Dire qu’il ait l’air
particulièrement sympathique serait aller un peu loin. Ce brave M.
Ghosn est plutôt du genre à rire quand il se brûle qu’à
entraîner une bande de joyeux fêtards dans une chenille endiablée
ou à déclencher les rires avec
son répertoire de blagues belges. D’un autre côté, il est
peut-être plus convenable de la part du dirigeant d’une puissante
multinationale d’affecter une contenance un brin austère que de se
comporter comme le cousin
Léon quand il en a un coup dans le nez…
Malgré
cela, quand hier matin j’ai appris qu’il avait, probablement avec
un léger pincement au cœur
car tous les départs, même
les plus souhaités, ont leur mélancolie, quitté ce Japon qui après
l’avoir encensé était allé jusqu’à lui offrir le gîte et le
couvert dans un de ses établissement publics, j’ai
bien ri. Pas chien, Carlos
avait su exprimer sa reconnaissance à ses hôtes en leur adressant
un petit chèque de 14 millions d’Euros, soit un peu plus d’un
an de son salaire brut. Les
petits cadeaux entretiennent l’amitié !
Que
ce soit dans une caisse censée contenir des instruments de musique
ou grimé en Papou afin de passer inaperçu, c’est en toute
discrétion que M. Ghosn a pris congé de ses amis nippons avant de
s’envoler pour le Liban via la Turquie. J’y
vois, au-delà de la farce jouée, la marque d’un tact raffiné :
sachant que son départ serait de nature à chagriner les autorités
japonaises, afin de leur éviter d’inutiles tentatives de le
retenir (sa décision étant irréversible), il a préféré partir
sur la pointe des pieds. La grande classe !
Certains
esprits chagrins, trop perméables aux racontars, diront que ce
départ n’avait pour but que d’échapper au zèle tatillon des
juges du pays qui l’auraient soupçonné de je ne sais quelles
malversations. Que ce n’est pas bien. Que toute faute mérite sa
peine et qu’un homme honnête et responsable ne craint aucunement
la justice qui, en ce pays comme partout ailleurs, ne saurait
poursuivre d’autres buts que de consolider l’ordre public. Que,
bénéficiant de moyens financiers considérables et forcément
coupable de ce fait, il aura pu échapper à une juste sanction alors
que le vulgus pecus, s’il traverse en dehors des clous ou vole un
croûton de pain tant la faim le tenaille se retrouve illico presto
envoyé au bagne de Cayenne sans espoir de retour. Je ne les suis
pas.
Pour
moi, la soi-disant justice n’a rien de sacré. Elle est humaine et
donc imparfaite. Il lui est déjà
arrivé, ici ou là, de
couronner le crime et de châtier la vertu. « Je
te plains de tomber en ses mains redoutables »
s’écriait la Jézabel de Racine. Bien qu’elle parlât d’autre
chose, cette phrase s’applique bien à cette institution à
laquelle l’innocent n’a pas
intérêt à avoir affaire. Un procès aura lieu. Blanchi ou
condamné, à tort ou à raison, M. Ghosn en sera absent. Dans tous
les cas, les envieux continueront de le détester. Il n’empêche
qu’à sa place et si j’en avais eu les moyens, entre risquer de
passer des années voire de finir ma vie derrière les barreaux d’une
prison nippone ou autre et vivre parmi les miens le reste de mon âge,
je n’aurais pas non plus hésité.