Comme vous tous, j’ai une forte envie de me repentir un petit peu tous les jours. Je crains, si je faisais pas mon devoir de mémoire de mériter un zéro pointé et de ne pas passer dans la classe supérieure.
De quoi serais-je censé me repentir ? A peu près de tout ce qui, dans notre histoire nationale, est criminel. Et ce ne sont pas les mauvaises actions qui manquent : Croisades, esclavagisme, colonisation, participation à la « solution finale », génocide vendéen, massacres de la terreur, guerre d’Algérie, etc.
Certains esprits forts viendront m’objecter qu’ils ne voient pas de raisons pour que l’on se repente de crimes auxquels on n’a pris aucune part vu que qu’ils furent perpétrés avant notre naissance et que, même pour ceux commis de notre vivant, il n’y aucune raison de le faire, vu qu’en général on n’a joué aucun rôle dans la prise de décision qui les a entraînés. Que ce n’est pas à nous, mais à l’État de faire acte de repentance. Ah oui, à l’État ? C’est qui l’État ? Si j’en crois le petit Robert, ce serait l’«autorité souveraine s’exerçant sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire déterminés ». l’État à un chef. Il serait donc logique que ce soit lui qui se repente, au nom du peuple.
Vous croyez vraiment qu’il n’a que ça à faire ? Avec la crise de l’Euro, les élections qui viennent et tout ça ? On critique déjà assez le peu d’efficacité de son action. Qu’en serait-il s’il passait le plus clair de son temps à se repentir ? Ce ne serait que justice que nous l’aidions : par générosité d’abord et aussi parce que nous sommes en démocratie. Louis XIV pouvait dire : « l’État, c’est moi ». Les choses ont évolué : maintenant, l’État, c’est nous. Si, si ! Repentons-nous donc et à donf !
Une question se pose cependant : est-il bien raisonnable d’imposer le devoir de repentance à l’ensemble du peuple français ? Je vois mal un français de fraîche date, venu d’une tribu ayant été victime de ce crime inexpiable que fut la traite des Noirs, se voir contraint, en tant que français, à se couvrir la tête de cendres en souvenir de l’esclavagisme. De même, un juif français devrait-il se repentir de la participation de son pays à la shoah ? Un algérien, ex-combattant du FLN, venu depuis, par amour de la France, s’établir chez nous et rejoindre par naturalisation le peuple français devrait-il s’excuser de la barbarie française en son ex-pays ? Ainsi, accessoirement, que des crimes du FLN ?
Il est des cas plus complexes : Prenons celui d’un bon français dont la mère était autochtone et le père espagnol. Sa repentance doit-elle porter par moitié sur les crimes de L’Espagne et ceux de la France ? Doit-il endosser en totalité la culpabilité de ses deux peuples d’origine ? Que devrait-il faire le 3 mai ? Quid de ceux dont les ancêtres viennent de multiples origines ? Ne risqueraient-ils pas de se voir submergés de repentir ? Menacés de schizophrénie carabinée ?
On en a arrive à la conclusion que la repentance ne peut concerner, en admettant que nous soyons responsables des erreurs de nos aînés, qu’une partie d’entre nous. Partie d’autant plus difficile à définir que, sauf rares cas, il est difficile de remonter de plus de quelques siècles dans notre arbre généalogique et par conséquent de savoir si ne s’y seraient pas glissés des éléments allogènes.
Je me demande, la mort dans l’âme et frustré dans mes désirs, s’il ne serait pas raisonnable d’abandonner l’idée de repentance et d’étudier l’histoire sans a priori moraux en se contentant d’expliquer les évènements, leurs causes, leurs conséquences et leur contexte socio-économique. Ce qui n’empêcherait aucunement, si l’envie nous en venait, d’en tirer d’éventuelles leçons pour le présent voire pour l’avenir en fonction de nos idéologies du moment.