la coutume voudrait que l'on prît chaque année nouvelle de "bonnes résolutions" visant à nous améliorer moralement ou physiquement. Ainsi le tueur en série s'engagerait-il à ne plus pratiquer l'assassinat qu'à dose homéopathique voire à ne plus tuer du tout, le fumeur à réduire ou supprimer son addiction, le buveur invétéré à se mettre au Vichy et DSK à ne plus sauter, avec modération, que sur sa digne et fidèle épouse.
Eh bien moi, j'ai du mal avec ça. Non que ma tendance à la perfection soit telle qu'elle me vaille l'envie et un rien d'animosité de la part de mon entourage. Elle est en fait assez modérée. C'est plutôt que je suis sceptique sur mes capacités à changer. Il m'arrive même de penser que m'améliorer ne serait pas plus utile que souhaitable. C'est vous dire à quel point mon sens moral s'est laissé gangréner par le laisser-aller ambiant. A supposer qu'il ait jamais été très gaillard.
Je me souviens pourtant d'un temps où changer me paraissait possible. En cette époque reculée je croyais aussi, tant qu'à faire, qu'on pouvait changer le monde... Aujourd'hui, tout bien pesé, je n'arrive pas à voir ce que pourrait bien m'apporter d'être autre dans un autre monde. D'où mon scepticisme vis à vis d'une vie éternelle en paradis.
Comme tout le monde, il m'arrive, quand de trop abondantes libations m'incommodent au matin, de me dire que je devrais arrêter le whisky. Ça dure rarement jusqu'au soir. Parfois ça m'amène jusqu'à remplacer le jus de céréales que distillent les écossais par de la vodka polonaise aromatisée à l'herbe de bison. Mais peut-on voir là un quelconque progrès moral ?
Quand je me trouve le souffle court, que je tousse ou que des douleurs dans la poitrine me chagrinent, j'en viens à penser qu'arrêter de fumer, ben... Mais comment, moi qui ai commencé à m'adonner à l'herbe à Nicot dès mon plus jeune âge, pourrais-je me passer des 25 à 30 cigarettes que je fume quotidiennement depuis plus de quarante ans ? Mon nouveau médecin, dès notre première conversation a lui-même compris à quel point mon cas était désespéré...
Il arrive aussi que les chiffres qu'affichent ma balance me fassent caresser l'idée que quelques kilos de moins seraient susceptibles d'alléger mes douleurs de genou. Ces kilos, je les ai perdus je-ne-sais combien de fois. Et je les ai si bien retrouvés qu'à quelques livres près je pèse le même poids qu'il y a quarante ans...
Un point sur lequel j'aurais "progressé", c'est mon goût, affirmé du temps de ma jeunesse folle et même un peu au-delà, pour les jeunes et jolies femmes. C'est d'ailleurs, preuve que le monde est bien fait, parfaitement réciproque. Mais plus que le résultat d'une avancée éthique ne faudrait-il pas voir là celui de la marche inexorable du temps qui, comme disait ma mère, est un grand saint qui guérit tout ?
Alors voilà : en ce début d'année, je resterai dans l'irrésolution. Je continuerai d'offrir à mes petits démons la part que leur feu réclame. A vivre avec eux une paix armée qui les empêche de me terrasser sans perdre les plaisirs que me procure leur fréquentation. Qui d'eux, de moi ou du temps gagnera l'éventuelle et inévitable bataille ? On verra bien...