On ne se doute de rien. Tout juste se
sent-on très vite las, s'essouffle-t-on pour un rien, a-t-on le cœur
qui bat la chamade en permanence. Alors on se dit comme ça « Et
si on allait voir le bon docteur du village voisin ? On se ferait
renouveler son ordonnance et comme ça, mine de rien, au cours de nos
bavardages, on mentionnerait le problème, il vous ausculterait et il
donnerait son avis sur la question... » On a parfois d'utiles
conversations avec soi-même.
Donc, on compose le numéro du
praticien, il vous répond et vous fixe rendez-vous dans l'heure qui
suit. C'est rapide, net, efficace et pour tout dire Limousin. Le bon
docteur renouvelle, ausculte et en conséquence vous conseille
instamment de vous rendre directement au service des urgences de
l'hôpital de Tulle, sans passer par la case départ ni toucher la
moindre prime. Il rédige même un courrier à l'attention du
cardiologue de garde. Inquiet, vous vous enquérez de la possibilité
de vous voir retenu par son destinataire. On vous rassure. Quand bien
même vous retiendrait-on ce ne serait que pour quelques heures, le
temps de vous prescrire les drogues nécessaires à ramener votre
cœur à la raison (laquelle est ignorée de la raison comme Blaise
Pascal l'a écrit dans ses désopilantes Pensées). Confiant,
vous prenez la route de Tulle, repérez l’hôpital, dont le parking
est plein, finissez par trouver une place payante libre, en prenez
pour 2 heures, et vous présentez aux urgences.
Et là, clac ! Le piège se
referme. On vous fait patienter avant de vous mener à une chambrette
où on vous prie de vous défaire de vos vêtements qu'on échange
contre une chemise de nuit boutonnée à l'arrière et la série des
épreuves commence. Au bout de quelque temps, un jeune homme vient
vous voir et vous et vous fixe des électrodes tout partout afin de
jouer à l' « Électrocardiogramme ». Mon score est
excellent : 130 battements minute ! On m'annonce la
prochaine visite du spécialiste qui sait. Une ou deux heures plus
tard, il arrive, me pose quelques questions, et me dit qu'il va voir
avec son service. Voir quoi, Dieu seul le sait .Deux heures plus
tard, tel la sœur qui ne voyait rien venir (en fait, elle avait
quand même l'avantage sur moi, Anne la veinarde, de voir le soleil
poudroyer et l'herbe verdoyer tandis que moi,à part le plafond, je
n'apercevais rien), je m'enquiers auprès d'une soignante de passage
sur mon devenir. Je ne vais pas rester là, quelqu'un viendra me
chercher pour m'amener au service de cardiologie. Je pense, fou que
je suis, que c'est pour qu'on me donne une nouvelle prescription. Que
nenni ! On m'installe dans un fauteuil, me roule jusqu'à
l'ascenseur et m'installe dans une chambre dont l'autre occupant est
momentanément absent. Vont suivre deux jours d'incarcération...