Dans
son insondable sagesse, l’Union Européenne, après bien des
atermoiements, a pris la sage décision d’interdire toute vente de
cigarettes mentholées sur son territoire à compter du 20 mai 2020.
Il est difficile d’imaginer mesure plus salutaire ! En effet,
en diminuant l’âcreté de la fumée le menthol permettait aux
malheureux affligés d’une gorge sensible de pétuner sans trop de
désagrément. Hélas, ce faisant, elle encourageait le malheureux
fumeur à inhaler plus profondément et à permettre au menthol et
à la fumée d’exercer des ravages plus profonds dans ses poumons.
Il fallait mettre le holà au génocide mentholé ! C’est
chose faite.
Mes
rapports avec les cigarettes mentholées sont anciens : pour une
raison qui m’échappe, c’est en 1974, alors que je vivais à
Londres et qu’il me fallait parcourir des kilomètres pour trouver
les Disque Bleu filtre dont j’encrassais jusque là mes poumons,
que je me mis à fumer des Dunhill menthol longues. Rentré en France
je passai aux Royale menthol longues et enfin aux News (toujours
menthol et toujours longues). Quarante-six ans de fidélité ce n’est
pas rien. La séparation ne va pas de soi. Mais quand elle est
inévitable, à quoi bon pleurer une rupture ?
Or
donc, hier, je me rendis pour la première fois chez mon buraliste
sans savoir ce que j’allais y acheter. Sans trop y croire, je
demandai au commerçant s’il ne lui restait pas des menthol d’une
autre marque. La réponse fut négative. Que faire ? Conscient
de mon désarroi, le bon commerçant me proposa des Winston Xsphere
fresh 100’s qui, sans contenir le menthol maudit, étaient, comme
leur nom l’indique, censé produire une fumée rafraîchissante.
Pourquoi pas, me dis-je. Je m’enquis également de l’existence de
cigarettes électroniques utilisant des capsules au goût mentholé.
Il en avait . Je décidai d’essayer également.
Jusqu’ici,
ça va : si la menthe intense vapotée tend à me racler la
gorge, les Winston passent bien. Depuis ce matin j’alterne vapeur
et fumée et les résultats sont alarmants : seulement trois
cigarettes en 4 heures en lieu de place des six à huit habituelles
pour ce laps de temps ! En quoi cela est-il préoccupant ?
Eh bien parce que je suis un bon citoyen. Si la combinaison
vapeur-tabac m’amenait à réduire ma consommation de cigarettes de
moitié, la perte financière pour l’État serait importante !
Et que dire si je venais à remplacer totalement le tabac par la
vapeur ?
Le
calcul est simple : L’an dernier, j’ai dépensé environ
3500 Euros en cigarettes. Le montant des taxes représentant 82 % de
cette somme, le manque à gagner pour l’État s’élèverait donc
à 2870 Euros ! Quand à mon buraliste, la perte pour lui
dépasserait les 300 Euros annuels. Bien sûr les capsules de
vapotage ne sont pas exemptes de taxes et le buraliste prend sa
marge, mais vu qu’une capsule est censée représenter deux paquets
de cigarettes et ne coûte que 40 Euros les douze, la perte reste
considérable.
La
honte m’envahit : en effet, je pense qu’après 55 ans de
tabagisme militant, l’essentiel des dégâts est acquis.
L’incidence sur ma santé d’un arrêt serait donc minime. Il se
peut même qu’en vapotant, je vive un peu plus longtemps avec les
coûts de santé et de retraite que cela impliquerait. Je cesserais
donc de rapporter tout en continuant de coûter ! Est-ce
citoyen ?
Mais
rien n’est cependant perdu : il se peut que je revienne en
force à la clope. L’avenir le dira. Je l’espère pour l’État,
qui prenant un soin jaloux de ma santé, s’est tiré une balle dans
le pied.