Dans un
excellent roman dont j'ai déjà parlé (
ici
et
là),
à la page 180 d'icelui, Evremont aperçoit la maigre bibliothèque de sa
défunte mère. Parmi les auteurs dits « oubliés » qui
la composent, un nom retient mon attention : Jean Hougron. Au
début des années soixante-dix, j'avais apprécié l'exotisme de ses
romans indochinois. Des années plus tard, je découvris, par le
truchement de mon épouse, son
Histoire de Georges Guersant qui
me parut de loin supérieur au reste. Ma mémoire n'en
conserve que le très vague souvenir d'un jeune homme qui s'échine à
débrouiller l'inextricable contentieux qui existe entre la maison de
commerce qui l'emploie et un client. Y consacre-t-il des mois ou des
années avant qu'on ne lui fasse connaître la totale vanité de ses
efforts ? Je ne saurais dire. Mais ce côté absurde du travail m'avait séduit...
Toujours est-il que ma curiosité en
fut piquée et que j'allai regarder si, par bonheur, ce roman ne se
trouverait pas parmi mes livres. Ce n'était pas le cas. Des deux
ouvrages, achetés en janvier 73, je décidai de relire Tu
récolteras la tempête.
En l'ouvrant, j'y trouvai une carte
postale qui devait m'avoir servi de marque-page lors d'une précédente
tentative de relecture. Elle se trouvait dans les premières pages,
illustrant l'échec de cette entreprise. Datée d'octobre 79, la carte,
une vue de la mosquée bleue d'Istambul, sous le message « Bon
baisers de Russie » portait la signature de Béa et Babou. Tout
d'un coup resurgit une époque. Celle qui me vit rencontrer ma
première épouse dans un troquet de Tours dont le nom a déserté ma
mémoire. Inséparables amies, les deux filles y tenaient leur QG.
Quelques années plus tard j'épousai la plus vive et l'autre se
maria avec le surnommé Babou, un gars qui fréquentait assidument ce même bar,
vague étudiant en je-ne-sais-plus-quoi à qui le père de Béa finit
par procurer un emploi dans l'entreprise qu'il dirigeait. La vie nous
éloigna (c'est une des choses qu'elle fait le mieux) sans que les
liens ne disparaissent.
Bien avant le nôtre, leur couple battit de
l'aile, l'un plongeant dans l'alcool, l'autre dans la mouise. Pour
l'aider un peu nous embauchâmes un temps Béa au magasin. Expérience
peu concluante. Babou, lui, vint un jour nous démarcher. Dire qu'il
représentait bien sa société serait abusif. Portant des vêtements
d'une propreté plus que douteuse, il nous narra ses errances
hospitalières suite à ses menus excès et nous remercia d'avoir
tendu la main à son ex. Nous n'entendîmes plus parler ni de l'un ni
de l'autre. Que sont-ils devenus ?
Il arrive qu'au hasard d'une phrase, un
mot ou un nom provoque une chaîne de retours inopinés, cependant le
passé ne provoque en moi aucune nostalgie.