Hier, dans un excellent billet, Michel Desgranges déplorait
la raréfaction de nos libertés concrètes, celles « de faire ceci ou cela sans agresser
autrui ». On serait tenté de lui donner raison, alors qu’en fait il existe un domaine où l’État fait preuve d’un
coupable laxisme avec les conséquences désastreuses que l’on sait :
celui de la sécurité à l’intérieur des logements. Certes, la prochaine obligation d’y installer
des détecteurs de fumée un peu partout est un pas dans la bonne direction. Mais
l’ampleur des accidents domestiques est telle que ce n’est pas un pas timide qu’il
faudrait pour en endiguer les ravages mais une longue marche.
Songez que l’on ne comptait pas moins de 11500 morts à leur
imputer selon une étude
de l’INVES de 2011. Et on ne nous dit rien des blessés ! Trois fois et demi le chiffre des morts sur
la route ! Il est urgent de mettre fin à l’hécatombe ! Si le chiffre
des accidents mortels de la circulation a été drastiquement réduit depuis les années
soixante-dix, c’est dû aux effets combinés de l’amélioration du réseau, d’un meilleur
équipement des véhicules et aussi de mesures répressives luttant contre la
vitesse, l’alcoolémie et la téléphonie intempestive*.
Il serait judicieux de s’inspirer de ce qui a réussi sur la route pour l’appliquer au logement
bien qu’on ne voit pas bien ce que l’amélioration des systèmes de freinage, l’installation
d’airbags frontaux ou latéraux, de glissières de sécurité ou l’obligation du
port de la ceinture pourrait apporter à la sécurité domestique.
Avant de s’attaquer à un problème, il est nécessaire de bien
l’identifier et de définir des priorités.
Par exemple, la combustion spontanée de la ménagère de moins de cinquante ans,
si portée sur la chose soit-elle, est un phénomène rare. Il serait donc abusif de faire de sa
prévention un objectif prioritaire. En revanche, les chutes constituent un problème
réel. Deux tiers des morts en question sont âgés de plus de 75 ans et 60% de
ces décès sont dus à des chutes. Une
lutte efficace contre lesdites chutes permettrait donc à 4554 septua, octo,
nonagénaires et centenaires de vivre plus âgés et de découvrir ou de connaître plus
longtemps les joies du Parkinson, de l’Alzheimer
ou de succomber au cancer ou à l’AVC comme il sied.
Certaines mesures qui
ont fait leurs preuves en matière de sécurité routière pourraient se montrer utiles
dans le cadre de la lutte contre les chutes : port obligatoire du casque,
limitation de la vitesse et lutte contre l’alcoolémie. Le port obligatoire du
casque (éventuellement assorti de celui d’une combinaison intégrale rembourrée)
limiterait évidemment la gravité des chutes. De même, la limitation de la
vitesse de circulation domestique, contrôlée par l’installation de radars dans
les couloirs ne serait pas non plus dénuée d’effets. Que ce soit avec ou sans
déambulateur, une trop grande célérité lorsque l’on entend qu’on sonne peut en
effet entraîner dérapages ou collisions avec les meubles, le chat ou le chien…
Quand au contrôle de l’alcoolémie ses bienfaits sont évidents : combien de
vieillards tenant, en fin de repas, à montrer à leurs descendants leurs talents de danseurs (sirtaki, kasatchok ou
lambada) ont connu une fin dramatique en chutant de la table ? De même,
est-il bien raisonnable de se lancer dans l’ascension de l’escalier quand on
dépasse allègrement les trois grammes dans chaque bras** ?
Bien entendu, afin de vérifier que ces réglementations sont
respectées, il faudrait que soit créé un corps de police du logement chargé d’infliger
aux contrevenants de fortes amendes.
Certains anarchistes ou autres asociaux verront dans ces mesures d’urgence
on-ne-sait-quelle limitation de leur liberté. Dieu merci, l’immense majorité
des Français en verront tout l’intérêt et ne manqueront pas de réclamer que d’autres règlementations soient instaurées afin de sauver encore plus de vies***.
*censée déconcentrer le conducteur. Toutefois une étude
américaine a mis en évidence que bâillonner les belles-mères hargneuses et les
enfants braillards (et, dans certains cas paroxystiques, les ligoter) serait
également bénéfique pour la
concentration des conducteurs (trices).
**L’installation d’éthylotests connectés au système d’ouverture
de la porte de la cage d’escalier serait
hautement recommandable.
***A ce propos, lorsqu’on déclare que grâce à telle ou telle
mesure N vies ont été épargnées, il serait judicieux qu’une liste nominative
desdits épargnés accompagnât ladite déclaration : cette dernière n’en serait
que plus convaincante.