Deux endroits où l'on ne peut être en
même temps. Sauf en cas de don d'ubiquité, don reconnaissons-le
assez rare dont même M. Macron ne bénéficie pas bien qu'il fut un
temps où les media tendirent à nous le faire accroire. Malgré les
immenses avantages dont Dieu ou la nature m'a pourvu, je ne l'ai pas
non plus et le regrette amèrement en voyant approcher la date
fatidique du 16 avril, jour de Pâques mais aussi de mon départ pour
la Corrèze. « Tous les départs, même les plus souhaités,
ont leur mélancolie » se plaisait à citer mon ex-épouse
(probablement en souvenir d'un de ces sujets de dissertation qui
présentent l'avantage de demander qu'on réponde à des questions
qu'on ne s'est pas plus posé qu'on ne se les posera jamais.). Je
ressens toutefois cette mélancolie.
Les missions que je m'étais imposées
pour la quinzaine de jours passés en Normandie sont remplies :
je laisserai un potager entièrement nettoyé et partiellement semé,
une serre débarrassée de ses herbes folles, un portail et une
cabane ayant retrouvé leur blancheur, des gueules de loups
repiquées, une pelouse par deux fois tondue, des annexes vidées
des cartons et autres déchets qui attendaient depuis des mois qu'on
les emportât à la déchetterie, bref je partirai l'âme sereine ou
presque car deux choses la troubleront : l'impatience de mener à
bien certaines tâches en Limousin et la crainte de manquer certains
événements cruciaux en Normandie.
Si je me donne le mal d'entretenir un
jardin, c'est pour les petits bonheurs qu'il offre à la belle
saison. Celui d'y faire au matin un tour d'inspection n'est pas le
moindre. Ça permet de noter que les pois ont levé, que la glycine
se pare de feuilles, que la pivoine que l'on croyait morte redonne
signe de vie, que les fleurs d'une autre s'apprêtent à éclore, que les lilas
fleurissent, imités par les fraisiers... Mille petits changements
qu'une observation quotidienne permet de déceler et dont une absence
prive...
Les iris qui devraient bientôt éclore
seront-ils fanés à mon retour ? Manquerai-je la floraison du
muguet, précoce cette année ? Les pommes de terre
lèveront-elles sans que je le voie ? La première fraise de
l'année sera-t-elle dévoré par un merle vorace ? Faute
d'arrosage et en cas de beau temps, retrouverai-je mes semis de
fleurs sous serre desséchés ?
Bien sûr Le Lonzac m'apportera
d'autres spectacles mais en moindre nombre, le terrain n'y étant que
rudimentairement planté. Retrouverai-je fanées les fleurs du
tulipier qui s’apprêtaient à éclore ? Le spectacle de la
floraison des iris limousins compensera-t-il celle des normands ?
D'autres fleurs auront-elles apparu ?
On ne peut pas être au four et au
moulin. Et c'est bien dommage.