« La famille, ça
fait partie des p’tits soucis quotidiens, mais pourtant c’est une vie qu’on
aime bien » chanta jadis Sheila (A moins que ce ne fût Heidegger qui l’écrivit.
J’ai tendance à confondre les deux.). Aussi la famille Le Pen n’est-elle pas
exempte de ces petites frictions. La notoriété des intéressés donne à leurs bisbilles un
retentissement plus important que n’en connaîtrait l’affrontement entre les
Chombier père et fils (Bouchers-charcutiers à Mellamois-Vitfay) quand ils s’opposent
sur la recette du pâté de campagne. Ça prend même des proportions incroyables :
en l’absence d’un tsunami à Romorantin ou d’un avion s’écrasant sur le centre-ville de
Châteauroux, ça meuble les unes et constitue un thème acceptable pour les
journaux parlés ou télévisés.
Résumons l’affaire : M. Jean-Marie Le Pen, un peu
poussé à cela par M. Bourdin réaffirme qu’à ses yeux « les chambres à gaz sont un détail de l’histoire
de la seconde guerre mondiale ». Quelques jours plus tard, donnant une
interview à une publication nauséabonde, il déclare que pour lui le Maréchal
Pétain n’était pas un traître mais que M. Valls est un immigré. Apprenant de
telles horreurs, le sang de sa fille (elle l’aurait, paraît-il, bouillant) ne
fait qu’un tour : républicaine jusqu’à la moelle des os, voilà qu’accompagnée
du chœur antique de ses fifres et sous-fifres elle vitupère son père (rime
riche), déclare ne plus vouloir de lui pour mener la liste FN en PACA, on sent
même que, s’il n’en avait tenu qu’à elle, elle vous l’eût viré à grands coup de pieds
dans le cul des instances du parti sans autre forme de procès.
Traiter ainsi son vieux papa, quoi qu’il ait dit ou fait,
témoigne d’un manque de piété filiale manifeste. D’autant plus que si vous
tenez une si belle boutique, c’est bien parce qu’il vous l’a léguée. Bien sûr,
c’est vous qui avez repeint la devanture en un rouge ma foi seyant, une campagne
publicitaire réussie et une conjoncture favorable vous ont permis d’augmenter
son chiffre d’affaire mais il n’empêche que si vous n’aviez pas hérité du
fonds, la maison Le Pen (fondée en 1972), père, fille, gendre, petite fille
aurait eu bien du mal à être autre chose qu’une boutique de dépannage et non un
magasin prospère où une clientèle fidélisée fait l’essentiel de ses achats.
Pourquoi une telle ire ? Parce que Mme Marine vise le
pouvoir et pour cela se doit de renoncer aux diableries paternelles et de rejoindre
une banalité de bon aloi propre, elle l’espère, à rameuter une majorité. On peut se demander
si, ce faisant, elle ne se fourvoierait pas. Le politique a besoin du diable, c’est
pourquoi il attribue des traits lucifériens à tout opposant, si débonnaire soit-il.
Il en va de sa conservation ou de sa conquête des postes. Ainsi M. Sarkozy
fut-il diabolisé cinq années durant. Maintenant qu’un troisième larron menace
de venir perturber le jeu bien huilé de l’alternance, diablotins et angelots de
naguère s’allient pour crier « Haro
sur le facho ! » Le démon
pourra assister à la messe et aux vêpres tous les jours, il aura beau réciter son
catéchisme mélenchonnien la main sur le cœur et l’œil embrumé de larmes, rien n’y
fera. En se muant en défenseur intransigeant du politiquement correct, Mme Le Pen rejoint cette « normalité »
qui ne conçoit la liberté d’expression que dans le cadre défini par le « politiquement
correct ».
Dans un système où il n’y a de place que pour deux acteurs
principaux et où ces deux acteurs s’entendent pour vous barrer l’accession aux
grands rôles, il faut se montrer prudent. N’eût-il pas mieux valu laisser
passer l’orage plutôt que faire allégeance aux ennemis ? Il n’existe dans
les verres d’eaux si grande tempête qui ne se calme et s’oublie. Le passé nous l'a démontré. En se joignant
au chœur des vierges effarouchées Mme Le Pen risque de défriser un tantinet une
partie de l’électorat traditionnel de son parti sans pour autant s’attirer les
bonnes grâces du camp du bien. Est-ce un bon calcul ? L’avenir nous le
dira.