Mardi, au marché du chef-lieu de canton, j’ai eu l’honneur,
l’avantage, le privilège insigne de croiser et d’humblement saluer des stars. Des vraies. Rien moins que Thierry et Annie, héros de l’émission
« L’Amour est dans le pré » de M6. Ceux qui ne connaissent pas
peuvent arrêter ici leur lecture.
Continuons avec les autres. Thierry, le ventre dépassant
avantageusement dans l’espace laissé entre le T-shirt et le bermuda tenait à la
main une corde à tirer les veaux, accessoire indispensable à tout négociant en
bestiaux qui se respecte. Le visage rubicond et la démarche fière, de son pas
conquérant quoiqu’un rien embarrassé par
le surpoids, il avançait parmi les allées suivi des regards de tous et de
commentaires variés allant de l’incrédule à l’admiratif en passant par l’enthousiaste.
A ses côtés, plus réservée, un petit chien dans les bras s’avançait le belle
Annie. Mais sans contredit possible, c’est son séducteur ventru et sa couperose
qui tenaient la vedette.
Il est saisissant de voir comme un passage à la télévision
peut changer un homme quelconque en star. Le prétexte de l’émission est de
faire trouver l’âme sœur à des agriculteurs. Ce qui est clivant. Loin de moi l’idée
de négliger les vertus de cette profession. Ils mènent une vie rude et
laborieuse et sont plus souvent à la peine qu’à l’honneur. Les femmes, attirées
comme papillons par les lumières de la ville ou désireuses de joies plus exaltantes
que celles que procure la vue du cul des vaches ou des sillons boueux, ont
tendance à fuir les fermes. Ils ont du mal à se caser, les pauvres !
Alors, bonne fille, la télé leur offre une nouvelle chance. Mais attention, c’est du spectacle et le
casting ne laisse rien au hasard. Il y a des emplois, comme au théâtre. Il faut
un bon gros plouc bien d’cheux nous
bonguiou, un beau gosse, un gentleman
(ou une lady)-farmer, etc… Il faut organiser des contrastes. Si on envoie des
pétasses en talons aiguilles patauger dans le purin, ça fait monter l’audimat !
N’empêche, en nos temps de grande solitude pourquoi réserver
aux seuls cultivateurs, vignerons ou éleveurs la grâce télévisuelle ? Il y a des tas de célibataires dans toutes les
professions. Vous croyez qu’il suffit de passer son temps à vider les
maquereaux et à découper des filets de
sole pour que des créatures de rêve ou même de cauchemar vous tombent dans les
bras ? Et le plombier c’est pas en soudant sous les éviers qu’il trouvera
chaussure à son pied. Le boulanger a ses chances, mais comme l’a montré avec
talent M. Pagnol, si c’est pour se retrouver cocu… Et le maçon, le charpentier,
le plâtrier, le vidangeur, le couvreur, l’épicier, le quincailler, le marin pêcheur,
le charcutier-traiteur, l’entrepreneur de pompes funèbres que fait on pour eux ?
L’amour est peut-être dans le pré mais pourquoi ne serait-il
pas dans la poiscaille, dans les tuyaux de 12, dans le pétrin, sur l’échafaudage,
sur les toits, dans l’auge à plâtre, dans le camion citerne, dans l’arrière
boutique, dans les boîtes à clous, dans
le roof, dans le laboratoire ou dans la salle de recueillement ?
Ça devrait intéresser
les foules… Surtout que, comme les
paysans qu’on nous montre, ils pourraient passer leur temps à tout autre chose
qu’à exercer leur métier : faire des petits tours en montgolfière, aller
au restau, s’exercer au karaoké, rouler en VTT, que sais-je encore ? Ce ne
sont pas les activités qui manquent…
Il sera toujours temps de revenir à la morne routine de la
vie quotidienne. Et si l’amour est là il permettra peut-être de surmonter l’ennui
que génèrent à la longue les conversations centrées sur le poiscaille, la
soudure, la boulange, les murs en parpaings, les poutres et chevrons, le plâtre, les fosses septiques, la tuile mécanique
ou l’ardoise, le prix des nouilles, les secrets du boulon de 12, le cours du
flétan, la chair à saucisse, ou les vertus du cercueil en chêne…