Je me suis souvent, ici même, laissé aller à critiquer le côté approximatif
de certaines réalisations du Créateur pour que, lorsque j’en trouve une qui
approche, voire atteint, la perfection on ne m’accuse pas de flagornerie. A mes
yeux, l’animal qui de tous ceux qui encombrent terre, mers, eaux et air mérite
de se voir crédité du plus grand nombre de qualités est le lapin.
Dès l’abord, force est de reconnaître que la nature l’a doté
d’un physique particulièrement avantageux. De grandes oreilles pour bien
entendre, de fortes pattes arrière pour courir et bondir, de magnifiques
incisives pour ronger les carottes, un poil soyeux qui protège des rigueurs hivernales, une vue à 360°
afin de ne pas rater les promotions dans les hypermarchés, qui de nous ne
rêverait de partager ces avantages ?
Et du point de vue moral me direz-vous ? Là encore, rien à redire
comme nous l’allons voir !
Certains esprits
chagrins veulent voir dans le terme « lapin » un nom vernaculaire
ambigu regroupant divers lagomorphes. Libre à eux. Mais toute personne sérieuse
quand on dit lapin comprend qu’on fait allusion à cet animal qui lorsqu’il
n’est pas de garenne vit dans un clapier, se nourrit de carottes et vous salue
d’un jovial « Quoi de neuf,
docteur ? ». On pourrait lui reprocher d’être végétarien mais ce
serait lui faire un mauvais procès et oublier bien légèrement que l’on
blâme le tigre mangeur d’homme de ne pas l’être. Il faudrait quand même être un
peu logique, non ? Le lapin a
beaucoup profité de la fréquentation de l’homme : de chétif qu’il était
dans ses garennes d’origine, sa taille et son poids ont augmenté au point qu’un
« géant des Flandres » peut atteindre jusqu’à 20 kilogrammes et
mesurer un mètre. De son côté, l’homme n’a pas obligé un ingrat : sous
forme de pâté ou cuisiné, entre autres, à la moutarde ou au chou, il agrémente sa table. Il peut même
sous sa forme naine devenir le compagnon de jeux des enfants avant d’être mis à
mariner.
Contrairement à son cousin le lièvre, le lapin n’est pas une
grosse feignasse. Quand il n’a pas eu la chance d’obtenir une HLM (ou clapier),
il se creuse un terrier afin d’abriter ses petits qui naissent nus et aveugles.
Bonne mère, la lapine (c’est ainsi que se nomme Mme lapin) s’arrache les poils
du ventre pour leur confectionner un petit nid douillet, exemple que nos
compagnes rechignent souvent à suivre. Afin
d’en éloigner les prédateurs, cette mère exemplaire se tient le jour durant à
l’écart du terrier. De trois à cinq fois par an, elle met bas une portée
qu’elle allaite matin et soir pendant deux semaines avant que les lapereaux
n’apprennent à se débrouiller seuls. Pas de place pour les Tanguy chez les lagomorphes !
Le lapin est économe et a horreur du gâchis. Ce n’est pas lui qu’on
verrait laisser perdre des provisions dans le frigo. Aussi pratique-t-il la
caecotrophie qui consiste à ingérer certaines de ses déjections partiellement
digérées pour en récupérer les derniers nutriments et micro-organismes. Que nos amis écolos en prennent de la graine !
Bien qu’ayant tendance à sauter sur toutes les lapines
passant à sa portée, le lapin n’en demeure pas moins un excellent père de
famille. Ce n’est pas lui qu’on verrait dépenser l’argent du foyer dans
les bars, au tiercé ou voter socialiste. Il aime la compagnie de ses congénères
mais cultive une sainte horreur de ses prédateurs (parmi lesquels se comptent
le renard, le chien et le chat). Ce trait de caractère le distingue de l’homme
de gauche qui les préfère à ses semblables.
Économe, travailleur, sobre, dévoué, ami de la famille traditionnelle, de
tempérament affable, joyeux compagnon, la liste de ses qualités est
interminable. Alors, pourquoi, au lieu de le vénérer, l’homme consomme-t-il sa
chair ? En dehors du fait que cette dernière est savoureuse, je crois qu’il
faut y voir une sorte du cannibalisme dévoyé, une manière pour l’homme de s’approprier
les vertus de celui qu’il dévore bien qu’on ne voit pas ce qu’il aurait à
gagner à sauter sur toutes les lapines de rencontre ou à pratiquer la
caecotrophie.