Les « petites phrases » qui font le sel de notre « vie
politique » découlent le plus souvent d’un détournement volontaire :
on extrait quelques mots de leur contexte,
et on en fait ses choux gras. C’est un métier. Ça s’appelle l’information.
Celui qui met en exergue la phrase « malheureuse » ou « révélatrice »
n’est en général pas aussi imbécile qu’on pourrait le penser : il se
contente de mettre sa malhonnêteté au service de ses préjugés et compte ce
faisant entraîner l’adhésion des véritables imbéciles de son camp. Ces derniers
se trouvent dans la position de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours »
en ce qu’ils prennent la version, si déformée soit-elle, de l’ « informateur »
pour argent comptant. On ne peut pas leur en vouloir : pour un esprit borné,
incurieux et peu apte à l’analyse, accepter la version du
Monsieur-qui-cause-dans-le-poste (ou qui-écrit-dans-le-journal) est reposant.
Le problème est qu’à force de faire l’âne pour récolter des bravos, le Monsieur
du poste ou du journal finit par croire en ses propres âneries et qu’avec le
temps, tout comprendre de travers devient une seconde nature : joueur de
flute, il ne se contente pas d’entraîner les enfants vers la noyade, il va
jusqu’à sombrer avec eux.
C’est ce que je me disais en écoutant les commentaires d’un
certain Augustin Trapenard concernant la
« prise de position » de M. Sarkozy sur une éventuelle abrogation de
la loi Taubira. Voilà un jeune homme (ses trente-cinq ans justifient le terme
aux yeux du vieillard que je suis) qui est allé à l’école, et pas n’importe
laquelle, la Normale Supérieure (à ne pas confondre avec la Normale Ordinaire
et la Normale Inférieure), qui est agrégé d’anglais, qui a poursuivi et
probablement rattrapé des études sur Emily Brontë, dont des maisons aussi
prestigieuses que France Culture, France Inter, Canal + et France 24 (si, si,
ça existe ! ) ont su reconnaître les insignes mérites et lui confier du
temps d’antenne, bref, un gars bien sous tous rapports qui se met à sortir sur
la question un discours que le roi des cons en personne n’aurait su prononcer
qu’un jour de forme exceptionnelle et dont je vous épargnerai le détail.
D’aucuns me diront : « c’est normal, c’est un
connard de gauche, il ne saurait qu’être malhonnête ». Comme si la gauche
avait le monopole du détournement petitephrasesque ! Notre bon président,
auquel comme chacun sait je voue une admiration
qui confine à l’idolâtrie, en fut victime suite à sa récente
intervention télévisée. « Ça ne
coûte rien, c’est l’état qui paye ! » avait-il déclaré !
Extraite de son contexte, ladite phrase semblait signifier que pour M. Hollande
l’argent de l’État poussait sur les arbres (quoique bien des choses qui
poussent sur les arbres aient un prix). En fait, notre valeureux chef d’État
répondait à une objection de M. Gilles Bouleau selon laquelle les communautés
locales, pour des raisons de coût, ne se bousculaient pas pour embaucher des
emplois aidés. D’où la réplique du bon président dont la logique était
incontestable. Qu’il soit utile qu’afin de limiter l’apparemment inexorable
hausse du chômage on crée des emplois aidés, que ceux-ci aient un coût que les
contribuables finiront bien par assumer, qu’il soit préférable que ce coût soit
financé par la fiscalité locale ou par la nationale, telles étaient les
questions, comme disait l’autre… Mais n’était-il pas plus simple et efficace de
faire la sélective oreille, de détourner, de faire l’imbécile ?
Ces méthodes ne font
pas avancer le débat. On transforme l’épiphénoménal en essentiel. En faisant l’abruti,
nos « élites » participent à l’abrutissement des masses. A force de
petites phrases et de slogans, la politique prend des airs de cour de récré. C’est
désolant.