Je relisais hier un billet de M. Didier Goux , à moins qu’il
ne se fût agi d’un billet modifié avant d’être incorporé à son excellent En territoire ennemi. Intitulé Les
générations, il est précédé d’un extrait du journal de M. Renaud Camus où l’écrivain
affirme que ne sont cultivés que les enfants de gens cultivés. Il faudrait d’après
lui, sauf rare exception, trois
générations pour produire cette merveille qu’est un homme de culture digne de
ce nom. Moi je veux bien tout ce qu’on veut (c’est mon côté con sensuel) mais
il faut tout de même croire que ces
petits bijoux humains comptent forcément parmi leurs ancêtres tout un
tas de gros bœufs dont la lignée s’est trouvée sauvagement interrompue par un
être « de génie ou de talent
véritablement exceptionnel » qui, allez savoir pourquoi, se soit mis en
tête de devenir cultivé et, aussi improbable
que ça puisse paraître, y soit parvenu. Avec un peu de chance, et bien qu’il
leur manquât une génération, il est parvenu à rendre ses enfants cultivés et
ces derniers ont eu des rejetons cultivés de plein droit. On ne nous dit pas
combien il faut de générations pour obtenir des gens TRÈS ou EXQUISEMENT cultivés
mais on imagine que ça ne se fait pas en trois coups de cuiller à pot.
Il se trouve que je manque désespérément de génie et que mes
ancêtres en ayant été également dépourvus, je ne serai jamais cultivé selon les
critères camusiens. Dire que j’en souffre serait exagéré. Surtout que je suis convaincu qu’une culture ne peut-être
que relative. Sans compter qu’elle est indissociablement liée au milieu social
dans lequel on évolue. La culture dont parle M. Camus est une culture humaniste,
celle de l’honnête homme au sens plus
ou moins classique, principalement basée sur la pratique d’une langue pure, un
certain savoir-vivre, des connaissances littéraires et artistiques
approfondies, ensemble qui permet à qui le possède de ne pas passer pour une
buse dans la « bonne société », voire de briller en son sein. Tout ça
est un peu clanique et discriminant, mais dans le fond permet de cerner à quoi
sert la culture, quel que soit son niveau, à savoir qu’elle permet à l’individu
de s’intégrer à un milieu social donné. Ce faisant, elle coupe autant qu’elle
intègre.
Pour moi, tout humain a une culture et est cultivé. Raymond,
mon voisin, passe son temps de retraite à s’occuper de brebis et d’agneaux, il
élève des truites, prend soin de ses pommiers, vous parle avec un accent
bas-normand suffisamment marqué pour ne pas être pris pour horsain* tout en
restant compréhensible, vous offre le café et une rincette avec naturel, bricole,
cultive, jardine avec talent, sait manœuvrer un tracteur et sa remorque,
utiliser bien des machines, bref, il connaît les us et coutumes, les
savoir-faire et les savoir-être nécessaires à une bonne intégration à son
environnement social. Il se pourrait que M. Camus ne possède que très
partiellement ces savoirs et que si les aléas de la vie le contraignaient un
jour à devoir vivre la vie de Raymond, il ait plus l’air d’un con que d’un
archevêque, sensation désagréable que ressentirait également Raymond s’il se
trouvait par aventure être condamné à passer le reste de sa vie à converser littérature
ou musique dans les salons.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas là de renvoyer
tout le monde dos à dos, de dire que tout se vaut mais de signaler que réduire
la culture (je m’efforce de ne pas l’affubler d’une majuscule) à quelques
domaines est exagéré. Chacun a sa culture, ensemble de savoirs qui lui
permettent de s’intégrer à un ou plusieurs milieux(ou, si telle est son ambition
et que ses talents l’y autorisent, d’y briller d’un éclat particulier). L’étendue
de ladite culture étant liée à la curiosité de chacun, à la diversité de ses centres d’intérêts et à
sa capacité d’assimilation. Toutes choses relatives.
*Un horsain est, en Basse-Normandie, quelqu’un qui n’est pas
du pays.