Je relis plus que je ne lis. Aussi m'est-il agréable de découvrir une nouveauté distrayante. Michel Desgranges m'offrit ce plaisir avec ses Philosophes, deuxième*volet des ses Mœurs contemporaines .
Si vous vous attendez à un austère
essai sur l'état actuel de la pensée française, vous serez déçu.
Si votre âme est troublée par les questions que pose l'Être, bref,
si à la fréquentation assidue des oncologistes vous préférez
(comment ne vous comprendrait-on pas ?) celle des ontologistes,
vous allez vers une frustration. Car si M. Desgranges nous présente
quelques spécialistes de l'ontologie, ce n'est pas afin de
faire le point sur les recherches sur l'Être, mais pour se gausser
de l'insignifiance pompeuse à laquelle parvient une philosophie
universitaire consistant, à l'instar de la scolastique du Moyen-Age
finissant, à commenter les commentaires des commentaires.
L'art de M. Desgranges est de pratiquer
la caricature. Bien sûr les grands universitaires qui nous inspirent
un tel respect que rares sont ceux qui vont jusqu'à ouvrir leurs
œuvres, ne sont pas exactement tels qu'il nous les décrit.
Seulement, il n'est pas rare que leurs écrits soient abscons. Il
arrive aussi que leur ambition les pousse à la servilité vis-à-vis
de ceux qui pourraient favoriser l'évolution de leur carrière. Si
dans le meilleur des cas, ils finissent couverts d'honneurs, il est
moins fréquent qu'on les couvre d'or. Il arrive qu'ils trouvent cela
bien triste et qu'ils tentent d'arrondir leurs fins de mois par des
activités éloignées de leurs fins premières.
Ces derniers traits, pour notre plus
grand plaisir, l'auteur les pousse jusqu'à l'absurde. Il couvre
notre territoire d'un blanc manteau d'universités** peu
florissantes. L'onomastique vient souligner la satire. Les
personnages principaux qu'ils enseignent à la Ferté-Guidon ou au
Collège de France, qu'ex-haut fonctionnaires ils tentent de survivre
d'un commerce hérité, que, bibliothécaires, ils améliorent leur
sort en vendant les incunables de leurs fonds, partagent tous une
noble ambition : s'en mettre plein les poches ou au moins sortir
de la quasi-misère où les relègue un monde ou tout est citoyen,
équitable ou démocratique . Et ils y parviendront car le roman est
optimiste dans son acidité. Les voies de Dieu sont impénétrables
dit-on. Celles qui les mèneront au succès ne le sont pas moins.
Tel, suivant le conseil d'un autre, se fera travelo et ainsi
regagnera l'amour d'une épouse volage autant que vénale. Tel autre
trouvera dans un emploi de domestique la paix que l'ontologie lui
avait jusque là refusée. Un autre se fera gigolo, une autre encore fera un
riche mariage... Happy end assuré !
Au-delà du cas des philosophes, c'est
d'une société qui ressemble beaucoup à la nôtre dont traite
Michel Desgranges en en soulignant les ridicules et petitesses que
tente de masquer un discours inepte, prétentieux et surtout
inintelligible. En cela, il se montre moraliste. Si notre époque de
grands progrès répond à vos attentes et vous comble de bonheur,
NE LISEZ PAS CE LIVRE !
*J'emploie deuxième car selon certains
que ne suit pas l'Académie, second, terme que je lui préfère,
n'impliquerait pas de suite et que ce serait dommage.
** Pour parodier Raoul Glaber