne tombe en panne nous parvînmes à rejoindre
un semblant de civilisation, à faire le plein et finalement à
rejoindre nos pénates.
De cet épisode je tirai deux
enseignements. D'une part que confier à Nelly la charge de me guider
était une erreur, d'autre part que l'Aubrac en général et Aubrac
en particulier n'étaient pas des endroits fréquentables.