La fontaine dont il sera question. Ses blessures ne sont pas dues à l'indignation citoyenne mais à la contre-attaque allemande d'août 1944 qui détruisit en grande partie la ville. |
J’habite avenue Bernardin Le Neuf.
En fait tout le monde ici l’appelle avenue Bernardin. L’adjonction
de Le Neuf présenta pour moi une énigme jusqu’à ce qu’hier, ma
chère Nicole attirât mon attention sur un article de presse parlant
de Sourdeval. Le fils d’un gendarme qui avait, dans les années 50
exercé dans cette bonne ville, curieux d’histoire et peut-être
nostalgique, avait retrouvé l’ancienne gendarmerie et y avait
remarqué sur une pierre une inscription dont l’usure et les
lichens ne laissaient plus lire que le dernier mot : Sourdeval.
Désireux d’en connaître plus, il fit des recherches sur le Net et
trouva, dans Gallica, l’ouvrage
d’un historien local où apparaissait in-extenso les mots
de l’inscription en question : « 1733,
j’ai été posée par Mr Gabriel de Monteney le Neuf, Sr de
Sourdeval ».
la pierre en question |
Ma
curiosité en fut piquée et je parvins à retrouver l’ouvrage
en question.
C’est là que j’en appris davantage sur la famille Le Neuf. De
vieille noblesse, les Le Neuf étaient seigneurs de divers
endroits et couramment appelés de Montenay Le Neuf. Gabriel eut cinq
enfants dont quatre fils. L’aîné mourut jeune, le
second,Pierre-Gabriel-Louis, lui succéda, le troisième fut
prêtre et entre autres titres chanoine de Bayeux et
abbé-commanditaire de l’Abbaye Royale de la Prée. Le quatrième,
Louis-Bernardin Le
Neuf de Sourdeval embrassa la carrière militaire et s’illustra
dans la Marine Royale au point qu’en 1764, après qu’il eut
épousé sa nièce, fille de Pierre-Gabriel-Louis de vingt-cinq
ans sa cadette, le roi Louis XV le fit comte de Sourdeval-Le
Neuf. Je tenais mon Bernardin Le Neuf !
Le
pauvre Bernardin connut une bien triste fin. Accusé de complicité
avec la complotiste Elisabeth, sœur du ci-devant roi Louis XVI, il
fut jugé par le tribunal révolutionnaire en compagnie de 24 autres
criminels le 10 mai 1794 qui, après une interminable
délibération de 25 minutes, les condamna tous à mort,
exécution qui eut lieu le jour même. Madame Elisabeth se vit
offrir le privilège d’assister à l’exécution de ses coaccusés
avant qu’on lui tranchât la tête. L’aimable
Fouquier-Tinville, accusateur public de son état,
s’étonna auprès du président René-François Dumas de
ce que cette dernière n’ait formulé aucune plainte à
l’énoncé du verdict. Le brave juge lui fit cette réponse
toute empreinte de bonhomie républicaine : « De
quoi se plaindrait-elle, Elisabeth de France ? Ne lui avons-nous pas
formé aujourd'hui une cour d'aristocrates dignes d'elle ? Et rien ne
l'empêchera de se croire encore dans les salons de Versailles, quand
elle va se voir, au pied de la sainte guillotine, entourée de toute
cette fidèle noblesse* » .
L’acte
d’accusation ne consacrait que quelques lignes au comte de Sourdeval
Le Neuf. Je vous les retranscris. « Sourdeval,
ex-comte, lié avec la femme Sennozant partageait sa haine pour la
révolution. Il s'était établi à Caen en 1791, au moment où se
préparait la contre-révolution, dont il a été l'un des agents, et
il ne s'est retiré de cette ville que pour se soustraire aux
poursuites faites contre les conspirateurs. Il avait excité contre
lui, par sa tyrannie et son oppression, l'indignation des habitants
de Sourdeval. Enfin, tout donne lieu de croire qu'il avait des
relations intimes avec d'Aligre, et qu'il entretenait des
correspondances avec ce conspirateur, et avec Vibraye et La Luzerne,
émigrés, gendres d'Angran d'Alleray, aussi frappé du glaive de la
loi, chez lequel il s'est réfugié longtemps, de son propre aveu » .
Tout donne lieu de croire ! Si ce n’est pas une preuve
accablante, ça !
Au
jury, on posa la question suivante : « II a existé des
complots et conspirations formés par Capet, sa femme, sa famille,
ses agents et complices, par suite desquels des provocations à la
guerre extérieure de la part des tyrans coalisés, et à la guerre
civile dans l'intérieur, ont été formés; des secours en hommes et
argent fournis aux ennemis, des intelligences criminelles
entretenues par eux, des troupes rassemblées, des chefs nommés, des
dispositions préparées pour assassiner le peuple, anéantir la
liberté et rétablir le despotisme.Chacun des accusés est-il
coupable de ces complots? »
Il
va sans dire qu’au cours des vingt-cinq minutes de délibération ,
le cas de chacun des vingt-cinq accusés fut examiné avec attention
et que, comme tout donnait lieu de croire qu’ils avaient tous
participé aux complots visant à rien moins qu’assassiner le
peuple, on ne pouvait que les condamner. Heureux temps où la justice
ne gaspillait pas son temps en vaines palabres et où le combat
contre la tyrannie exigeait qu’on exécutât par pleines charretées
les ennemis de la liberté !
L’indignation
que l’érection d’une fontaine publique surmontée d’un
obélisque (encore existante) aux frais du comte et le don
des cloches qu’il fit à l’église dut à un moment se calmer et
les Sourdevalais, mauvaises têtes mais bons cœur, oublièrent sa
tyrannie et son oppression au point qu’on donnât à l’une des
artères principale de la petite ville le nom du malheureux comte !
*Il
était indéniable que M. De Sourdeval Le Neuf était en excellente
compagnie !
Je pense que vous avez voulu dire Abbé Commendataire et non pas "commanditaire".
RépondreSupprimerEn bref, c'est un abbé qui se goinfre les revenus de l'abbaye sans vraiment participer à son fonctionnement.
Bien sûr ! J'ai corrigé ! Le système de la commende a beaucoup nui au monachisme qui, n'importe comment, était en complète perte de vitesse au XVIIIe siècle.
RépondreSupprimerJe prie mes lecteurs d'excuser la taille des caractères du texte (mis à part au début). Il s'agit d'une facétie de M. Blogger et malgré diverses tentatives, je n'ai pu y remédier.
RépondreSupprimerSeules les citations ont été copiées-collées sur mon original que je rédige sur Open office puis copie-colle sur Blogger. Mais vu que je ne sais pas comment on colle en texte brut...
SupprimerAh, les braves gens !
RépondreSupprimerAvec les tourniquets révolutionnaires, vous connaissiez déjà votre peine...
Seule l'incertitude du verdict tue.
Vendémiaire.
Vous avez raison :avec MM. Dumas et Fouquier-Tinville adieu l'angoisse qui ronge !
SupprimerNicole serait donc revenue et vous ne nous le disiez pas ?
RépondreSupprimerNous ne nous sommes jamais vraiment fâchés mais de là à revenir à la relation d'antan, il y a un pas qu'aucun de nous ne semble prêt à faire. Ce qui n'empêche ni l'amitié, ni les rencontres.
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