Comme c'est le cas pour les chasseurs,
il est de bons et de mauvais interviewers. Essayons de définir
rapidement le mauvais. Ce journaliste pose des questions à son
invité, il écoute ses réponses et, éventuellement, lui demande
d'éclairer certains points qui lui auraient paru insuffisamment
précis.Cette fripouille reçoit des invités afin qu'ils
s'expriment, laissant auditeurs ou téléspectateurs se faire leur
opinion sur ce qu'ils auront dit. C'est choquant, honteux et,
disons-le anti-démocratique.
Dieu merci, il y a le bon interviewer !
Observons-le à l’œuvre. Tout d'abord, il n'est pas là pour
écouter son invité. Admettons que celui-ci ait commis un ouvrage
sur tel ou tel sujet et que cette parution soit la cause de son
invitation (intitulé, par exemple Comment sauver le monde en deux temps trois mouvements). Eh bien, notre valeureux journaliste ne va pas perdre son
temps à évoquer le contenu de ce livre : ce qui l'intéresse,
c'est une sombre affaire de traversée en dehors des clous commise
par son auteur lorsqu'il se rendait au collège voici trente cinq
ans. Un peu décontenancé, l'invité tentera de ramener le débat
sur les sujets abordés dans son ouvrage. Son hôte lui coupera la
parole pour lui intimer de répondre à sa question sur la grave
infraction au code de la route censée préoccuper le public.
Histoire d'avoir la paix, l'interviewé évoquera brièvement
l'affaire avant de tenter de revenir aux moutons qui justifient sa
présence. Fol espoir ! Le serviteur de la vérité ne l'entend
pas de cette oreille. Il veut des détails : quelle rue a été
ainsi traversée ? A combien de mètres du passage piéton a
été commis le délit ? N'est-il pas concevable que le public
ait du mal à accorder le moindre crédit à un délinquant ?
Toute esquisse de réponse est immédiatement interrompue par une
nouvelle question, entraînant une nouvelle tentative de réponse
immédiatement interrompue par le reproche de n'avoir pas répondu à
la question précédente. Ainsi passent les minutes et la rencontre
se termine sur l'amer constat du bon interviewer pour qui l'invité
n'est venu que pour éluder les vraies questions. Le public, lui, ne saura jamais en quoi consistent au juste méthodes de sauvetage préconisées par l'auteur. Heureusement, tout le monde s'en fout...
L'ancêtre du bon interviewer est sans conteste Pierre Desproges qui voici quarante ans posa des questionsfondamentales à Françoise Sagan.Toutefois, la technique s'est
améliorée. Être complètement à côté de la plaque étant
insuffisant, on y a rajouté de la hargne et de la mauvaise foi.
NB : Toute ressemblance avec
des Patrick Cohen ou des Jean-Jacques Bourdin existant ou ayant
existé serait purement fortuite.