J’approche de la fin du bizarraroïdissime roman de John Kennedy Toole intitulé La Conjuration des imbéciles. Ma fille me l’avait offert pour une fête des pères ancienne. Je l’avais lu et, curieusement, n’en avais gardé aucun souvenir. Rien de bien neuf, me diront mes fidèles lecteurs car j’ai maintes fois répété que je ne gardais aucun souvenir de mes lectures. Certains livres, cependant, du fait qu’ils m’ont, pour une raison ou pour une autre, marqué, me laissent un vague souvenir, bon ou mauvais. Or de celui-ci ne m’en gardais absolument aucun. A qui m’aurait dit que ça parlait de la pêche au goujon dans le Nebraska ou des angoisses existentielles d’un adepte du bilboquet, j’aurais été bien en mal d’apporter le moindre démenti.
Et voilà que je le relis et que sa totale originalité me laisse totalement abasourdi. L’histoire du manuscrit, elle-même n’est pas banale. Son auteur, persuadé d’avoir écrit un chef-d’œuvre, le proposa à nombre d’éditeur qui le refusèrent avec un bel ensemble. J.K.Toole, à la différence de bien d’autres dans son cas, au lieu de passer à autre chose et de devenir hôtesse de caisse chez Félix Potin (ou son équivalent étasunien) en conçut un grand dépit, sombra dans la déprime et se suicida à l’âge de 31 ans en 1969. Mais il avait une maman ! Ce fait n’a rien de très original, c’est vrai mais en l’occurrence, la sienne croyait dur comme fer en l’œuvre de son petit génie de fils. Elle fit le siège d’éditeurs et d’écrivains jusqu’à ce qu’un de ces derniers, séduit par son originalité insistât auprès d’un éditeur pour qu’il le publiât. Il parvint à ses fins en 1980. Et ce fut le succès : 1,5 millions d’exemplaires, traduction en 18 langues et, cerise sur le gâteau, le prix Pullitzer du roman en 1981. Comme quoi, l’écrivain frustré a parfois tort, comme Toole, de se laisser aller au désespoir…
Cela dit, de quoi parle ce livre ? Son personnage central, Ignatius Reilly, natif de la Nouvelle-Orléans et n’en étant sorti, pour son plus grand malheur, qu’une fois, mène aux crochets de sa mère une existence quasi végétative. Diplôme de l’enseignement supérieur, se pensant habité par le génie , il refuse toute implication dans une vie ordinaire. Il faudra que sa mère, ayant bu un coup de trop comme elle n’en a que trop la fâcheuse habitude, suite à un accident de voiture, se trouve dans une position financière délicate pour qu’il consente à entrer dans la vie active. Et ceci à reculons. En plus d’être une grosse feignasse, Ignatius est doté d’un physique remarquable : très grand, très obèse, pour tout arranger, il s’accoutre de manière originale et tout ça le fait considérer par qui le rencontre comme un parfait abruti. Mais ça ne s’arrête pas là car Ignatius, pense, écrit et parle ce qui n’arrange pas les choses. Et ce qu’il pense, écrit et dit est totalement loufoque. Ce qui l’amène à agir de manière pour le moins saugrenue. Sans entrer dans le détail, ses expériences dans le monde du travail (qu’il consigne dans un délirant journal) oscillent entre le catastrophique et le burlesque. Il faut dire que les personnes qu’il est amené à côtoyer n’ont rien à lui envier en matière de loufoquerie. Faire une liste des personnages foutraques qu’il rencontre et de leurs déroutantes idiosyncrasies prendrait un temps infini. Sachez simplement que pour en trouver un qui s’approche même timidement d’une quelconque norme, il faudrait avoir l’esprit large et s’armer de patience.
Cette lecture, je le répète est totalement déroutante. On peut y voir une critique virulente de la société étasunienne, on peut la trouver hilarante, assommante, géniale, débile ou ce qu’on voudra. Une chose est certaine, ce roman est original. Si le cœur vous en dit, allez y voir…
Ah, j’allais oublier : il n’y est nulle part, et pour cause, fait mention du Covid ou de l’Ukraine. C’est déjà ça !