Personnellement, je n'y crois pas trop.
Les étudiants (de gauche, s'entend) sont certes prêts à se lancer
mais de là à ce que ceux qui ne bénéficient pas d'un emploi
garanti à vie leur emboîtent le pas, il y a de la marge. Surtout
que, mais ça a peut-être échappé aux fins observateurs qui nous
informent, les choses ont bien changé depuis le temps (plus ou
moins) béni de la fin des années soixante. Entre autres choses, on
connaissait le plein emploi, la jeunesse, du fait du baby boom, était
nombreuse, l'industrie en pleine expansion, la population plus
homogène et peut-être surtout, il régnait un ordre moral et social
contre lequel les petits-bourgeois étudiants de l'époque étaient
fortement tentés de se rebeller.
« Que reste-t-il de tout cela,
dites-le moi ?» comme chantait M. Trenet. Pas grand chose !
Le plein emploi est loin d'être en vue, la population vieillit, la
production industrielle s'est déplacée vers l'Asie, la population
s'est communautarisée, quant à l'ordre moral... Alors faire un
remake de 68 quand tout a changé me semble aussi raisonnable que
d'essayer de cuisiner un bœuf bourguignon avec des carottes et du
lait.
Et puis faut pas en demander trop,
quand même ! J'ai, il y a plus de six ans déjà, raconté
mon mai 68. Ce qui m'avait le plus frappé, malgré mon jeun âge
et mes orientations gauchistes du moment, c'était le nombre et la
variété des âneries proférées par mes condisciples. Or que
peut-on constater aujourd'hui en allumant la télé ou la radio? Eh
bien que les conneries d'alors ont été de loin dépassées par la
norme d'aujourd'hui. Marcher sur la tête est passé de l'utopie à
la pratique quotidienne. Un mai 68 pour changer quoi ? Quand une
chape de plomb morale pèse sur les esprits, on peut rêver
d'anarchie. Quand la pensée anarchique est devenue la norme, du
moins parmi les « élites », de quoi peut-on rêver ?
Je crains qu'avant belle lurette (voire
belle lurette et demie) on ne revoit pas de mai 68. Juste la pagaille
ordinaire d'un monde en état de décomposition avancée.