..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

vendredi 20 janvier 2012

Vérité sur le naufrage ou naufrage de la vérité ?



Il nous est tous  arrivé de nous dire un jour, suite à une bêtise plus ou moins grave,  qu’on aurait mieux fait de rester couché.

C’est ce que doit penser Francesco Schettino, capitaine du Concordia dont l’immense carcasse est vautrée tout près des côtes de  l’île du Giglio. Il y a des morts, des disparus. Relativement peu d’ailleurs,  vu le nombre de passagers. Le bateau est foutu. On ne sait même pas ce qu’on va pouvoir en faire…

Un jour on est le seul maître à bord après Dieu (quand ce dernier ne tape pas le carton). Le lendemain, on est la pire des merdes. Il ne faudrait quand même pas croire qu’on a confié un tel navire à un triste incapable suite à un entretien du genre :

-    Ah, mon p’tit Francesco, je t’ai fait venir parce que j’avais quelque chose à te demander…
-    Oui, M’sieur Costa ?
-    Est-ce que tu saurais commander un paquebot ?
-    Commander un paquebot ? Je ne sais pas, j’ai jamais essayé…
-    Tu as bien fait un peu de navigation quand même ?
-    Ben, j’ai bien  fait du pédalo avec François Hollande mais c’était lui le commandant…
-    Du pédalo ? Tu as donc une expérience maritime…
-    Et puis mon beau-frère a fait son service dans la marine…
-    Mais c’est très bien tout ça ! Je crois que j’ai trouvé l’homme qu’il me faut. Je t’explique. Je viens d’acheter un nouveau paquebot, le Concordia, un rafiot qui fait quand même ses 280 m de long. Ça m’a coûté une bonne pincée. Je ne te dis pas combien, mais avec ça, j’aurais pu m’en payer des soirées de bunga-bunga ! Et pas qu’un peu !
-    Je n’en doute pas M’sieur Costa.
-    Donc, j’ai déjà le bateau, j’ai recruté l’équipage, mais il me manque le commandant. J’ai pensé à toi parce que depuis quelques  années que je t’observe quand tu nettoies les carreaux de mon bureau, j’ai pu me rendre compte que tu étais un garçon sérieux et consciencieux…
-    Vous me flattez, M’sieur Costa !
-    Pas du tout, Francesco, pas du tout. J’ai vu aussi que tu t’y connaissais à la manœuvre. Quand tu gares ta Fiat 500, c’est du travail d’artiste…
-    On fait ce qu’on peut M’sieur Costa, on fait ce qu’on peut…
-    Tu es trop modeste, Francesco, trop modeste. Allez, tu n’es plus laveur de carreau, te voici commandant de paquebot.
-    C’est ma femme qui va être contente ! Elle qui trouve que je suis toujours dans ses pattes, ça va lui faire des vacances. (à part : Et à moi aussi !)
-   Tope-là, Francesco et cochon qui s’en dédit !  Seulement, je te demanderai  d’y faire bien attention, parce que ces machins-là ça se gare pas comme une Fiat 500 et les rayures sur la coque ça coute bonbon à réparer.
-    J’y ferai  attention comme si c’était à moi, ne vous en faites pas, M’sieur Costa.
-    Voilà une affaire rondement menée ! Tiens, voilà les clés. Ton paquebot est arrimé au môle B. Tu ne peux pas te tromper, c’est le plus gros.  Et pour la tenue, tu devrais trouver ce qu’il te faut chez Kiabi.  Il ne me reste plus qu’à te souhaiter bon vent.
-    Merci M’sieur Costa. Vous n’aurez pas obligé un ingrat.
-    C’est moi qui te remercie, mon petit Francesco, au revoir Capitaine Francesco…
-    Au revoir, M’sieur Costa et bien le bonjour chez vous !

Tout ça paraît grotesque et improbable, non ? Et les commentaires qui sont faits sur le caractère du Commandant Francesco Schettino, ils ne vous paraissent pas également  grotesques  et improbables ? Même pas un tout petit peu ? Vous imaginez vraiment que la compagnie Costa Croisières confie le sort de navires qui coutent je ne sais combien de centaines de millions d’euros, sans compter la vie de milliers de passagers, à des rigolos qui vont faire les marioles avec pour épater leurs potes ?   Le portrait qu'on fait de l'homme et les agissements qu'on lui attribue le laisseraient croire. Sauf que ça ne colle pas tout à fait avec ce qu’on dit de lui dans cet article.

Une fois calmé le raffut médiatique, on aimerait avoir la version du capitaine…

jeudi 19 janvier 2012

Où les vieux cons divergent...




Annie Ernaux avait  su, dans la partie de son « autobiographie impersonnelle et collective » consacrée à l’enfance, faire remonter en moi bien des  nostalgies. Mais ensuite tout s’est mis à cafouiller entre nous. Je crains que, dès le départ, notre « union » n’ait été construite sur un malentendu.  Certes les origines modestes, l’extraction populaire, l’époque (enfin, presque) étaient là pour nous  rassembler. Mais, mais, mais… 

Madame  Ernaux respectait (et respecte probablement encore)  école, diplômes, mérite, ascenseur social et tout le bastringue.  Elle s’engouffra dans le modèle petit-bourgeois,  passa son  CAPES, devint une enseignante « consciente et responsable » selon les critères requis, une mère dévouée.  Un modèle d’intégration sociale. En opposition avec le système comme il sied au teint.  Une  prof de banlieue, calibrée au micron près.  Du bois dont on fait les gôchos. Avec l’illusion que ce conformisme politique est  rébellion. Alors qu’il n’est qu’imaginaire fenêtre azurée dans la grisaille du quotidien.

Enfoncée jusqu’aux narines dans l’ordinaire, mai 68, cette dérisoire pantalonnade, lui paraît oxygène. Fallait-il qu’elle étouffe !  Son récit, ensuite,  devient un  catalogue plus ou moins exhaustif des  « luttes », espoirs, déceptions et tristes constats d’une gôche  qui se cherche sans risquer de jamais se trouver tant ses rêves sont inconsistants. Au niveau personnel on trouve l’habituel divorce, l’éducation permissive des enfants, les liaisons avec ou sans lendemains qu’implique un bovarysme de bon aloi…   Si certaines notations continuent, ici ou là, de réveiller en moi d’obscurs souvenirs, l’essentiel de ses  préoccupations m’échappent comme m’échapperaient les émois d’un copocléphile. 

La mémoire qu’elle tente de réveiller n’est pas celle de la collectivité française mais  celle d’un clan. Je ne m’y retrouve pas du tout. Sa tentative de   recréer une époque échoue : elle n’en retranscrit que  ce qu’ont voulu y voir ceux de son milieu et de son bord à travers le prisme de leur idéologie.

Restent un style épuré, habile, efficace, une lecture agréable. Ce n’est pas rien.

mercredi 18 janvier 2012

Mon mai 68


Il était temps qu'il arrive! On filait un bien mauvais coton. Pour les anniversaires ou sans raison du tout, on s'était mis à picoler sec avec les copains. Je me souviens d'un cours de philo où les comportements étaient bizarres : une bonne moitié de la classe ronde comme autant de queues de pelles. Et alors? Ben, c'était pas normal. On était AVANT mai 68. Du temps où toute chose était à sa place et toute place à sa chose. Un ordre parfait que rien n'aurait dû perturber. Depuis le début de cette année de terminale, les profs, tous communistes ou apparentés, faisaient leur propagande. Ils appelaient ça des cours. C'était curieux parce que Rambouillet, comme bastion rouge, on avait vu mieux. Ils devaient venir de Paris. Comme beaucoup des internes. Car il y avait un internat qui servait de havre aux exclus de Janson de Sailly. Entre les cuites et les cours assommants on était au bord de la catalepsie.

Et il est arrivé ce fameux mai. Progressivement. D'abord des troubles à Paris. Puis la grève au lycée de Rambouillet. Les profs étaient perplexes voire mal à l'aise. Ils s'étaient mis en grève mais si près du bac, ils faisaient des sortes de cours, quand même. Si un d'entre eux nous avait dit que durant l'année nous avions vu la théorie et qu'à présent nous voyions la pratique, d'autres, sentant que le sol se dérobait sous leurs pieds prêchaient en faveur d'un compromis. Attention, pas d'une compromission ! Un retour à l'ordre où ils puissent paisiblement prêcher l'insurrection, en quelque sorte. Tous ces jeunes qui semblaient les avoir pris au mot, ce n'était pas rassurant. Ils cherchaient, bon pédagogues, à cerner ce que nous pouvions bien attendre comme changements. Personnellement, je n’avais rien à suggérer. Les cours étaient ennuyeux à souhait, les profs avaient une capacité enviable à dépouiller leur matière de tout attrait. De quoi se plaignait-on ? J'étais comme un prisonnier à qui on demande ce qui devrait changer dans l’administration de la centrale pour que celle-ci rejoigne son idéal alors qu’il se contrefiche de ses détails vu qu’il ne rêve que d’en sortir. Et puis, à deux mois de la libération…

Un jour, faute de carburant, le ramassage scolaire s’interrompit : plus de lycée. Mon copain Philippe passa me prendre avec sa voiture. Il lui restait un peu d'essence. On a fait un tour au lycée qui était en "révolution". AG et tout. On en entendit de belles. Conquis de fraîche date à l'idéal révolutionnaire, c'était à qui, parmi ces enfants de bourgeois, sortirait les propos les plus enflammés. Dans le genre délirant, on avoisinait le chef-d’œuvre. On est partis écœurés par tant d'âneries. Pas question d’y retourner ! 

Que faire? La situation paraissait assez simple: tout ça allait se tasser. C'est bien joli un mois de mai, seulement après 31 jours, il n'en reste plus. Ce n'était pas les propos ineptes de Cohn-Bendit et consorts, relayés par des adolescents naïfs, qui allaient changer le monde. J'en étais certain. D'autant plus que sur le territoire de la jolie commune où j'habitais se trouvait un camp militaire. Et que sur ce camp militaire, depuis le début du mois, venant de Pau, s'étaient installés de gentils parachutistes. Au cas où. La rumeur disait que nous n'étions pas les seuls aux alentours de Paris à bénéficier de cette rassurante présence.

Bref, il était temps de penser au bac. Il y avait trois ans que je ne foutais rien. Ou pratiquement rien. J'étais passé de seconde scientifique en première littéraire grâce à deux compositions françaises plutôt réussies. Puis de première en terminale parce qu'on ne peut pas faire redoubler un premier prix de français en section littéraire même s'il ne fait strictement rien dans les autres matières. En terminale, c'était en histoire que j'aurais eu le prix. S'il y en avait eu un. Mais avec tous ces événements… Le bac étant inéluctable, je me lançais donc dans des révisions (plutôt des visions) acharnées. Je m'ennuyais tant au lycée que l'idée d'en faire une année de plus m'était insupportable. Comme le fait d'y avoir passé 3 ans de ma vie pour rien m'aurait fortement contrarié.

En huit jours, j'avais fait tout le programme de maths et tous les exercices du livre. Dérivées et intégrales n'avaient plus de secrets pour moi. La géo, la philo, les œuvres de français, je m'ingurgitai tout en un temps record. Le soir, je jouais au ping-pong au foyer communal. Si le tournant vers un rétablissement des choses fut pris le 30 mai, il fallut cependant encore un bon mois pour que tout se tasse et que je peaufine mes savoirs. Le 27 juin on annonçait que le bac serait purement oral. Ça m'arrangeait bien. Les épreuves se passèrent agréablement. Je ne ratai que de peu la mention bien.

C'est ça mon mai (-juin) 68. Vraiment pas de quoi pavoiser.

mardi 17 janvier 2012

La croisière s'amuse...

 C'est curieux, on dirait qu'il y a un rien de gîte

Ces derniers jours, il a beaucoup été question de croisières. Ça m'a rappelé quelque chose.

En 1972, avec ma copine, l'envie nous prit  de nous rendre en Casamance en bateau. L'idée était originale. Une mini-croisière, en quelque sorte. On quittait Dakar dans l'après-midi, et environ 24 heures plus tard, on débarquait sur les quais de Ziguinchor, frais comme des roses. Nous réservâmes donc.

Malheureusement, toutes les cabines étaient prises. Qu'importe, nous nous rabattîmes sur les couchettes qui devaient à nos yeux innocents constituer une sorte de deuxième classe. Le jour et l'heure venus, nous nous présentâmes à l'embarquement. Un panneau indiquant que les passagers "couchettes" devaient se présenter à l'arrière du navire, vers l'arrière nous nous dirigeâmes. L'employé sénégalais qui contrôlait les billets, avant que nous soyons arrivés à sa hauteur tenta de nous faire comprendre par gestes que nous nous égarions. Arrivés près de lui, sans regarder nos billets, il nous expliqua que c'était à l'avant que nous devions aller. Devant nous allâmes. Là, après inspection de nos billets, on nous redirigea vers l'arrière. Devant notre insistance, l'employé qui nous avait d'abord réorientés finit par admettre, qu'aussi incroyable que ça paraisse, c'était bien de son côté que nous devions monter.

Nous rejoignîmes donc nos quartiers, lesquels étaient bien encombrés. Un grand nombre de Noirs s'y trouvaient installés, entourés de volumineux bagages, laissant peu d'espace libre. Un marin à qui nous demandâmes où se trouvaient nos couchettes trouva notre question bizarre. Des couchettes ? J'insistai : nous avions payé pour des couchettes, couchettes nous exigions ! Le ton monta un peu. Le marin finit par se résigner et sans grand enthousiasme demanda à de nombreux installés d'aller le faire ailleurs et installa deux lits de camp pour moi et ma compagne dans un coin. Ça commençait bien...

Maintenant que la question du gîte se trouvait résolue, il fallait penser à celle du couvert. Je demandai donc au brave Sénégalais que j'avais déjà importuné avec mon obsession maniaque des couchettes comment on faisait pour se nourrir. Apparemment, rien n'était prévu à l'arrière et l'accès à l'avant étant totalement interdit aux passagers de la poupe, il ne semblait pas exister de solution. Nouvelle insistance. Nouvelle montée du ton. Nouvelle résignation. Le marin finit par me conduire à un officier, blanc lui, à qui j'expliquai la situation. "Vous êtes à l'arrière ? Avec votre femme ?" Je lui aurais dit que  j'étais un ogre martien et que  j'aurais bien aimé manger quelques enfants avant que le soleil ne se couche, je ne lui aurais pas paru plus étrange. Ému par notre détresse, ou par solidarité raciale, il consentit à soumettre notre cas au commandant. Je le suivis. 

Le commandant fixait la mer et nous tournait donc le dos quand nous pénétrâmes dans la passerelle. L'officier rapporta à son supérieur l'étrange situation. "Des blancs derrière ? Eh ben, ils n'ont pas peur !" Je lui confirmai mon absence de crainte. Ça le fit légèrement sursauter car il ignorait ma présence. Il se retourna, vérifia d'un bref coup d’œil que je n'étais aucunement muni des antennes qui caractérisent le martien et que je ne présentais pas non plus les caractéristiques du hippie drogué qu'on peut laisser crever, puis entama la conversation.  Il en ressortit que nous pourrions, moyennant un prix restant à déterminer,  manger à l'avant avec les passagers des cabines et qu'il nous serait possible de circuler librement, c'est à dire à l'avant,  de profiter du bar et tout.

Riche de ces bonne nouvelles, j'allai les annoncer à Susan qui, contre toute attente, n'avait encore été ni violée ni dévorée par nos compagnons de voyage. Nous pûmes donc dîner de manière très agréable en compagnie des croisiéristes français et du commandant. Nourriture et vins étaient excellents autant qu'abondants et nous furent facturés à un prix symbolique. Nos convives s'étonnèrent un peu que nous n’ayons pas de cabine, mais sinon tout roula bien. Nous rejoignîmes ensuite nos sommaires "appartements".

Je n'ai jamais été très fort en sommeil. La rusticité du couchage n'aidait rien. Au bout d'un moment, alors que tout le monde, y compris Susan, dormait à poings fermés, faute de trouver le repos, je décidai d'aller faire un tour. J'allai, histoire de profiter de mon privilège, me promener à l'avant du navire. Il y avait de la lumière au bar. J'y entrai et vis, installé au comptoir devant une bière, l'officier qui m'avait présenté au commandant et qui se trouvait être le second. Il m'invita à en boire une avec lui et là commença une conversation étonnante. Des propos racistes, j'en avais entendu : des verts et des pas murs. Mais là, je dois dire que c'était un festival. Après s'être étonné que j'ose m'éloigner en pleine nuit de ma compagne, la laissant en telle compagnie, il me dit ce qu'il avait sur le cœur. Ses propos sur les passagers de l'arrière auraient donné au plus raciste de nos actuels contemporains des airs de militant acharné du MRAP ou de "Touche pas à mon pote". Il voyait les choses clairement : le commandant était trop bon, s'il avait son mot à dire, lui, il bouclerait tout ça derrière, avec des cadenas (sauf nous, bien entendu !), que de cette race de putains, c'étaient les plus putains, que si le bateau coulait et qu'ils n'avaient pas  accès aux canots de sauvetage, ça serait plutôt positif... Capables de tout et du reste. Surtout du plus inquiétant des restes. La litanie fut longue, variée, colorée. Au point qu'en j'en pris note de retour à ma couchette. J'avais du mal à voir dans les paisibles dormeurs qui m'entouraient les dangereux monstres dont il m'avait dépeint les multiples tares et vices. Je n'allais tout de même pas le contredire. Après tout, il m'avait rendu service. Et à quoi bon ?

La "croisière" s'acheva le lendemain après la meilleure et plus riche bouillabaisse qu'il m'ait été donné de déguster.

Le 27 septembre 2002, le Joola, bateau qui remplaçait celui que j'avais pris trente ans plus tôt, coulait corps et bien entraînant la mort d'environ deux mille personnes. Il était notoirement surchargé. Je n'ai pu m'empêcher de penser que, quelles qu'aient été les opinions des officiers français que j'avais rencontrés, ils n'auraient jamais permis ces surcharges folles et qu'objectivement, malgré leurs paroles, ils se préoccupaient davantage de la sécurité de leurs passagers que ceux qui les remplacèrent. Comme quoi les choses ne sont pas toujours simples.

lundi 16 janvier 2012

Spécial vieux cons ?





Il y a plus de trois mois déjà j’écrivis un billet constatant  avec un rien de mélancolie  la mystérieuse disparition des chanteurs  lors des repas de famille.  Suzanne, dans un commentaire, nota que mon texte lui faisait penser  au livre d’Annie Ernaux « Les Années ».  Je lui promis de me le procurer. Comme je suis homme de parole, j’en parlai donc à la bibliothécaire du bourg voisin  et cette consciencieuse personne lors de la visite que je lui rendis avant-hier me signala l’avoir reçu de la Bibliothèque Centrale de Prêt.

J’en ai entamé cet après-midi la lecture et, bien que j’aie de plus en plus de difficulté à m’intéresser  aux nouveautés –je relis plus que je ne lis-, j’ai eu bien du mal à m’en arracher.

Quoique l’auteur  soit de dix ans mon aînée, je me suis retrouvé plongé dans mon enfance. Il faut croire qu’en ces temps reculés les choses changeaient lentement. Annie Ernaux le note elle-même quand elle écrit : « La photo pourrait dater de la fin des années quarante ou du début des années soixante ».

Car c’est à partir de photos que se construit, pour reprendre les termes de la quatrième de couverture, cette « autobiographie impersonnelle et collective ».  Au départ  ces photos renvoient évidemment à des souvenirs de l’auteur mais bien vite le champ s’élargit et c’est toute la société du temps qui nous est  dépeinte. Rien n'y manque : la religion, encore prépondérante, les écoles séparées, les marques et leurs slogans, les différences sociales et culturelles, les interminables repas de famille où les parents parlaient guerre, les chansons, les émissions de radio, mille détails font renaître l’époque et plongent le lecteur cacochyme que je suis dans un bain de nostalgie.

Et pourtant des années et le sexe nous séparent…  Là est le talent de l’auteur : par delà des différences minimes ou fondamentales, elle a su extraire l’essence d’une société avant que celle-ci ne disparaisse emportée par le vent nouveau des « swinging sixties » dont le vieux général par son conservatisme un rien guindé  avait su préserver  la France jusqu’à ce que mai 68  emporte tout et lui avec.

Au moment d’en recommander la lecture,  je me demande si pour les générations plus récentes ce livre peut présenter un intérêt autre que purement littéraire ou archéologique…   Ce qui après tout ne serait déjà pas si mal.